• prosper EVE : Dialogue entre un élu et un minus

     

    Frère, on m’a dit que tu es un défenseur du patrimoine

    Oui, tu peux même dire un défenseur acharné du patrimoine

    Frère, alors pourquoi t’acharner sur ce bâtiment, il a une histoire ?

    Boucle-toi minus, il faut savoir mettre l’histoire de côté, quand il s’agit de donner à de grosses entreprises des marchés, créer des emplois pour quelques mois..

    Mais tu sais que des esclaves l’ont construit ?

    Et alors ?

    Tu sais que leurs fils à partir de 1846 l’ont fréquenté ?

    Et alors ?

    Tu sais qu’une fois affranchis le 20 décembre 1848 ils ont suivi là des cours du soir, ils ont cru en l’école 

    Et alors ?

    Et alors dis-moi pourquoi fêtes-tu le 20 décembre dans ta ville ?

    Le peuple a besoin de jeux, voilà pourquoi on ne lésine pas sur les moyens

    Je veux comprendre, frère, dis-moi pourquoi tu t’acharnes sur ce bâtiment ?

    Parce qu’il a été défiguré par des rajouts, il n’est plus dans son état premier

    Alors frère, je te dis tu as sorti là, le fouet pour te faire battre. Qu’un collectif se lève pour demander des comptes à toutes les cliques successives qui depuis la fin des années 1970 n’ont pas défendu ce patrimoine venu du monde esclave, ont laissé tous les marchands du temple l’occuper, le défigurer! 

    Quel juge donnera raison à ton collectif, la partie est perdue d’avance ? Dans ce bâtiment, à l’origine les enfants ont été formés par des frères des écoles chrétiennes, des religieux, des congréganistes, les juges qui sont de vrais républicains, de vrais fils de la séparation de l’Etat et de l’Eglise catholique ne protègeront pas un tel lieu. Aucun ministre de la Culture ne prendra un arrêté épousant ta cause. Tu oses vouloir sauver un bâtiment mettant en valeur le savoir-faire des esclaves, un lieu où ils ont fait la démonstration de leur intérêt pour la culture, c’est impensable ! Tu veux mettre des esclaves en avant, mais enfin ! 

    Frère, dis-moi alors ce qu’il faut protéger ? 

    Il faut protéger le château de Versailles, la maison Valliamée, le palais Ratenon, voilà ! Ce bâtiment-là, n’a aucune valeur, il ne ressemble à rien, ce n’est pas de l’architecture 

    Merci frère d’avoir parlé. Maintenant, je sais que tu nous méprises du plus profond de ton cœur, tu méprises les esclaves. De grâce, ne prononce plus le mot esclave désormais. Surtout sois très fier de toi lorsque tous les matins tu te regardes dans une glace. 

    Tu ne m’auras pas avec ce type d’arguments, je suis bien dans mes baskets, je suis un élu, j’ai ma légitimité, j’ai ma majorité.

    Je ne cherche pas à t’émouvoir frère. Mais, que comptes-tu faire de ce lieu, frère, quand tu auras démoli ce qui pour toi est une plaie ?

    Tu fais bien de me poser cette question, minus. Je ne démolis rien, moi. Je réhabilite ce bâtiment, je le transforme en un grand restaurant où l’on débite de la bière, des alcools fins, car il faut lutter contre l’alcoolisme, une salle des fêtes, des magasins pour vendre des produits importés des pays de la zone car c’est cela la bonne coopération régionale, c’est ainsi qu’on créera beaucoup d’emplois.

    Frère, tu as été très clair. J’ai compris pourquoi le pays est foutu. 

    Les opinions émises n'engagent que leurs auteurs


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    Une première anthologie de textes que j'aime relire  a été publiée sur le  blog EDITIONS DE L'ECOUTE, où l'on trouvera également des textes que j'ai écrits,  et des témoignages  d'autrui  comme le récit  par mon grand père maternel de son  naufrage suite à un torpillage  dans le détroit de Bonifacio en 1917 .  A partir de 2013  je publie sur le blog  EDITIONS ROTAHI une deuxième anthologie de textes de divers auteurs pour qu'ils me soient facilement accessibles pour des relectures. J'ouvre également une rubrique avec des chants et des notations musicales , notamment pour jouer  mon THEATRE DES OISEAUX DE PARADIS. J'indique des accords pour  guitare pour  suggérer une improvisation au lecteur  mais il est possible de musiquer mes textes de nombreuses autres façons . Je n'ai pas toujours indiqué mon nom en titre de mes textes, mais un numéro d'opus . Par contre pour les oeuvres d'autres auteurs, j'ai toujours indiqué leurs noms , donc si le lecteur veut diffuser à son tour mes  textes, peintures, musiques ou vidéos sur ma danse ,je le remercie de préciser qu'ils sont de Dominique Oriata .J'ai publié davantage de mes poèmes,chants & réflexions sur un autre Ekla Blog , titré OEUVRES DE DOMINIQUE 'ORIATA TRON  , avec en page d'accueil  page d'accueil un résumé  avec des photos des diverses étapes de mon existence, afin de rendre compréhensible le fait que mes  créations et analyses peuvent sembler relever de philosophies  parfois contradictoires. C'est tout simplement qu'à 70 ans on ne conçoit pas necessairement la vie spiritualo-artistique de la même façon qu'à 14 ans. J'ai même produit plusieurs versions des mêmes oeuvres, en les datant , et si je n'ai pas fait toutes les décennies une nouvelle version de mes premiers livres, c'est faute de temps  et parceque l'autolyse a pris beaucoup plus d'importance que la communication, et que la musique , la peinture et la danse ont pris beaucoup plus d'importance   dans mes priorités  que la finalisation de messages et explications écrites  . Les documents que je partage ont pu l'être sur plusieurs plate-formes,ou sur une seule d'entre elles  comme ART CATALYTIQUE chez Over-blog, ou encore dans des pages Face Book comme Théâtre catalytique des oiseaux de Paradis ou encore sur Word Press, Slideshare, sans oublier des centaines de videos sur YouTube, DailyMotion, Metacafe, Wat tv, et vu qu'il arrive parfois que ces plate-formes changent leurs règles du jeu, j'incite les lecteurs et spectateurs intéressés personnellement  à utiliser mes travaux pour leur propre évolution et  celles de leurs proches à les télécharger sur des disques durs, et de les publier sur leurs réseaux sociaux.  La table d'orientation la plus récente  quoique tres incomplete de mes oeuvres  se trouve en cliquant  sur  :

      http://tron.eklablog.com/accueil-c18944795

     On trouvera ci dessous les portraits  des auteurs publiés  par les éditions ROTAHI. La taille des photos et leur ordre  n'indiquent aucune préférence de ma part. L'Arevareva est un nom d'oiseau de Polynésie appelé aussi Eudunamis taitensis . J'avais  pris ce pseudonyme pour lancer des pétitions pour qu'on ne me reproche pas de me mettre en vedette en étant le premier à les signer de mon propre nom, mais j'ai ensuite abandonné l'identifiant Arevareva du fait qu'un éditeur de musique l'a déposé officiellement . Je signe le plus souvent mes oeuvres  Dominique Tron, ou encore 'Oriata, voire Oriata, ou encore Dominique 'Oriata TRON ou Dominique Oriata TRON. L'année 1984 où je vins me fixer en Polynésie , j'ai en effet adopté le prénom 'Oriata, qui signifie "Danse des nuages" et qui écrit sans ' (coup de glotte) signifie 'Vagabond des nuages".en maohi. Bonne exploration  !!!!

    Dominique Oriata TRON  , ici en Octobre 2020 : CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS AVEC LESQUELS J'AI ETE CONNECTE

     

     

     Elsa Triolet :

    CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE

    Mevlana Jelaluddin el  Rumi : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES ICI Neruda :PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES ICILorca:CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE

     

    Patrick Quillier :PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES ICIBoris Gamaleya :[Sans titre] Bernard GUEIT :[Sans titre] 

    Alexandre Gerbi :[Sans titre]Jacques Darras : [Sans titre]Davertige :PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES ICI

        Léon Gontran Damas:[Sans titre]Rhissa Rhossey :Numériser0031 (2)

    Dominique Gabriel Nourry :[Sans titre] Nathalie Cougny :[Sans titre] 

    Pierre Reverdy : [Sans titre] Monchoachi:PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES ICISimonetta Greggio : 

     Louis Aragon : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES ICIProsper Eve : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES ICIApollinaire:PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS L' ANTHOLOGIE AREVAREVA 

    Kabir :CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE  Kateb Yacine :CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE Nazim Hikmet :CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE

     

     

     

    Darwich :CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE  Brecht CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE Thibaut Hingrai CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE

    Serge Pey :CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE Robert Desnos :CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE Catherine Ribeiro : CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE

    Sepehri :CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE Joubert Joseph : CI DESSOUS : PORTRAITS DES AUTEURS PUBLIES DANS CETTE ANTHOLOGIE


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  • Alexandre Gerbi

     

    1 : Deux articles d'Alexandre Gerbi à lire également : http://fusionnisme.blogspot.com/2008/06/leffarante-loi-60-525-ou-comment-le.html

    L'effarante loi 60-525
     
    .
     
     
    ou
     
    .
     
     
    Comment le général de Gaulle
    viola la Constitution pour débarrasser
    la France de ses populations
    d’Afrique noire

     

    2  : Intervention d'Alexandre gerbi au Colloque du Lucernaire en 2010 :

    L’Amor est morte


    De la « décolonisation »

    et de l’avenir franco-africain

    http://fusionnisme.blogspot.fr/2010/02/contribution-pour-le-grand-symposium.html

    __________

    Le texte ci dessous est téléchargeable sur : http://arevareva.wordpress.com/?attachment_id=48 

    Pour en finir avec les fléaux de la prétendue « décolonisation » 

     

     

    Préambule

     

    Ce qui nous broie aujourd’hui, 

    c’est une logique historique

     que nous avons créée de toutes pièces 

    et dont les nœuds finiront par nous étouffer.

     

    Albert Camus

     

       La prétendue « décolonisation » franco-africaine n’appartient pas qu’au passé. Elle engage tout notre présent. Selon un mode inversé.

       Faute historique majeure pour la France, la « décolonisation » est présentée, depuis un demi-siècle, comme un trait de génie de Charles de Gaulle ; amère défaite et énième flétrissure pour les Africains, elle est travestie en leur victoire et en leur honneur ; opération perverse et odieuse aux conséquences catastrophiques, elle est érigée, aujourd’hui comme hier, en summum de la justice, de la modernité et du progrès. 

       Ces manipulations n’auraient guère d’importance si, dans les faits, la « décolonisation » n’avait façonné notre époque, au gré d’une implacable mécanique idéologique et politique dont on observe, jour après jour, les terribles développements.

       C’est qu’en s’acharnant à maquiller, à travestir le phénomène en son inverse, nos élites se sont non seulement rendues incapables de l’analyser et, par conséquent, de le conjurer ; mais encore, elles continuent de l’alimenter et de l’aggraver en permanence. Quitte à nous conduire au dernier désastre.

       Il y a cinquante ans, la philosophie démontra son impuissance à démêler l’écheveau mortel qui finalement broya l’ensemble franco-africain et prépara nos malheurs contemporains. Pire, nombre d’intellectuels furent d’actifs complices de l’opération. Albert Camus, lui-même, échoua. 

       Après tant d’erreurs et de cécité, serait-il naïf d’espérer que le cours de l’exposé et ses inévitables réflexions sauront démontrer et ainsi éteindre les hypocrisies, les cynismes, les lâchetés, les mensonges qui accablent notre temps, nos esprits, afin de nous en épargner les écueils, si menaçants ?

     

     

     

     

     

    Introduction

     

    Une seule conclusion s’imposerait si nous vous suivons : rendez-nous notre liberté, donnez-nous notre indépendance et nous ne vous coûterons plus rien ! Oui, mais voilà, vous n’avez pas, Dieu merci, le droit de disposer ainsi de nous-mêmes, 

    et d’une partie de la République…

     

    Barthélémy Boganda

     

       Entre 1958 et 1962, les territoires de l’Afrique française n’ont pas arraché leur indépendance : celle-ci, dans le sillage de la IVème République, leur fut essentiellement imposée par le gouvernement de Charles de Gaulle. Selon un schéma secret que seules quelques voix éparses, dont l’ambassadeur Henri Lopes, osent avouer publiquement de nos jours.

       S’intéresser à la décolonisation franco-africaine, c’est ainsi aller au-devant d’un Système encore parfaitement contemporain. Il n’est que de regarder le monde, en particulier la France et surtout le Paris de l’an 2012 en ses sphères de pouvoir (milieux politiques, médiatiques, intellectuels…), pour s’en apercevoir de mille et une façons…

       Au cours des dix dernières années, cent fois j’ai essayé d’écrire quelques pages limpides qui permissent d’embrasser d’un seul regard l’ampleur du gâchis, et de mettre à nu les responsabilités des uns et des autres…

       J’aurais voulu montrer que la plupart des maux dont souffre la France contemporaine – déclin économique, relégation culturelle et régression sociale, échecs de  l’intégration, affaissement du sentiment d’appartenance à la France et d’amour du pays, replis identitaires ou communautaristes, montée des antagonismes interraciaux, interreligieux et interculturels, assujettissement politique et idéologique, crise d’identité et neurasthénie collectives, etc. – découlent du grand choix qui fut fait alors.

       Les Africains, jetés hors de la République malgré eux, étaient des Français, nos compatriotes, et ce sont ces compatriotes qui, depuis un demi-siècle, malgré eux, subissent des malheurs qui résultent non pas de leur volonté, mais des options de nos dirigeants et de nos apathies en retour.

       Une droite anachronique, porteuse des errements d’un autre siècle mais naguère si affreusement vivaces, s’appuya sur une gauche pervertie qui avait perdu de vue l’intérêt des hommes, au profit des chimères aveuglées de l’idéologie.

       A leur rescousse, vinrent les charlatans de l’Histoire, qui poursuivaient des desseins exactement inverses à ceux dont ils se réclamaient : Etats-Unis, URSS, Chine, Vatican, ONU, suivis de tous leurs chantres…

       Or la vision de la France et du peuple français qui présida au naufrage de la prétendue « décolonisation » jure infâmement avec toutes les idées qu’un vrai républicain, fils de 1789, peut se faire de la France.

     

     

    *  *  *

       Ainsi un monde nous fut confisqué, bien que ce monde de fraternité fût à la fois le rêve du peuple français et d’une partie de ses élites, en particulier de ses élites africaines – car en ce temps-là, les Africains étaient aussi, répétons-le, Français –, fraternité, mère d’une nouvelle civilisation pétrie à la fois des génies africains et français, tous désormais en grand péril, menacés de disparition ou de démence, dans un monde qui les a vus vaincus dans leurs aspirations les plus altières.

       La « Françafrique » qu’on a discréditée en la vouant aux plus abjects trafics, est une lourde perte pour tous les continents, pour l’humanité. Car la Françafrique ou l’Eurafrique que rêvaient les jeunes Léopold Sédar Senghor ou Félix Houphouët-Boigny comme tant d’autres, cette République franco-africaine eût joué pour l’univers le rôle d’un phare social, égalitaire, laïc et fraternel, par delà les races, les cultures et les religions.

       Au contraire, dessein ténébreux, la « décolonisation » entraîna la destruction de la France et de l’Afrique, sacrifiées sur l’autel d’une pureté de race et de civilisation à laquelle ni l’Afrique, ni la France, dans leurs profondeurs, n’ont jamais cru.

       Or qui ne voit que cette imposture, avec son cortège de misère et d’obscurantismes politiques ou religieux, trahit le plus profond des rêves français et des rêves africains, des rêves blancs et des rêves nègres ? 

    *  *  *

       Dans un monde où, si souvent, l’ubuesque le dispute au kafkaïen, en un tourbillon de luxes, d’horreurs et de corruptions, les rêves de libertés individuelle et collective s’étiolent de n’avoir été réservés qu’à de maigres portions de l’humanité ; au cœur de ce monde-là, que ne savons-nous faire nôtre les espoirs d’hier dans leurs habits éternellement neufs et éclatants, pour accompagner le triomphe, la renaissance des « futurs flamboyants » que Robert Delavignette, Alioune Diop, Léopold Sédar Senghor, Claude Lévi-Strauss, Jacques Soustelle, le bachaga Boualem, Félix Houphouët-Boigny, Léon Mba, Ahmed Sékou Touré, Diori Hamani, Albert Camus, Barthélémy Boganda, comme tant d’autres Français et Africains, emportèrent dans leur tombe ?

       Le microcosme politique, intellectuel et médiatique, hexagonal, franco-africain et ultramarin actuel, englué dans ses contradictions, prisonnier de ses complicités, de ses compromissions, de ses lâchetés, de ses bêtises, de ses prébendes, de ses hontes, sera-t-il capable de se réveiller enfin, comme au beau milieu d’un cauchemar, pour dire enfin la vérité ?

       Saura-t-on tirer de cette Atlantide sauvée des eaux la substance d’un renouveau dont la France, l’Afrique et la planète entière ont, plus que jamais, un besoin vital ?

       Il suffirait, pour cela, d’écouter enfin la sagesse des Ancêtres et de suivre la voix des hommes.

       Mais alors, il faudrait soudain tout reconstruire et bâtir un tout autre monde.

       Sommes-nous encore capables de Révolution ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Avertissement

     

       Les textes qui composent ce recueil font suite à Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, Imposture, refoulements et névroses, essai publié en septembre 2006 aux éditions L’Harmattan.

       Ces articles, augmentés de notes, sont choisis parmi une centaine d’autres qui furent diffusés entre 2007 et 2011, sur différents sites Internet d’information et de débats, africains ou français. Notamment Bakchich, Afrique Liberté, Camer.be, Rue89, IciCemac, Afrik.com, le blog Fusionnisme…

       Le lecteur ne devrait donc pas s’étonner de rencontrer, d’un texte à l’autre, quelques répétitions. Publiés au fil des années sur des médias à la diffusion relativement faible, ces articles s’adressent par conséquent à un lecteur supposé chaque fois nouveau. C’est pourquoi la thèse centrale et ses principales articulations (Affaire gabonaise, Loi 60-525, imposture et trahison gaulliennes, etc.) y sont fréquemment rappelées, tandis que certaines citations apparaissent plusieurs fois.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Aux amis du Club Novation Franco-Africaine,

    en particulier à ses membres cofondateurs, 

    Claude Garrier, 

    Magloire Kede Onana, 

    Samuel Mbajum, 

    Simon Mougnol, 

    Raphaël Tribeca

     

    et à Gilbert Comte

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Genève, 13 mai 58.

    Quels étaient ces vers d’Aragon ? 

    « Mai qui fut sans douleur et Juin poignardé  »

     

    Jean-Luc Godard, Le Petit Soldat, 1960

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    « Décolonisation » :

    Précisions sémantiques

    et politiques

    .

    « Indépendance », « décolonisation », « unité franco-africaine », « dé-colonisation »… Autant de concepts importants parfois méconnus, souvent mal connus. Quelques éclaircissements s’imposent, tandis que la Vème République blanciste continue d’entretenir à dessein la plus complète confusion sur ces questions…

    Dans un essai disponible sur Internet, l’historien Martin Shipway note : « Ce néologisme ʺdé-colonisationʺ est trompeur, et décrit de façon simpliste un processus historique des plus complexes. (…) Ce processus d’ailleurs ne s’appellera ainsi que par la suite, car si le mot existe déjà, il implique autre chose, la réforme plutôt que la dissolution coloniale ».

    Remarque intéressante, qu’on peut expliquer comme suit. 

    Dé-colonisation : fin de la colonisation. Autrement dit : fin du système colonial. De là, on est tenté de comprendre automatiquement : dé-colonisation = indépendance des anciens territoires colonisés, accession de leurs populations à l’indépendance. D’où cette autre façon de poser l’équation : dé-colonisation = indépendance.

    Or, comme le souligne Martin Shipway, les choses sont un peu plus complexes. 

    L’égalité et l’unité comme meilleur moyen de dé-coloniser

    Pendant toute la période (1945-1960) qui conduisit aux indépendances des anciens territoires de l'Afrique française, dans l’esprit des colonisés, et en particulier dans l’esprit de leurs représentants, la question se posait tout autrement. 

    Pour la plupart des leaders africains de l’époque, « dé-colonisation » = évolution nécessaire, à savoir : fin du système colonial.

    Or, si l’objectif de la dé-colonisation était la fin du régime colonial par nature inégalitaire, la sortie de ce régime devait avoir pour moyen l’instauration de l’égalité entre toutes les parties de l’Empire, métropole comprise, et non pas de l’indépendance, que la plupart des leaders africains jugeaient à la fois non viable et absurde.

    Autrement dit, si la plupart des leaders de l’Afrique française jugeaient la dé-colonisation indispensable, ils l’envisageaient selon des modalités qui n’impliquaient nullement l’indépendance. Au contraire, ils prônaient un rapprochement avec la métropole. La dé-colonisation telle que la concevait la majorité des leaders africains s’inscrivait donc dans le cadre d’une unité franco-africaine non seulement maintenue, mais surtout renforcée par l’instauration de l’égalité et de la fraternité. C’était notamment l’argument d’un Senghor ou d’un Houphouët-Boigny.

    On le comprend, non seulement l’indépendance n’était pas envisagée comme le seul moyen d’en finir avec le colonialisme, mais, mieux encore, le maintien de l’unité franco-africaine était considéré comme la meilleure garantie de l’abolition du système colonial, en tant que cette unité républicaine était le lieu de la démocratie et de l’égalité, dont le Parlement devait être à la fois le reflet, l’instrument et le garant de la promotion.

    Ainsi, pour les Africains de l’époque, prôner la dé-colonisation, c’était non pas mettre en cause l’unité politique franco-africaine, mais revisiter les modalités de cette unité, selon des voies susceptibles, précisément, de la renforcer, par la stricte application des principes républicains.

     

    La décolonisation comme anti dé-colonisation et levier néo-colonial

    Par ailleurs, la réciproque « indépendance = dé-colonisation » est elle-même sujette à caution. 

    En effet, comme le note Simon Mougnol : « Chacun sait qu’une Afrique à égalité avec la France aurait bénéficié d’une élévation du niveau des équipements mais aussi de l’instauration de la démocratie dans ses régions. Avec la démocratie, la métropole aurait eu à respecter ses populations et n’aurait plus pu continuer à tirer des ficelles. Tandis qu’avec les indépendances, elle put continuer à jouer les colons de l’ombre, sans avoir de comptes à rendre. »

    A ce degré, on peut se demander si la « décolonisation », synonyme ici d’« indépendance », n’est pas l’antithèse de la dé-colonisation, puisqu’elle est le cadre permettant une perpétuation de l’état colonial, en tant qu’elle permet d’empêcher l’instauration de l’égalité, et qu’elle permet (ou même qu’elle vise) de surcroît l’instauration du néo-colonialisme. 

    En d’autres termes, et paradoxalement, l’indépendance peut être perçue comme le meilleur moyen qui fut trouvé pour empêcher la dé-colonisation, en tant qu’elle fut octroyée (voire, dans certains cas, imposée) afin de refuser l’égalité et, dans un deuxième temps, de rendre possible la poursuite du colonialisme.

    Inversement, le maintien dans la République dans un cadre égalitaire, réclamé par la majorité des leaders africains après la Seconde Guerre mondiale, était le meilleur moyen de renverser le colonialisme, et donc de dé-coloniser. D’où la position de la plupart des leaders africains, notamment Barthélémy Boganda ou Léon Mba.

    Où l’on découvre que cette autre équivalence pourrait être envisagée : maintien (relance) de l’unité franco-africaine = abolition du (néo)colonialisme.

    Dans les faits, on constate bien que la « décolonisation », telle qu’elle eut lieu, en empêchant l’instauration d’une égalité réelle entre métropole et outre-mer, entrava la dé-colonisation, puisqu’elle rendit possible la perpétuation du système colonialiste par le biais du néo-colonialisme.

    La décolonisation pour empêcher la « colonisation » de la France par l’Outre-Mer africain

    La « décolonisation » empêcha, aussi, la « colonisation » de la métropole par son Outre-Mer africain.

    En effet, l’égalité politique pleine et entière accordée aux citoyens africains, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les citoyens métropolitains, aurait conduit à une métamorphose de l’ensemble franco-africain, et donc de la « France ».

    Les Africains, représentés à proportion de leur nombre au Parlement, auraient vu croître leur influence, et s’améliorer le sort de leurs territoires. 

    Cette (r)évolution sur le terrain et au Parlement aurait conduit à une métamorphose de l’identité française, devenue ipso facto identité « franco-africaine ». La France, organisant l’égalité de tous ses citoyens, aurait assisté à sa propre métamorphose. Le modèle de civilisation français se serait mêlé aux modèles de civilisation africains, vers une synthèse érigée à leur confluence et nourrie de leurs génies respectifs. 

    Dans ce cadre, le colonialisme, grâce à la démocratie, aurait été réellement aboli. Non seulement structurelle-ment, mais aussi culturellement : la prétendue supériorité de la civilisation française aurait fait place aux vertus qui sont les siennes ; la prétendue infériorité de la (ou des) civilisations africaine(s) aurait fait place aux vertus qui sont les siennes (ou plutôt les leurs). Chacune des parties abolissant les faiblesses de l’autre, et renforçant l’autre de ses vertus propres. A terme, de la synthèse, des influences et des évolutions respectives et réciproques, l’unilaté-ralisme et les sens uniques conjurés par l’exercice de la démocratie égalitaire, aurait surgit l’identité franco-africaine, synthèse de ce que chacune des civilisations ainsi mêlées a de meilleur.

    Inquiètes de tout cela, les autorités politiques métro-politaines, soucieuses de maintenir la France dans une identité selon elles essentiellement, voire exclusivement, européenne, ont préféré manœuvrer pour conduire les territoires d’Afrique vers l’indépendance. Elles ont, insidieusement, favorisé toutes les réflexions et idéologies qui, du côté africain, en servaient la cause. Face à un Etat français avide de préserver l’identité européenne de la France, on vit les nouveaux états africains partir en quête de leur identité africaine, encouragés dans cette voie par l’ancienne métropole.

    Les autorités hexagonales, organisatrices de la séparation franco-africaine, craignant un retour de flamme en faveur de la périlleuse unité, jugèrent opportun de conforter l’Afrique dans cette voie « identitaire ». Les autorités métropolitaines diffusèrent donc l’idée que ce choix de l’indépendance était celui des Africains, et que la              « décolonisation » était la conséquence mais aussi la condition sine qua non de l’abolition du régime colonial.

    Ce lien organique d’équivalence entre indépendance et dé-colonisation fut patiemment tissé, alors même que cette indépendance visait à empêcher l’abolition du colo-nialisme, en permettant sa perpétuation sous une forme nouvelle. 

    Tour de force, le maintien de l’unité franco-africaine fut assimilé à une manœuvre en faveur du maintien du colo-nialisme, alors qu’il était, à condition que la démocratie soit pleinement appliquée, le meilleur moyen de l’abolir.

     

    Perpétuation de la confusion

    Aujourd’hui, nous ne sommes pas sortis de ces confusions sémantiques, entretenues à desseins par ceux qui déci-dèrent de la séparation franco-africaine. Et pour cause : ceux qui gouvernent la France aujourd’hui sont les héritiers de ceux qui, il y a cinquante ans, larguèrent l’Afrique pour éviter la « bougnoulisation » de la France, et orchestrer le néo-colonialisme.

    Les hommes politiques doivent reconnaître qu'ils ont conduit les populations de France et d’Afrique dans une impasse dont elles ne pourront sortir que si elles connaissent la vraie vérité de leur passé. Les dés sont jetés, la messe a été dite : il s'agit maintenant de réimaginer une sorte de puissant partenariat entre la France et les anciens pays de l'« Empire », un partenariat consolidé par les liens très forts qu'une vague de politiques avaient, pour des raisons ou pour d'autres, cru bon de ruiner. Ainsi l'Hexagone pourra-t-il sauver sa cohésion sociale, en la fondant sur de riches et profondes retrouvailles.

    Nous accorderons foi aux belles déclarations d’intention de M. Sarkozy sur la « Rupture » en matière de politique africaine et ultramarine de la France lorsque les discours officiels du gouvernement français, qui constituent le soubassement idéologique de sa politique depuis un demi-siècle, cesseront de falsifier l’histoire de la « décoloni-sation » franco-africaine, et de jouer sur les mots. 

     

    Article publié sur le blog Fusionnisme, le 12 février 2009

     

     

     

     

     

     

     

    « Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »

     théorique

    et déni démocratique bien réel

     

     

    à Gilbert Comte et à Samuel Mbajum

     

     

    Appréhender l’histoire de la décolonisation française sans idée préconçue, c’est découvrir la trajectoire d’un pays qui se désagrégea par refus du métissage et appât du gain. Ou, si l’on préfère, qui mourut du refus de la métropole d’accorder l’égalité politique réelle aux populations d’outre-mer, et préféra s’en débarrasser. 

    Pareil état de fait devrait scandaliser tout esprit répu-blicain attaché à l’expression démocratique, en particulier tout esprit de gauche. Or il n’en est rien. Pourquoi ?

    C’est qu’il est difficile, voire impossible pour beaucoup de nos contemporains, d’envisager les choses sous cet angle. Les origines de la difficulté, ou plutôt du blocage, sont multiples. Nous essaierons de les envisager une à une, malgré leurs entrelacements. 

    *  *  *

    Parmi l’éventail des leurres qui brouillent le jugement sur la décolonisation, il en est un crucial : le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». 

    Celui-ci permit à la fois de justifier et de maquiller en victoire démocratique et humaniste inscrite dans « le sens de l’Histoire », ce qui fut en réalité un dégagement répondant à des considérations raciales, civilisationnelles et financières. 

    La dimension populaire et démocratique, voire spontanée, de la « marche des peuples vers l’indépendance » fut la grande raison toujours invoquée pour justifier, parfois en toute bonne foi, un processus qui consista fondamen-talement en la mise à l’écart et à la neutralisation démocratique des populations africaines, leur assujet-tissement et la vassalisation de leurs Etats, enfin la mise en coupe réglée de leurs territoires.

    Or au-delà des affirmations et des slogans, qu’en fut-il concrètement du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ?

    A travers tout le domaine ultramarin de la France, seuls deux territoires firent l’objet d’un référendum d’auto-détermination sur la question de la sécession : le petit comptoir de l’Inde Chandernagor en 1949, et l’Algérie en 1962. Dans les deux cas, les référendums furent organisés dans des territoires déjà investis, depuis plusieurs mois, par les troupes « adverses », avec le consentement des autorités françaises. Les résultats en portent les stigmates : 99% de OUI à Chandernagor pour la sortie de l’Union française en 1949, 99,72% de OUI en Algérie en 1962 pour l’indépendance. Partout ailleurs, de l’Indochine à l’Afrique en passant par les quatre autres comptoirs de l’Inde française, aucun référendum ne fut organisé. Tous les territoires accédèrent à l’indépendance sans que les populations soient consultées. En d’autres termes, la Constitution, qui exigeait que les populations se prononcent, fut chaque fois contournée, transgressée ou violée.

    A examiner les faits de plus près encore, c’est-à-dire en allant se faufiler dans les coulisses du pouvoir, là où l’on parle sans souci des micros et de leurs fâcheux échos, ce que permet en particulier le trop méconnu C’était de Gaulle d’Alain Peyrefitte (Fayard, 1994), on découvre que l’indépendance fut imposée par le gouvernement métropolitain dans des conditions antidémocratiques, au gré de considérations civilisationnelles (notamment religieuses, l’Islam étant perçu comme un extrême danger), raciales, et enfin financières. 

    Car bien davantage que l’indépendance, ce que réclamaient les Ultramarins, c’était l’égalité. Tel était le grand problème. A Paris, chacun le savait et feignait de ne pas s’en apercevoir. Bien entendu, face aux journalistes sagement assis en conférence de presse, le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », bien que perpétuel-lement bafoué, servait de justification autant que de paravent…

    *  *  *

    Il n’est pas si banal, dans l’histoire du monde, de voir un pays abandonner volontairement des territoires et des populations. A fortiori quand ceux-là représentent plus des neuf dixièmes de sa superficie totale, et quand celles-ci représentent les trois quarts de sa population totale – et à terme encore davantage.

    Ce processus étonnant – et majeur, puisqu’il concerna l’une des principales puissances d’Europe, la France, et la moitié d’un continent, l’Afrique – put avoir lieu à condition que se conjuguent de puissants facteurs. On sait, en particulier, le rôle que jouèrent dans cette affaire les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Or leurs relais en France étaient nombreux, dans la classe politique, les syndicats et les milieux intellectuels. En dépit de leur antagonisme sur d’autres sujets, l’ensemble de ces forces jouèrent un rôle important, et convergèrent pour le « largage » de l’Outre-Mer français.

    Justifiées par d’honorables motifs dont en particulier le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », la décolonisation prônée par les Etats-Unis et l’Union Soviétique répondait évidemment à de tout autres objectifs. Sortis grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, Etats impérialistes et volontiers oppresseurs de leurs propres minorités, « démocraties » guère pluralistes (dangereux d’être communiste aux USA, dur-dur d’être capitaliste en CCCP…), tous deux cherchaient à faire reculer leurs rivaux communs à l’échelle planétaire, au nom, respectivement, des idéologies dites « libérale » ou « socialiste ». La France faisait évidemment partie de leurs principaux rivaux à terme, dans tous les domaines, économique, politique, culturel, idéologique... Or le choc de deux guerres mondiales consécutives, dont la dernière tout récemment, laissait la France momentanément très affaiblie. Le moment semblait venu de peser le plus possible, en profitant de l’occasion pour l’abattre. Mieux encore, son démembrement marquerait l’ouverture possible de nouvelles zones d’expansion…

    Dans ce contexte où la pression s’exerçait officiellement, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’Hexagone, en vertu de nobles et généreuses causes, dans les faits à des fins âpres et peu soucieuses de la vie humaine et de son bien-être, l’Outre-Mer français joua sa partie, en réclamant l’égalité politique. 

    Le programme affiché par les Ultramarins, en particulier par les Africains, retentissait comme un cri : l’égalité ! pour bâtir avec la métropole une grande République égalitaire et fraternelle, où les cultures, au lieu de s’affronter, de se dénigrer ou de se nier absurdement, se fécondent et s’enrichissent mutuellement.

    Telle était la vision politique avant-gardiste défendue par la plupart des Africains à la Libération et dans l’immédiat après-guerre. Or ce projet suscita chez les hommes politiques métropolitains les plus extrêmes réticences. Certains craignaient ouvertement que la France devînt la « colonie de ses colonies » (Edouard Herriot). 

    Entre 1945 et 1958, chez les représentants politiques africains, face aux frilosités métropolitaines aux insoutenables relents, par pragmatisme autant que par amour-propre, les schémas évoluèrent globalement du jacobinisme vers le fédéralisme, voire vers le confédéralisme. Une évolution qui bénéficia, bien entendu, du bienveillant assentiment des milieux politiques métropolitains…

    Au demeurant, pendant la période, en Afrique subsaharienne, en dépit d’une surenchère autonomiste provoquée par l’attitude métropolitaine et encouragée par elle, l’indépendantisme ne fut invoqué qu’à titre de menace (comme chez Senghor par exemple, chez qui elle fut toujours un choix par défaut, voire par dépit). A condition d’excepter, bien entendu, la frange communiste africaine, puisque celle-ci était soumise, par le PCF et la CGT, à l’influence de Moscou aux intérêts bien compris. Au reste, l’influence communiste demeura, en Afrique subsaharienne, minoritaire à peu près partout, et jamais suffisante pour se constituer en maquis armé. A l’exception du Cameroun, territoire sous mandat, avec l’UPC ; encore Ruben Um Nyobè justifiait-il son engagement initial par le refus de la France d’accorder aux Camerounais les mêmes droits qu’aux Français…

    *  *  *

    Sans qu’il faille évidemment s’en étonner, il est frappant d’observer qu’entre 1945 et 1958, jamais la question de l’instauration de l’égalité politique ne fut posée au peuple, pas plus aux populations métropolitaines qu’à celles de l’Outre-Mer.

    Sous la IVème République, à la quasi-absence de référendums sur l’autodétermination des populations d’outre-mer répondit l’absence de référendum sur l’octroi de l’égalité politique aux populations d’outre-mer posée (ou plutôt pas posée !) aux Métropolitains. Il était bien sûr malaisé, pour la classe politique métropolitaine, de demander leur avis à des populations ultramarines qu’elle voulait abandonner contre leur gré… De même qu’il lui était délicat de consulter un peuple métropolitain dont elle n’approuvait, sur ce point précis, ni les convictions ni les choix…

    En effet, les enquêtes d’opinions de l’époque laissent à penser que si la question avait été posée aux Métropolitains, ceux-ci auraient majoritairement approuvé l’octroi de l’égalité politique pleine et entière aux Ultramarins, conformément d’ailleurs à l’esprit de la Constitution de 1946 et de la Révolution française. D’ailleurs en 1958, consacrant la naissance de la Vème République, les Français approuvèrent à 80% le projet du nouveau régime, dont la caractéristique majeure et  « fondatrice » était l’octroi de l’égalité pleine et entière aux Algériens, enfin accordée après quelque 130 ans de colonisation et plus de trois ans d’une guerre abominable. Ainsi 47 députés arabo-berbères prirent place au Palais-Bourbon, fait aujourd’hui bien oublié... Pour la première fois dans l’Histoire de France, un groupe de populations d’outre-mer était représenté à l’Assemblée nationale en proportion de son poids démographique. Il s’agissait ni plus ni moins que d’une révolution…

    Selon toute vraisemblance, si les populations ultramarines avaient été librement consultées, elles auraient pour la plupart approuvé, comme l’écrasante majorité de leurs leaders, Félix Houphouët-Boigny, Léopold Sédar Senghor, Léon Mba, Hamani Diori, Lamine Guèye, Ahmed Sékou Touré, Modibo Keita, Barthélémy Boganda, etc., la création d’un ensemble franco-africain républicain, égalitaire et fraternel. On sait que les populations africaines ne furent d’ailleurs pas consultées, puisqu’à la veille des indépendances africaines, la très méconnue Loi 60-525 (mai-juin 1960) permit, au prix d’une quadruple violation de la Constitution qui provoqua de sérieux remous à l’époque, de déposséder la totalité des populations d’Afrique noire du droit à l’auto-détermination sur la question de l’indépendance. On sait aussi que dès octobre 1958, le gouvernement français avait refusé la départementalisation au Gabon, en violation de l’article 76 de la Constitution. L’épisode demeura longtemps un secret d’Etat, et ne fut finalement révélé que vingt ans plus tard par l’un de ses principaux protagonistes, l’ancien gouverneur Louis Sanmarco, et confirmé ultérieurement par le Mémorial du Gabon et par Alain Peyrefitte.

    Si le petit Gabon (à peine 400.000 habitants à l’époque) en était arrivé à espérer pouvoir obtenir ce que seules les Quatre Vieilles (Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion) étaient parvenues à arracher de haute lutte en 1946, c’est qu’en mai-juin 1958, avait eu lieu une révolution qu’il faut bien dire incroyable, et aujourd’hui oubliée…

    *  *  *

    Cette révolution, cette « République de 58 » fut portée par le général de Gaulle. Elle était d’ailleurs conforme à l’histoire de la France et à son idéologie officielle, comme en écho à la Révolution française dont elle était une forme d’accomplissement tardif. La France, grosse de ses populations africaines, en tenant enfin les promesses qu’elle avait toujours faites, assumait soudain son modèle et lançait du même coup à la face du monde comme à elle-même un défi sans précédent. Une sorte d’« antinazisme » en avance de plusieurs décennies sur tous ses rivaux, en particulier les Etats-Unis, encore quant à eux à l’âge de la ségrégation. Dix ans plus tard, à Mexico, les athlètes noirs américains lèveraient toujours un poing ganté. 

    Cette nouvelle révolution française ne tenait pas du hasard : la France avait, de longue date, au-delà des belles promesses, fait une place aux Nègres dans ses assemblées et ses gouvernements. Parfois au plus haut niveau, comme avec Gaston Monnerville, président du Sénat, ou Félix Eboué, gouverneur de l’AEF (Afrique Equatoriale Française).

    Or l’octroi de l’égalité politique – pierre de touche du passage de l’Etat colonial  à l’Etat républicain – induisait le passage à l’Etat multiracial, et à terme le métissage à grande échelle de la France et de son personnel politique, avec à la clef un Africain à la tête de l’Exécutif. En outre, l’opération, en plaçant le pouvoir du bulletin de vote, sans restriction, entre les mains des citoyens ultramarins, menaçait directement le colonialisme, ses exploitations et ses crimes.

    On le devine, de telles perspectives inquiétaient dans certains milieux français, et à vrai dire dans tous les états-majors politiques, de droite comme de gauche. Car pas plus qu’ailleurs, le racisme et l’appât du gain en France ne sont le monopole de la droite…

    Coule de source le parti que les Etats-Unis et l’Union Soviétique purent tirer de ces convulsions. On sait comment leurs réseaux, de l’ONU aux grands-messes des « Non Alignés » en passant par leurs chantres et adeptes français, servirent l’issue finale : la liquidation de l’ensemble franco-africain, sous le prétexte très officiel et noble du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

    Nous n’avons pas ici la place d’étudier tous les méandres qui, sous les feux de la rampe et dans l’ombre du pouvoir parisien, conduisirent au démantèlement de l’ensemble franco-africain. Il convient toutefois d’insister, en rappelant que la révolution égalitaire eut bien lieu en France, en mai-juin 1958, et que nous touchons là au cœur du second problème. 

    *  *  *

    1958-1962 est la chronique d’une révolution qui répondait au vœu des Ultramarins et du peuple français, qui eut bien lieu, fut démocratiquement approuvée, et fut ensuite assassinée. 

    Car en lieu et la place de la révolution de 1958 triompha une véritable contre-révolution, marquée par de terrifiantes régressions. Grâce à la collusion d’une grande partie de la classe politique, et de la volonté d’un homme « hors norme » : Charles de Gaulle.

    L’extrême gravité, l’exceptionnelle ampleur de ce scandale impose encore aujourd’hui l’omerta. Deux ou trois tours de passe-passe, dont l’usage trompeur du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » est l’un des exemples éclatants, servent d’écran de fumée.  Dans cet esprit, on évite de revenir sur ce qui s’est réellement passé à l’époque. Sur le chapitre, quelques clichés et beaucoup d’amnésie tiennent lieu de mémoire collective. Signe des temps, le cinquantenaire de la Vème République, en 2008, a été commémoré sur la pointe des pieds. Car à force, même si on ne veut pas savoir, on sait. Au reste, en l’an 2010, dans les coulisses des appareils, de l’Elysée au Colonel Fabien ou rue de Solférino, ont cours des formules telles que : « C’est vrai que l’indépendance fut imposée aux Africains, mais on ne peut pas le dire. » Parole d’orfèvre quand le silence est d’or…

    En mai-juin 1958, et dans les mois qui suivirent, la révolution égalitaire eut lieu. Portée par le général de Gaulle appuyé sur l’armée, au prix d’un quasi coup d’Etat militaire. Investi par la force, de Gaulle  fut triomphalement élu sur le programme de l’Intégration, annoncé par ses soins, non sans emphase, à Alger et à Mostaganem, devant des foules en délire. C’est que pour justifier son retour aux affaires et le moyen employé pour y parvenir – le coup d’Etat – de Gaulle ne pouvait que se réclamer d’un programme hautement démocratique et républicain : ce qu’il fit.

    Le programme que de Gaulle affirmait vouloir appliquer rejoignait, à trois ans de distance, les conclusions énoncées par Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques (1955) et défendues par son ami Jacques Soustelle, ancien militant anti-fasciste et anti-raciste dans les années 1930, ancien de la France libre, ethnologue de réputation internationale, grand gaulliste de gauche, ancien gouverneur général d’Algérie nommé sous le Ministère Mendès France, en 1955. Soustelle, aujourd’hui, fait figure de fasciste, au même titre que Georges Bidault, ancien successeur de Jean Moulin à la tête du CNR pendant la Résistance. Il est vrai que tous deux firent partie des rares hommes politiques français qui s’opposèrent à de Gaulle…

    Ce premier programme de la Vème République que Soustelle et Bidault défendirent jusqu’à l’exil valait bien, du reste, celui que de Gaulle appliqua finalement…

    Ne serait-ce que parce que ce premier programme avait le mérite de répondre à la principale revendication des populations africaines, y compris algériennes, à savoir l’égalité dans la fraternité, dont le refus par l’Etat français avait poussé certaines d’entre elles, en particulier l’algérienne, à s’engager dans la lutte armée. Au demeurant, parmi les sympathisants indépendantistes, nombreux auraient volontiers troqué l’indépendance contre l’égalité, encore en 1958. C’est ainsi que la Casbah d’Alger, le 16 mai 1958, avait rallié le mouvement lancé le 13 par les Pieds-Noirs sous l’œil bienveillant de l’armée. Par la suite, on dénonça une manipulation des militaires (qui avaient effectivement joué les émissaires dans la Casbah), tandis que sur ce mouvement de fraternisation, bien réel, vacillait non seulement le destin de l’Algérie, mais aussi celui de tout l’ensemble franco-africain. Comme l’expression soudaine d’un murmure profond et ancien. Ce que la République avait toujours promis et n’avait jamais su tenir, voici que la France, par de Gaulle, s’engageait solennellement à l’accomplir, à la faveur des fraternisations des populations et du soulèvement de l’armée !

    Mais le miracle n’en était pas un : l’« officier de filiation nationaliste et conservatrice voire monarchiste », admi-rateur de Maurras et grand lecteur de Barrès, comptait faire l’exact contraire de la révolution égalitaire interraciale et multi-civilisationnelle qu’il annonçait. Les « Arabes » et les « Nègres » à ses yeux ne pouvaient être « Français », incompatibles comme huile et vinaigre. Il leur promettait monts et merveilles fraternelles pour se les mettre dans la poche, en même temps que l’armée et le reste du pays. Pour mieux n’en faire qu’à sa tête, puisqu’il se pensait mieux placé que quiconque pour juger de l’intérêt, et de l’identité, de la France. 

    Elu triomphalement sur le programme de l’Intégration, c’est-à-dire de l’égalité politique pleine et entière accordée aux Algériens dans le respect de la personnalité musulmane, De Gaulle tissa dès lors patiemment sa toile. 

    Cachant son jeu, brouillant les pistes, maniant à l’envi mensonge et double langage, il fit progressivement volte-face, insinuant le doute puis la peur parmi les populations algériennes. Pour ce faire, il détruisit méthodiquement l’ensemble franco-africain, l’Afrique noire servant finalement de levier pour extirper le cas algérien. En liaison continue avec les Etats-Unis (le contact ne fut jamais rompu entre de Gaulle et les Américains, depuis la guerre jusqu’en 1958 ; revenu au pouvoir, il leur rendit compte régulièrement de l’avancée de ses « travaux »), puis avec l’appui des Soviétiques et surtout de leurs relais en France, sous le regard vigilant de l’ONU, il musela les populations, au besoin les terrorisa, dans le droit fil de la IVème République, avec la complicité active ou passive de la classe politique métropolitaine qui en était issue. Last but not least pour ce qui est de convaincre les milieux autorisés et les foules, une grande partie de l’intelligentsia française, libérale, communiste ou catholique, soudain beaucoup moins regardantes en matière de droits de l’homme et de « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » (sans pour autant cesser de s’en réclamer), lui prêta main-forte. Le tout à grand renfort de propagande et de manipulations parfois sanglantes, et de vent de l’Histoire soufflant depuis Washington et Moscou, en passant par Le Caire et Pékin. 

    Sans doute eût-il fallu destituer le président de la République, puisqu’en détruisant l’ensemble qu’il avait promis de maintenir, il trahissait radicalement le mandat reçu du peuple, en piétinant pour y parvenir la démocratie et la Constitution, les principes les plus fondamentaux de la République, après avoir fait un coup d’Etat militaire. 

    Or on sait qu’il n’en fut rien. De Gaulle ne fut pas destitué. Au contraire, il fonda un nouveau régime, qui est encore le nôtre aujourd’hui.

    Evidemment, depuis cinquante ans, le système a, du moins officiellement, connu son chemin de Damas sur le chapitre raciste. Aucun mérite à cela, même les Etats-Unis, qui partaient pourtant de fort loin, se sont fait un président noir, ou supposé tel. Mais au-delà de ses métamorphoses ou de ses liftings, le système fondé il y a cinquante ans a survécu jusqu’à nous, et partage avec lui-même ses petits secrets et ses tabous.

    Au cœur du non-dit, l’assassinat de la Vème République égalitaire par son double inversé, la Vème République blanciste, qui bien qu’ayant toutes les caractéristiques d’un fascisme français – un fascisme « mou » – accusa ses adversaires d’être collectivement des fascistes... La puissance et la diversité de ses soutiens et alliés objectifs rendirent cette rhétorique efficace, en France comme à l’étranger. Dans pareil étau, l’unité franco-africaine égalitaire, la grande thèse défendue par les Africains et l’avant-garde de l’école anthropologique française, fut définitivement contrée. La puissance de l’anathème et du manichéisme, au service en dernière analyse de l’inversion des rôles, s’ajoutant à l’habileté, à la duplicité, au cynisme, à la détermination mais aussi au prestige de l’« Homme du 18 juin », du « plus illustre des Français », conduisirent à la victoire finale de son projet, c’est-à-dire au comble de la transgression politique.

     

    *  *  *

    Nous touchons ici au cœur de l’inavouable, de l’inassumable. Nous touchons à l’impossibilité du dire que nous évoquions plus haut.

    Faut-il s’étonner que pareils motifs et collusions se soldèrent par une vaste régression démocratique, sociale, économique au sud de la Méditerranée, selon un apartheid organisé à l’échelle intercontinentale, l’ensemble franco-africain continuant d’être, en grande partie, téléguidé depuis l’Elysée ? 

    Contenu dans l’idée même de la prétendue « décolonisation » gaullienne, le néocolonialisme était né, aux dépens d’une Afrique transformée en ring d’affrontement de tous les appétits, dont ceux, sans surprise, des Américains et des Soviétiques ou de leurs amis ou alliés. 

    Mais si le contexte international pesa de tout son poids, son importance ne doit pas être exagérée. 

    Avant tout, le largage de l’Afrique ne fut rendu possible que par les efforts conjugués de la classe politique métropolitaine, en particulier d’une gauche fourvoyée car aveuglée et manipulée (et méconnaissant souvent profondément l’Afrique), au mépris de populations muselées, dont il fut finalement convenu d’affirmer qu’elles souhaitaient ardemment l’indépendance, ou qu’elles devaient la prendre. Tout fut mis en œuvre dans ce sens, notamment en termes de propagande.

    Par la suite, une fois le largage accompli, il fallut conjurer tout retour à une revendication d’unité franco-africaine. Plus que jamais, on martela que l’indépendance avait été le fruit de l’ardente volonté des peuples, au nom du « droit de peuples à disposer d’eux-mêmes », bien que ceux-ci ne furent pour ainsi dire jamais consultés.  De la période coloniale, on brossa de plus en plus un tableau apocalyptique, pour justifier la soif d’indépendance. Or si l’histoire coloniale française avait eu son lot d’abomination et de crime contre l’humanité, si elle avait charrié le mépris du Nègre et, nous l’avons vu, le déni démocratique plus souvent qu’à son tour, elle pouvait aussi s’enorgueillir d’avoir simultanément proclamé la dignité de l’homme noir, en allant jusqu’à lui donner accès aux plus hautes fonctions politiques – ce que la France actuelle, qui juge si impitoyablement cette France ancienne, est bien incapable de faire. Et pour cause…

    Le système tout entier de la Vème République blanciste s’est construit autour de ce mensonge fondamental aux conséquences vertigineuses.  

    Comment restituer l’enfer de misère, de souffrance, de tragédie, de terreur parfois, que connurent, hier comme aujourd’hui, des millions d’hommes à travers les dizaines de pays anciennement colonisés par la France ? 

    Comment décrire les ravages de l’histoire fictive qu’on raconte depuis des décennies à la jeunesse pour noyer le poisson ? La jeunesse française d’origine africaine peut-elle aisément aimer un pays dont on lui répète que ses arrière-grands-parents le détestaient et voulurent à toute force s’en séparer, après qu’il les eut patiemment écrasés et relégués au rang de bête ? Quand les zoos humains, la guerre d’Algérie et la torture effacent définitivement Lyautey, les Quatre Communes et Gaston Monnerville.

    C’est l’ampleur du désastre autant que les culpabilités et la perversité des mensonges qui embarrassent les responsables (et nous avons ci-devant la totalité de la famille politique française, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite en passant par le centre, intellectuels compris), faites de complicité ou d’aveuglement, et rendent l’aveu indicible.

    Car au fond, ce sont les plus hauts principes auxquels nous sommes tous attachés, et qui furent longtemps l’apanage de la France : liberté, égalité, fraternité, démocratie et esprit républicain, rejet du racisme, laïcité, bref une précieuse idée de l’humanisme et des Lumières, qui furent ensemble sacrifiés par la « décolonisation » gaullienne. Au plus grand mépris du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », pourtant perpétuellement présenté, suprême hypocrisie, comme l’idée directrice.

    Pour notre génération, pareilles impostures et transgres-sions sont évidemment difficiles à approuver, et par conséquent difficiles à assumer pour leurs auteurs. Et à avouer.

    La Vème République blanciste, l’Etat gaullien a privé la France de sa vocation africaine, sa vocation est donc revenue à elle. Sous nos yeux, la France s’africanise à grande vitesse, et s’africanisera de plus en plus à mesure des années. Il nous est permis de continuer à le refuser, et d’aller au désastre. Il nous est également possible de l’assumer, en acceptant que la France est d’ores et déjà, pour partie, un pays africain, et ce depuis des décennies, et même des siècles. Mais pour embrasser ce beau devenir, ce bel avenir qui ressemble à des retrouvailles tellement espérées, il faut d’abord une fois pour toutes solder un passé odieux qui nous a tous trahis. En disant ce qui s’est réellement passé, pour pouvoir enfin bâtir, entre égaux, sur des bases saines. Et conformément au « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », de pouvoir vivre ensemble et de se mêler s’ils le désirent.

    Puisse l’année 2010 être le moment des aveux. La balle est dans le camp de la Gauche, mais aussi dans celui de Nicolas Sarkozy. Et de l’Afrique, et des Africains.

     

    Article publié sur le site Afrik.com, le 24 mars 2010

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Alors que la Marseillaise a été une nouvelle fois 

    conspuée au Stade de France…

     

    Aux origines du mal 

    ou 

    L’Affaire gabonaise (1958)

     

     

    Il y a tout juste cinquante ans, le général de Gaulle violait la Constitution pour débarrasser la France de ses populations d’Afrique. Ça se fête… en sifflant ?

     

    Lors du référendum du 24 septembre 1958, les populations gabonaises approuvèrent par 92% l’adhésion du Gabon à la Communauté française. Forts de ce résultat, le Conseil de gouvernement du Gabon et son président, Léon Mba, mandatèrent le gouverneur Louis Sanmarco à Paris, afin de négocier la départementalisation du Gabon.

    Reçu par le ministre de l’Outre-Mer, Bernard Cornut-Gentille, Louis Sanmarco essuya un refus tonitruant :

    « Sanmarco, vous êtes tombé sur la tête !... N’avons-nous pas assez des Antilles ???? Allez, l’indépendance comme tout le monde !  »

    Contrairement à ce que pourrait laisser à penser la réaction du ministre, la demande de départementalisation formulée par Louis Sanmarco au nom du Conseil de Gouvernement du Gabon n’était pas une lubie sortie tout armée du fantasque esprit africain.

    En effet, l’article 76 de la Constitution disposait que : 

    « Les territoires d'outre-mer peuvent garder leur statut au sein de la République. S'ils en manifestent la volonté par délibération de leur assemblée territoriale (...), ils devien-nent soit départements d'outre-mer de la République, soit, groupés ou non entre eux, Etats membres de la Communauté. »

    Autrement dit, aux termes de la Constitution, chaque territoire d’outre-mer pouvait soit demeurer un territoire d’outre-mer, soit devenir un Etat lié à la République française au sein de la Communauté, soit enfin devenir un département.

    La demande de départementalisation du Gabon s’inscri-vait donc strictement dans le cadre constitutionnel. Par conséquent, en la rejetant, le gouvernement métropolitain violait la Constitution. 

    Le général de Gaulle expliqua à Alain Peyrefitte : « Nous ne pouvons pas tenir à bout de bras cette population prolifique comme des lapins (…). C’est une bonne affaire de les émanciper. Nos comptoirs, nos escales, nos petits territoires d’outre-mer, ça va, ce sont des poussières. Le reste est trop lourd». « (…) Et puis (il baisse la voix), vous savez, c'était pour nous une chance à saisir : nous débarrasser de ce fardeau, beaucoup trop lourd mainte-nant pour nos épaules, à mesure que les peuples ont de plus en plus soif d'égalité. Nous avons échappé au pire ! (...) Au Gabon, Léon Mba voulait opter pour le statut de département français. En pleine Afrique équatoriale ! Ils nous seraient restés attachés comme des pierres au cou d'un nageur ! Nous avons eu toutes les peines du monde à les dissuader de choisir ce statut. Heureusement que la plupart de nos Africains ont bien voulu prendre paisiblement le chemin de l'autonomie, puis de l'indépendance ».

    Sachant que les 450.000 habitants du Gabon, tout nègres qu’ils fussent, représentaient à peine 1% de la population métropolitaine, on peut s’étonner que le gouvernement français ait refusé la départementalisation par crainte du métissage et des dépenses qu’une telle opération aurait impliquées.

    Mais c’est qu’en réalité, sous l’affaire gabonaise perçait la vaste question africaine… 

    De Gaulle, expert dans l’art politique, savait qu’en répondant favorablement à la demande gabonaise en application de l’article 76, il aurait créé un fâcheux précédent. Paris n’aurait plus été en position de refuser la même départementalisation aux nombreux territoires d’Afrique qui auraient trouvé avantages (économiques, sociaux et politiques) à la réclamer eux aussi. Une telle réaction en chaîne aurait anéanti le projet du président de Gaulle… Un véritable cauchemar, dans lequel Léon Mba aurait joué, à la fois, le rôle d’éclaireur et de détonateur, tandis que le Général aurait chaussé, à son corps défendant, les guêtres palmées du dindon de la farce…

    Selon Louis Sanmarco, lors de son entrevue au sujet de la demande gabonaise de départementalisation, le ministre parla d’« indépendance » alors qu’on était seulement en octobre 1958, date à laquelle l’indépendance des territoires d’Afrique noire n’était pas à l’ordre du jour, officiel-lement, du point de vue gouvernemental. Au contraire, la Communauté française était censée permettre de maintenir, dans un cadre semi-fédéral, l’unité franco-africaine. S’agit-il donc d’un lapsus ?

    Sans doute. Car à l’aune des événements ultérieurs – en particulier l’effarante et très méconnue Loi 60-525, qui, marquée par de multiples violations de la Constitution, permit en mai-juin 1960 de priver in extremis les populations africaines de référendum sur la question pourtant cruciale de l’indépendance, afin de les empêcher d’entraver, par leurs voix, le démantèlement de l’ensemble franco-africain –, il est possible de suspecter que la désintégration de la Communauté était programmée depuis octobre 1958, soit dès sa création…

    En fait, le largage des populations d’Afrique subsaharienne décidé par le Général découlait de la           « certaine idée » que, de son aveu-même, il s’était             « toujours » faite de la France : « un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne»… 

    Bien que d’une exceptionnelle gravité, ces états de fait ne semblent pas avoir dérangé grand monde dans les milieux politiques et intellectuels français de l’époque. Faut-il croire que, lorsque le consensus est suffisant, on peut passer outre la Constitution et bafouer les principes les plus fondamentaux de la République, sans que personne ne s’en émeuve, ou presque ? Amer constat, auquel s’en ajoute un autre… .

    Cinquante ans plus tard, de tels agissements ne portent nulle ombre sur le général de Gaulle. Année après année, ce dernier continue d’être présenté, par la droite comme par la gauche, avec la complicité du monde intellectuel et des médias, comme une espèce de saint républicain. Faut-il que le président Sarkozy lui-même soit bien mal conseillé, pour qu’il ait tressé, sans la moindre réserve, sans la plus petite nuance, de formidables couronnes de lauriers au fondateur de la Vème République blanciste, lors de l’inauguration du Mémorial de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises, le 11 octobre 2008 ? Comme un fait exprès, quatre jours plus tard, la Marseillaise était sifflée et huée au Stade de France… 

    Coup d’Etat militaire de mai 1958, trahison de la mission qu’il s’était solennellement assignée et au nom de laquelle il avait renversé la IVème République puis obtenu le mandat du peuple, violations multiples et caractérisées de la Constitution, Affaire gabonaise, Loi 60-525, défiance confinant au mépris pour les populations d’outre-mer… On finit par se demander ce qu’il faudrait mettre au jour et démontrer pour que le Général cesse d’être une idole glorifiée jusqu’au ridicule, et absoute de tous ses manquements, pour ne pas dire plus.

    Devant un tel aveuglement de nos contemporains et de nos élites, on peut s’en remettre à la psychanalyse, et rêver que les nouvelles générations « tuent le père » plus facilement que leurs aînés.

    On peut aussi emprunter le sourire du sage, en se disant que décidément, cette espèce humaine est bien malléable, puisqu’elle reste fidèle à l’absurde contre toute évidence et y compris à son propre détriment. Il y aurait tant à dire sur l’histoire fictive (prétendues aspiration des populations africaines à l’indépendance, révoltes nationalistes généralisées, détestation collective de la France, et réci-proquement, oblitération de l’aspiration des populations d’outre-mer à l’unité franco-africaine, du sentiment d’appartenance à la République française – ou franco-africaine –, de l’amour fou des Africains pour la France, refoulement de la culpabilité des élites métropolitaines en rupture avec les élites africaines, mais aussi avec les populations ultramarines et métropolitaines, disposées quant à elles à l’égalité politique, etc.) que la Vème République, mobilisant école, université et médias, a répandue pour masquer l’histoire réelle et justifier le divorce franco-africain ; histoire fictive, histoire de haine, dont est pétrie, notamment, la jeunesse des banlieues françaises, en grande partie d’origine africaine et nord-africaine, histoire fictive, histoire de haine qu’elle prend pour vraie et qu’elle endosse avec passion, et qui la conduit à détester la France et à conspuer son hymne… Sans que personne n’y comprenne grand-chose, tant la mécanique du refoulement de l’histoire réelle et du triomphe de l’histoire fictive a brouillé les pistes…

    *  *  *

    Parmi les gaullistes indéfectibles, combien seraient prêts à approuver tout ce dont le de Gaulle « décolonisateur » s’est rendu coupable ? Pour s’en tenir à deux exemples, quel actuel admirateur déclaré du Général serait capable d’adhérer aux choix et agissements de son idole dans l’Affaire gabonaise ou au sujet de la Loi 60-525 ?

    Or il ne s’agit pas là de points de détail, mais d’épisodes historiques de toute première importance. Car si le Gabon avait obtenu la départementalisation, si les peuples d’Afrique avaient effectivement pu disposer d’eux-mêmes et de leur avenir, c’est le destin de toute une partie du continent noir, et de la France, qui en eût été changé. Et en termes de démocratie, de justice et de sécurité sociales, ce sont des millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui auraient échappé aux affres du néo-colonialisme, du sous-développement et de la tyrannie.

    Sous nos yeux, les Antilles donnent l’exemple de territoires ultramarins restés dans la République. Certes, tout n’est pas rose aux Antilles. Sans doute le fait que la France ait répudié l’Afrique, ait refusé sa vocation africaine et son métissage en particulier avec le monde noir, ne contribue-t-il pas à mettre les Antillais très à l’aise dans une France blanciste qui leur tourne le dos. Au demeurant, est-il besoin d’aligner les chiffres pour démontrer qu’il fait souvent meilleur vivre dans ces territoires demeurés ancrés dans la République que dans ces Etats africains devenus souverains contre leur gré et qui furent livrés, également contre leur gré, à la dictature et au néocolonialisme – tous scandales que la départementalisation eût interdits.

    Aux partisans et autres laudateurs du Général « décoloni-sateur », libéraux, blancistes, staliniens, trotskistes ou encore simples naïfs, il restait jusqu’à présent la conviction bien huilée selon laquelle les peuples voulaient cette indépendance qui, enrobée dans du papier d’argent, leur fit tant de mal. Démonstration est faite, concernant le Gabon en particulier, que ceci n’est qu’un mythe fabriqué par tous ceux qui, pour des raisons diverses, voulurent séparer ou débarrasser la France de ses territoires et populations d’outre-mer.

    Jusqu’à quand les hommes de bonne volonté, les hommes honnêtes continueront-ils à mentir, à se tromper ou à faire l’autruche ? 

    Sont-ils donc incapables, tous ces intellectuels et tous ces hommes politiques français, de dire :

    « Toute proportion gardée, il y a eu deux de Gaulle, comme il y a eu deux Pétain. Il y a eu le glorieux de Gaulle chef de la France libre comme il y a eu le Pétain héros de Verdun. Et puis il y a eu l’autre de Gaulle, le de Gaulle obscur, celui de la décolonisation, auteur d’une criminelle imposture contraire aux principes les plus fondamentaux de la République, comme il y a eu le Pétain de Vichy, auteur d’une criminelle imposture contraire aux principes les plus fondamentaux de la République ».

    L’urgence est pourtant là, qui commanderait de restituer l’histoire dans sa complexité inavouée, quand l’Afrique n’en finit pas de s’abîmer ou de mourir, et que la désagrégation de la France, jusque dans les plus intimes profondeurs de son cœur, se donne en spectacle sous les regards du monde. Dans le gigantesque stade qui porte son nom.

     

    Article publié sur le site Rue89, le 22 octobre 2008

     

     

     

     

     

     

    Aimé Césaire :

    Une clef gravée

    du mot « assimilation »

     

    Il y a un peu plus d’un an, disparaissait Aimé Césaire. Depuis lors, beaucoup de choses ont été dites au sujet du grand théoricien, immense poète et praticien controversé de la Négritude… Le moment est peut-être arrivé, tandis que les « Etats Généraux de l’Outre- Mer » marchent sur des œufs et qu’un certain Nicolas Sarkozy vient de rendre hommage à l’Armée d’Afrique, de remettre deux ou trois pendules à l’heure. Et en chemin, pourquoi pas, de ramasser quelques vieilles clefs par terre, dans la poussière, gravées de ce mot étrange : « assimilation »…

    Voici les mots exacts de Césaire en tant que rapporteur du projet de loi sur la départementalisation des « Quatre Vieilles » (Antilles, Guyane, Réunion) en 1946 : 

    « Terres françaises depuis plus de trois cents ans, associées depuis plus de trois siècles au destin de la Métropole, dans la défaite ou dans la victoire, ces colonies considèrent que seule leur intégration dans la patrie française peut résoudre les nombreux problèmes auxquels elles ont à faire face. Cette intégration ne sera pas seulement l’accomplissement de la promesse qui fut faite en 1848 par le grand abolitionniste Victor Schœlcher, elle sera aussi la conclusion logique d’un double processus, historique et culturel, qui, depuis 1635, a tendu à effacer toute différence importante de mœurs et de civilisation entre les habitants de France et ceux de ces territoires et à faire que l'avenir de ceux-ci ne peut plus se concevoir que dans une incorporation toujours plus étroite à la vie métropolitaine ».

    Ce passage contredit des positions trop souvent prêtées au Césaire de l'époque (et que Césaire se fit prêter par d’autres, a posteriori...), quant à son obsession de la spécificité « civilisationnelle » des Antilles, son opposition radicale à toute tentative d’assimilation, en particulier au plan culturel...

    Des positions trop souvent prêtées à Césaire

    C’est qu’en réalité, à l’époque, la notion d'assimilation – conçue d’abord dans son sens politique ou administratif, et non pas dans son sens culturel : nuance… – est incluse dans l'idée de départementalisation.

    Césaire, dans son rapport du projet de loi, expliqua d'ailleurs à ce sujet : « (...) les Antilles et la Réunion ont besoin de l’assimilation pour sortir du chaos politique et administratif dans lequel elles se trouvaient plongées ».

    Ici, Césaire parlait, évidemment, d'assimilation politico-administrative...

    On confond souvent assimilation culturelle et assimilation politico-administrative. A cette dernière, très peu s’opposèrent outre-mer, les réticences étant bien davantage, sur ce point, métropolitaines.

    Quant à l’assimilation culturelle, à cette date, sa question se posait en des termes sensiblement différents de ce que certains veulent bien dire aujourd'hui.

    Les représentants des Quatre Vieilles réclamaient l'assimilation politique et administrative (à laquelle le gouvernement métropolitain était, répétons-le, extrême-ment réticent), sans craindre pour autant l'assimilation culturelle, comme en témoigne la formule de Césaire :

    « (…) un double processus, historique et culturel, qui, depuis 1635, a tendu à effacer toute différence importante de mœurs et de civilisation… » 

    Comment l’auteur de Cahier d'un retour au pays natal pouvait-il ainsi parler en 1946 ?

    La clef du mystérieux Césaire « assimilationniste »

    La clef de ces petits mystères réside dans le fait que derrière la question antillaise, se tenait en embuscade la gigantesque question africaine, et mieux encore, comme Césaire le dit sans ambages en ouverture de son rapport, celle de « l’Empire » tout entier. Or, touchant à la question noire, qui intéresse tout particulièrement Césaire,              « l’Empire » pesait de plusieurs dizaines de millions d’âmes, en rapide augmentation, face à une métropole de quarante-cinq millions d’habitants. Sans parler de l’ensemble maghrébin (dix-huit millions), voire de l’ensemble indochinois (vingt-cinq millions), eux-mêmes en progression démographique constante…

    L’ambivalence, l’apparente contradiction des positions de Césaire, à la fois chantre de la Négritude dans les années 1930 et artisan de l’assimilation en 1946, se résout dans le pari que faisaient à l'époque la presque totalité des représentants Ultramarins, en particulier Antillais aussi bien qu'Africains.

    Un pari qui aujourd'hui, parce qu’il fut en définitive refusé et vaincu par le « blancisme » triomphant, est opportunément et presque totalement tombé dans l'oubli. Au point qu’il en est incompréhensible, tant dans sa profondeur que dans sa hauteur de vue, et qu’il n’est guère aisé, pour ces différentes raisons, de s’en servir pour éclairer l’Histoire…

    Nous appelons « blancisme » cette famille de pensée, de droite comme de gauche, qui estime que la France est avant tout une nation « de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne », et qu’elle se perdrait dans le métissage.

    Après le choc phénoménal de la Seconde Guerre mondiale et de la débâcle, l’épopée de la France Libre, l’héroïsme salvateur de l’Armée d’Afrique et la victoire sur le nazisme, les temps semblaient mûrs pour que les promesses révolutionnaires de la défunte IIIe République et de la IVème naissante fussent tenues. Née dans un contexte d’extrême négation et oppression de l’humanité nègre, la Négritude, âpre et combattante dans les années 1930, s’apaisa, s’adoucit naturellement dans le contexte de l’immédiat après-guerre, pour assumer sa dimension         « pan-humaine » et sa vocation de creuset universaliste.

    De l’assimilation politique à l’assimilation réciproque

    Aux yeux de la plupart des représentants ultramarins, l'assimilation politique et administrative, c'est-à-dire, dans les faits, l'égalité politique et sociale, non seulement protègerait les populations antillaises et africaines contre le colonialisme, mais elle assurerait aussi leur développement économique et social, leur bien-être quotidien, leur épanouissement et leur rayonnement culturel…

    De là, cette assimilation serait promise à la réciprocité : la francisation de l'Outre-Mer s’accompagnerait nécessai-rement, grâce à la loi du nombre conjuguée au principe d’égalité, de l’« ultramarinisation » de la France... Grâce à l’intégration-assimilation à double sens, au sein de la grande République Franco-Africaine, émergerait progres-sivement mais inéluctablement une vaste culture hybride traversée de milles liaisons, interactions et ramifications internes et souterraines, où l’élément nègre et l’élément blanc seraient bientôt confondus, avec d’autres sans doute...

    Césaire comme ses collègues savait que, dans un rapport de force beaucoup plus inégal, trois siècles de broyeuse esclavagiste et colonialiste n’étaient pas parvenus à effacer les mânes africains des Antilles. Au pire, elle les avait rongés, enrobés ou dérobés ; au mieux, elle les avait métissés, infusés ou métamorphosés…

    Dans ces conditions, comment la République franco-africaine, égalitaire et fraternelle, pourrait-elle sonner le glas de l’âme nègre ou de la civilisation africaine ?

    Au lieu de se dissoudre en s’alliant avec la France et, au-delà, avec l’Europe entière, le génie nègre assurerait son essor et son déploiement, son expansion et sa mutation, tout comme le génie français ou européen, son frère, son double, son reflet étrange, pris dans le même mouvement réciproque et transhistorique… Cette alliance, cette rencontre des pôles, nègre et blanc, européens et africains, cette symbiose qu’appela de ses vœux Alioune Diop, fondateur avec Aimé Césaire de Présence Africaine, est le cri de toute une génération antillaise et africaine, et même, dans une large mesure, malgré tout, des suivantes…

    Le retour des problématiques identitaires 

    Pourtant, au cours des années 1950, dans les sphères intellectuelles, les problématiques identitaires, appelées à être dépassées par la fusion découlant de l'égalité et la fraternité dans l’assimilation mutuelle, refirent surface, en force. Non tant par un mouvement ou une poussée intérieure, que par réaction face à l'impossibilité d'obtenir ici et maintenant l'égalité réelle, que ce soit aux Antilles (les belles promesses d’égalité sociale liées à la départementalisation ne furent pas tenues...) ou, plus encore, en Afrique... Avec l’immense déni d’égalité, l’indécrottable mépris que cela suppose et sous-entend, qui venant s’ajouter aux meurtrissures de l’esclavage, du racisme, « scientifique » ou non, et du colonialisme, les ravivait insupportablement dans le clair esprit du philosophe et du poète… Le Nègre à nouveau flétri et menacé, la Négritude se refit donc combattive et âpre, selon un réflexe de légitime défense…

    Dans ce terreau de souffrances, de rêves et de déceptions, s’enracinent les évolutions ultérieures d'un Césaire ou d'un Senghor, les infléchissements de leurs positions, mais aussi leurs regrets professés en secret, et, parfois même, l'altération de leurs souvenirs de l'époque…

    Visitant en voisin la Côte d’Ivoire en 1957, le président ghanéen Kwamé N’Krumah, héros de l’indépendance et de la fierté africaines, s’extasia sur ce que l’Afrique et la France étaient en train de réaliser ici, prélude d’une admirable synthèse et d’une fraternité inconcevables pour un esprit débarqué du monde anglo-saxon de l’époque. Félix Houphouët-Boigny, ministre français et très grand homme politique ivoirien et africain lui répondit simplement :   

    « Vous avez choisi l’indépendance, nous avons choisi la liberté. »

    Une année plus tard, De Gaulle fit son coup d’Etat, et mit à peine deux ans pour acculer, en 1960, la Côte d’Ivoire à l’indépendance. Comme presque toute l’Afrique subsaharienne. Projetant les Antilles et les confettis de     l’ « Empire » dans un déchirant entre-deux-mondes. 

    Privée de sa réciprocité, sur fond de néocolonialisme, l’assimilation redevint odieuse. 

    Nous n’en sommes toujours pas sortis… 

     

    Article publié sur le site Camer.be, le 13 mai 2009

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    De Hitler

     

    au largage des Africains

     

     

    Le général de Gaulle et les hommes politiques métro-politains qui organisèrent la prétendue « décolonisation » avaient forcément lu Mein Kampf. « Tout Français doit lire ce livre », avertissait le maréchal Lyautey.

    « Un Etat africain sur le sol de l’Europe »

    Or on lit dans le livre de Hitler, publié en 1925-1926 :

    « (…) la France est, et reste, l’ennemi que nous avons le plus à craindre. Ce peuple, qui tombe de plus en plus au niveau des nègres, met sourdement en danger (…) l’existence de la race blanche en Europe. Car la contamination provoquée par l’afflux de sang nègre sur le Rhin, au cœur de l’Europe, répond aussi bien à la soif de vengeance sadique et perverse de cet ennemi héréditaire de notre peuple qu’au froid calcul du Juif, qui y voit le moyen de commencer le métissage du continent européen en son centre et, en infectant la race blanche avec le sang d’une basse humanité, de poser les fondations de sa propre domination. Le rôle que la France, aiguillonnée par sa soif de vengeance et systématiquement guidée par les Juifs, joue aujourd’hui en Europe, est un péché contre l’existence de l’humanité blanche (…) [l’]envahissement [de la France] par les nègres fait des progrès si rapides que l’on peut vraiment parler de la naissance d’un État africain sur le sol de l’Europe. »

    Le venin et ses brûlures

    Hitler avait de bonnes raisons de cracher son venin. A l’époque, en effet, et selon un crescendo jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la propagande officielle française proclamait fièrement l’égalité des races et, si elle ne l’appliquait encore que très imparfaitement, joignait le geste à la parole, en nommant des Nègres ministre (Blaise Diagne) ou vice-président de l’Assemblée nationale (Gratien Candace).

    Vingt à trente ans plus tard, nombre d’analyses, de stratégies et de motifs parfois contradictoires présidèrent à la décolonisation. Parmi eux, la crainte de la « bou-gnoulisation » de la France (selon l’expression, en coulisses, de Charles de Gaulle) et, partant, de l’Europe, tint une place éminente.

    L’éviction des populations d’Afrique répondait-elle, selon des voies souterraines, aux anathèmes du Führer ? En substituant l’alliance européenne à l’alliance africaine au lieu de l’y ajouter, sacrifia-t-on à d’obscurs démons ?

    De Gaulle expliquait en Conseil des ministres, en 1962 :   « Cette Europe, il faudra bien qu’elle se bâtisse un jour. On en parle depuis Jules César, Charlemagne, Othon, Charles Quint, Louis XIV, Napoléon, Hitler. »

    « La France ne serait plus la France »

    Au même moment, avec l’appui ou le consentement silencieux de ses alliés, le Général achevait le démantèlement de l’ensemble franco-africain. En choisissant d’offrir l’Algérie au FLN, meilleur garant d’un divorce franco-algérien irréversible. Au nom d’un principe que l’ermite de Colombey, revenu aux affaires par un putsch militaire et sur un programme totalement inverse, avait énoncé à l’Elysée, in petto, en 1959 :

    « Il ne faut pas se payer de mots ! C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. »

    Terrible héritage.

     

    Article publié sur le site Camer.be, le 13 juin 2010

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Trois « Harkis » assiègent

    le Palais Bourbon, Sarkozy, 

    et l’Histoire

     

    Depuis un mois et demi, Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, fille et fils de Harkis, « assiègent » le Palais Bourbon. A côté de l'Assemblée nationale, place Edouard-Herriot, ils dorment dans leur voiture et vivent sur le trottoir. Ils affirment qu'ils iront « jusqu'au bout ». 

    Leur objectif : que l'Etat français reconnaisse enfin officiellement ses éminentes responsabilités dans la tragédie des Harkis. Non par de belles paroles, mais par une loi. 

    « Nous ne sommes pas ici pour demander l'aumône. Ce qu'on veut, c'est la reconnaissance du martyre des Harkis et de leurs enfants. Les massacres, les camps, l'aliénation, le mépris. On se situe sur le terrain du symbole avec un grand S. » 

    Sur un panneau, ils ont collé la circulaire Joxe qui, en 1962, interdisait aux officiers de ramener les Harkis en France. Désarmés, les supplétifs de l'armée française furent, pour beaucoup, massacrés par le FLN. Heureusement, certains officiers choisirent de désobéir aux directives ministérielles… 

    De 45.000 à 150.000 partisans de la France massacrés selon les historiens

    D'un historien à l'autre, les estimations varient. Selon les uns, 45.000 Harkis furent massacrés au lendemain de l'indépendance algérienne. D'autres parlent de 90.000, voire de 150.000 victimes, englobant dans ce chiffre effroyable aussi bien les Harkis que les Algériens francophiles et les membres de leurs familles, alors désignés comme traîtres par les nouveaux maîtres du pays. 

    « On en a marre d'être traités de collabos par les jeunes des banlieues », martèle Abdallah Krouk. « Nos pères combattaient le FLN qui massacrait les Algériens à tour de bras. Il n'y a qu'à voir ce que l'Algérie est devenue depuis, ça saute aux yeux. Les Harkis voulaient, comme la majorité des Algériens, que l'Algérie reste un département de la République, dans l'égalité et la fraternité avec les Français. Comme la Réunion ou la Martinique. Si de Gaulle l'avait voulu, aujourd'hui l'Algérie serait autrement développée. Et tous les Algériens ne voudraient pas émigrer vers la France, puisqu'ils seraient à l'aise chez eux… et Français ! » 

    Chaque jour, les trois « assiégeurs » déploient leurs banderoles. Certains slogans prennent pour cible « les juges francs-maçons » et affirment : « La France est raciste. » 

    « On n'a plus rien à perdre. On veut provoquer un électrochoc. Si la France n'est pas raciste, si les francs-maçons sont des humanistes, alors pourquoi tous ceux-là ne font-ils rien pour nous, depuis tout ce temps ? A l'époque, pourquoi ne sont-ils pas venus nous sortir des camps ? Où étaient les droits de l'homme ? » 

    Une promesse électorale de Sarkozy

    Par mélange de désespoir, de rage et d'avidité d'attirer l'attention, Zohra, Abdallah et Hamid sont forcément enclins à de regrettables amalgames. Mais qui osera leur jeter la pierre outre mesure ? Hamid Gouraï explique : 

    « Longtemps, les hommes politiques nous ont dit en coulisse : soyez patients, quand les vieux gaullistes historiques seront morts, tout se débloquera… Maintenant, Messmer est mort depuis deux ans, et on attend toujours. Alors on est là et on ne bougera pas tant que Sarkozy ne tiendra pas ses promesses… » 

    Effectivement, pendant sa campagne présidentielle, le candidat de l'UMP avait annoncé : 

    « Si je suis élu, je veux reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l'abandon et le massacre des Harkis et d'autres milliers de musulmans français qui lui avaient fait confiance. Afin que l'oubli ne les assassine pas une nouvelle fois. » 

    Devenu chef de l'Etat, aurait-il changé d'avis ? Il faut avouer que le sujet est particulièrement explosif. Car derrière la tragédie algérienne, c'est le gigantesque mensonge de la décolonisation franco-africaine qui se tient en embuscade. A l'approche du cinquantième anniversaire des indépendances africaines (2010) et algérienne (2012), s'il s'avisait d'ouvrir sérieusement le terrible dossier Harkis, l'Elysée sait que c'est une véritable boîte de Pandore historique et politique qu'il ouvrirait du même coup. 

    Zohra Benguerrah répète calmement : 

    « La plupart des Algériens ne voulaient pas de l'indépendance, et surtout pas avec le FLN, cette minorité criminelle qui les terrorisait depuis des années ». 

    Hamid Gouraï enfonce le clou : 

    « A l'époque, la majorité des Algériens préféraient continuer de vivre en harmonie avec la France et les Français, dans un esprit fraternel. » 

    Abdallah Krouk s'emporte : 

    « Mais De Gaulle l'a dit, il avait peur que son village s'appelle Colombey-les-Deux-Mosquées. Alors il a préféré se débarrasser de l'Algérie… et de nous ! » 

    Un vieil homme, membre du HCR (Haut Conseil des Rapatriés), venu les soutenir, affirme : 

    « Evidemment que la majorité des Algériens ne voulaient pas de l'indépendance. Aujourd'hui encore, 75% d'entre eux préféreraient être Français. Organisez un référendum, vous verrez ! » 

    Et en Afrique subsaharienne ? 

    Si Nicolas Sarkozy reconnaissait les cruelles responsa-bilités de l'Etat français et de Charles de Gaulle dans la tragédie des Harkis… S'il avouait qu'il y a cinquante ans, la Vème République blanciste fit le choix de larguer l'Algérie mais aussi l'Afrique noire par crainte, selon le mot du Général, de la « bougnoulisation » du peuple français, et au nom de sordides calculs financiers… 

    A coup sûr, de tels aveux feraient plutôt mauvais genre dans la France d'aujourd'hui, et probablement l'effet d'une bombe dans le reste du monde… 

    Comment réagiraient Abdelaziz Bouteflika, les Africains et la communauté internationale, notamment Barack Obama ? En France, que diraient les intellectuels et la presse, souvent complices de l'imposture ? La gauche se priverait-elle d'une si belle occasion d'accuser Sarkozy d'être un infâme nostalgique de l'Empire et de l'Algérie Française ? Quant aux gaullistes « orthodoxes », le lui pardonneraient-ils ? 

    Face aux dangers vertigineux d'une telle configuration, les slogans en forme d'« électrochocs » des trois assiégeurs du Palais Bourbon paraissent bien dérisoires… 

    Car pour s'engouffrer dans pareil étau idéologique, il faudrait que l'Elysée soit un peu suicidaire ou tombé sur la tête. Si seulement Sarkozy pouvait vraiment devenir fou…

     

    Article publié sur le site Rue89, le 27 juin 2009

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Les Harkis, Mitterrand, Drucker : 

     

    Arcanes d’une omerta médiatique 

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    Samedi 10 octobre 2009, nous annoncions que Frédéric Mitterrand, invité le lendemain dans Vivement Dimanche sur France 2, parlerait des trois « Harkis », Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, qui assiègent l’Assemblée nationale depuis plus de cinq mois. Sous le silence religieux, presque absolu, des médias français…

    Dans ce contexte, l’intervention du ministre de la Culture a-t-elle finalement eu la puissance nécessaire pour briser la glace, et provoquer une révolution française, africaine, et enfin planétaire, comme nous l’envisagions alors ?

    Malheureusement, l’intervention de « Fred » eut lieu, de façon lapidaire, par vidéo interposée… En conséquence, l’info est passée presque inaperçue. A qui la faute ?

     « Et on ne fait pas attention à eux… »

    Si Frédéric Mitterrand, le dimanche 11 octobre 2009, a parlé des Harkis, ce n’est pas en plateau. En fait, l’évocation de l’épopée des trois assiégeurs du Palais Bourbon, qui exigent que l’Etat français reconnaisse ses éminentes responsabilités dans la tragédie qui frappa leur communauté, des massacres aux camps, s’est limitée à une séquence de quinze secondes, inscrite au milieu d’un reportage intitulé « La Journée d’un Ministre », diffusé à mi-parcours de Vivement Dimanche. En plein après-midi, tout de même, sur la deuxième chaîne du service public…

    Pendant ces quinze secondes, on voit Frédéric Mitterrand, après avoir siroté son café au zinc d’un beau troquet parisien, rendre visite aux trois assiégeurs du Palais Bourbon. La séquence est intitulée « Rencontre avec des Harkis », en lettres élégamment typographiées en bas d’écran.

    Premier plan : Fred s’approche d’une voiture où il surprend Zohra, le visage très fatigué mais souriante :       « Bonjour… Ça vous ennuie qu’on vous filme ? » demande-t-il, plein de tact, alors que la caméra de    France 2 tourne déjà…

    Plan suivant, Frédéric Mitterrand explique : « Vous voyez, ça fait quatre mois qu’ils sont là, un peu plus même, quatre mois et demi… Ils dorment dans la voiture… Parce qu’ils soutiennent une cause qui est juste… Et on ne fait pas attention à eux… C’est vraiment beaucoup de courage…»

    Pendant qu’il parle, plan fixe de cinq secondes sur une banderole où on peut lire : « Les Harkis sont victimes d’une atteinte d’un droit à la liberté d’information au public par les médias : où est la démocratie ? »

    Plan suivant : le beau Fred sert la main à Abdallah, enfourche son scooter et file vers d’autres horizons plus cossus…

    Erreur orthographique capitale

    Une scène ultérieure de « La Journée d’un Ministre » montre Fred au château de Compiègne, au moment de signer un livre d’or, plaisantant sur une faute d’orthographe commise sur son nom : il manque un R à Mitterrand… Zoom sur le livre d’or et la faute d’orthographe en question…

    Lorsque s’achève le reportage, retour en plateau. Michel Drucker, tout sourire sur ses coussins cramoisis, choisit alors de revenir, non pas sur les Harkis, mais… sur la faute d’orthographe ! 

    « Alors y’en a encore qui écrivent Mitterrand avec un R, certains avec un T…»

    Manifestement, les Harkis qui assiègent l’Assemblée nationale et l’Etat sarkozyen depuis des mois sous l’œil impavide des médias français, sont moins importants qu’un R oublié dans la graphie du nom Mitterrand sur un livre d’or, dans une certes très bourgeoise sous-préfecture de province…

    Pourquoi Michel Drucker a-t-il choisi de glisser discrètement sur un sujet qui est un tabou absolu ?

    La réponse est dans la question…

    Le vieux routier de la République blanciste

    En vieux routier de la Vème République blanciste (n’en doutons pas, à son corps défendant…), Michel Drucker sait parfaitement ce qu’il est permis de dire, et ce qui ne l’est pas. Evoquer fortuitement certains sujets, d’accord. Mais à condition de ne pas faire montre d’une insistance malséante, qui pourrait faire entrer l’animateur vedette dans la « zone dangereuse »… 

    Cette prudence n’est pas sans précédent.

    Le 18 avril 2004, sur le même plateau de Vivement Dimanche (invité : Jean-Pierre Elkabbach), l’humoriste algérien Fellag déclara en substance – et très sérieu-sement : « On a beaucoup dit que les Pieds-Noirs avaient été déchirés en quittant l’Algérie. Mais a-t-on dit combien, nous les Algériens, nous étions déchirés de les voir partir ? Bien sûr qu’il y avait des colons. Mais les colons représentaient 3 à 5 % des Pieds-Noirs. Les autres étaient des petites gens, avec qui nous nous entendions plutôt bien. » 

    On aurait pu s’attendre à une réaction de surprise, puisque la remarque de Fellag piétinait une des grosses tartes à la crème de la Vème République blanciste : le racisme quasi-proverbial des Pieds-Noirs, la haine réciproque qui les opposait aux Algériens, perpétuellement mise en avant pour justifier leur éviction collective d’Algérie en 1962… Pourtant, comme dans l’affaire des Harkis du Palais Bourbon, Michel Drucker s’est abstenu de toute remarque, de tout étonnement qui aurait pu déranger le Système. Et pour cause : s’il est l’insubmersible présentateur-vedette que l’on sait depuis plus de quarante ans, c’est que Michel n’est pas une tête brûlée et sait jongler en virtuose avec les différents codes et autres devoirs de réserve…

    Pour savoir de quelle limite il est ici question, et quelle puissance occulte veille au respect de cette sacrosainte limite, il faut se tourner vers les journalistes politiques, qui parlent en connaissance de cause. Or quelques-uns d’entre eux ont, ces dernières années, au moins une fois, craché le morceau.

     L’aveu d’Elisabeth Lévy

    Dans l’émission de Thierry Ardisson, « 93 Faubourg Saint-Honoré » sur Paris-Première, « Dîner FOG » (Franz Olivier Giesbert), diffusée le mardi 21 mars 2006, autour de la table somptueusement dressée, sous la lueur mordorée et vacillante des candélabres, une fricassée du gratin journalistique parisien se lâcha en ces termes   exacts :

     Pierre Bénichou : C’est par haine, non seulement des Pieds-Noirs, mais aussi des Arabes musulmans, que (de Gaulle) a abandonné l’Algérie comme il l’a fait. Dites-vous bien que de Gaulle (murmures autour de la table)… Mais oui ! 

    Eric Zemmour : Mais non… Il abandonne l’Algérie parce que, un : ça nous coûte trop cher ; deux : parce qu’il y a un vrai problème démographique… 

    Thierry Ardisson (rigolard) : Eh, Eric, en France, y’a deux trucs : c’est Vichy et l’Algérie… 

    Eric Zemmour : Toute l’histoire du XXème siècle ! 

    Elisabeth Lévy (apparemment un peu pompette) : Les trucs dont on est supposé ne jamais parler, soi-disant… (rires autour de la table, acquiescements hilares d’Eric Zemmour). 

    Que suggérait donc Elisabeth Lévy, en évoquant ces         « trucs dont on est supposé ne jamais parler », déclenchant ainsi l’hilarité d’Eric Zemmour ? Certaine-ment pas que la guerre d’Algérie est un sujet tabou : de nombreux films et documentaires ont été diffusés à la télévision depuis une vingtaine d’années, levant le voile notamment sur la torture et les crimes de l’armée française et du FLN. 

    Interdit sous peine de redoutables sanctions

    En réalité, Elisabeth Lévy voulait dire simplement que parler de certains aspects de la guerre d’Algérie et de la    « décolonisation » (crainte de la « bougnoulisation » par exemple, et largage en conséquence…) tels que ceux qui venaient d’être effleurés autour de la table notamment par Pierre Bénichou (mais que l’animateur avisé Ardisson sut faire opportunément bifurquer par une plaisanterie lancée à Zemmour) est interdit, sous peine de redoutables sanctions… 

     

    Voilà qui permet d’entrevoir l’ambiance qui règne dans les rédactions en France… Et qui permet d’expliquer pourquoi, à l’instar de Drucker choisissant de s’appesantir sur le R manquant dans le nom de Mitterrand sur un obscur livre d’or compiégnois, une omerta médiatique presque parfaite entoure depuis plus de cinq mois le siège du Palais Bourbon et de l’Elysée par Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, en dépit (ou à cause) de ses dimensions éminemment symbolique et spectaculaire. On ne met pas le doigt dans ce qui brûle, ni dans un engrenage qui pourrait broyer la main, puis le reste…

    A l’heure où les places sont plus chères que jamais, quel journaliste, quel rédacteur en chef suicidaire (ou improba-blement téméraire) pourrait oser faire ce que Michel Drucker lui-même, du haut de ses quarante ans de carrière et de ses audimats insolents, s’interdit sagement de faire ?

     

    Article publié sur le site Rue89, le 15 octobre 2009

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Un exemple

    parmi tant d'autres...

     

    Jeu de pipeau ordinaire 

    dans le cadre du Cinquantenaire 

    des « indépendances » africaines

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    Comique, affligeant ou tout simplement effroyable : à chacun d’en juger… Le 15 juillet 2010, un colloque sur la décolonisation, organisé par l’ASEAF, se tenait à Paris. Ce qui s’y passa a valeur d’exemple pour la plupart des centaines de grands-messes officielles qui fleurissent cette année sur le même sujet, en France, en Afrique et ailleurs sur la planète bleue…

     

    Ce jeudi-là, dans l’hémicycle du Conseil régional d’Ile-de-France, se tenait un colloque sur les indépendances africaines dont on célèbre cette année le Cinquantenaire. Pendant six heures, on entendit les intervenants décliner sur différents modes la thèse classique d’une indé-pendance obtenue de haute lutte par l’Afrique en 1960. Universitaires, ambassadeurs, étudiants soigneusement choisis pour leur faculté de penser dans les clous, ont martelé que les indépendances africaines ne furent point octroyées, mais arrachées par des peuples avides d’indépendance.

    Il n’est pas anodin de constater que ces fariboles, qui permettent de masquer depuis un demi-siècle les vraies motivations des indépendances mais aussi, et surtout, de mettre l’Afrique et ses populations en coupe réglée, tiennent toujours le haut du pavé en l’an 2010. Et pour cause, les enjeux d’aujourd’hui sont les mêmes qu’hier : faire un maximum de business…

    Sans surprise, Jacques Toubon et Olivier Stirn, représentants officiels de l’Etat français, avaient fait le déplacement pour parrainer cette énième mascarade. On les vit l’un et l’autre acquiescer aux propos des intervenants…

    Au bout de six heures de conférence à sens unique, vint enfin le moment des questions (entre-temps, toutes les grosses légumes avaient pris la poudre d’escampette). Lorsque le micro m’arriva dans les mains, je fis en substance les remarques suivantes :

    « Depuis cinquante ans, on affirme, comme vous l’avez fait aujourd’hui tout au long de ce colloque, que les indépendances furent arrachées par les Africains. Ce mensonge permet de cacher que les indépendances, dont tout le monde sait qu’elles furent essentiellement fictives, ont été en réalité imposées à l’Afrique par l’Etat français, afin d’esquiver le métissage de la France et d’organiser le néocolonialisme. A l’époque, les Africains militaient bien sûr pour l’abolition totale du colonialisme. Or pour y parvenir, l’écrasante majorité d’entre eux estimaient que la solution n’était pas l’indépendance – car le système colonialiste n’avait pas doté les territoires africains des cadres nécessaires pour assumer l’indépendance – mais l’instauration de l’égalité politique pleine et entière entre tous les citoyens dans la République. En effet, les dirigeants africains savaient que grâce à la démocratie, l’exploitation colonialiste de l’Afrique n’aurait pu perdurer. C’est d’ailleurs notamment pour cette raison que le pouvoir métropolitain leur refusa l’égalité (Affaire gabonaise, octobre 1958), les poussa vers l’indépendance fictive (tractations secrètes de Charles de Gaulle avec certains dirigeants africains, assorties de primes à l’indépendance, durant l’hiver 1959-1960) et enfin déposséda, à cette fin, les populations africaines du droit à l’autodétermination, au prix d’une quadruple violation de la Constitution (Loi 60-525, mai-juin 1960). A partir de là, le néocolonialisme put se déployer progressivement, avec l’efficacité que l’on sait. En ce sens, on peut dire que la ‘décolonisation’ fut parfaitement réussie, puisqu’elle permit d’atteindre l’un de ses principaux objectifs : l’exploitation sans entraves de l’Afrique. Aujourd’hui, en perpétuant les mensonges de la Vème République blanciste, les intervenants de ce colloque ont agi en bons petits soldats du Système qu’ils prétendent pourtant combattre. D’ailleurs, je constate que MM. Toubon et Stirn, ce matin, approuvaient tous vos propos, tandis que le Conseil régional d’Ile-de-France s’occupe de la logistique. Or si votre but est bien, comme vous le prétendez, de trouver les solutions pour sortir l’Afrique du désastre, alors pourquoi relayez-vous les mensonges qui permettent ce même désastre depuis des décennies ? Si les malheurs du continent noir vous chagrinent autant que vous l’affirmez, alors pourquoi ne dites-vous pas, enfin, la vérité ? »

    La salle, composée en grande partie d’Africains, a largement applaudi ces observations. Quant aux intervenants, bien entendu, ils se sont bien gardés d’y répondre. Par la suite, lors de la deuxième séance de questions, j’eus beau lever le doigt, allez savoir pourquoi, je ne parvins plus à obtenir la parole…

    Au sortir de cette amusante séance, un monsieur d’un certain âge vint me féliciter. Je lui demandai : « Vous m’avez applaudi. Pourquoi ? » Il me répondit : « Parce que ce que vous dites est la vérité que tout le monde dissimule depuis cinquante ans ». Je l’interrogeai : « Vous assistez à un colloque où l’on raconte le contraire pendant six heures d’affilée, vous savez que tout cela est faux, alors pourquoi n’êtes-vous jamais intervenu pour vous insurger ? » Il sourit et expliqua : « C’est comme ça, tout le monde ment, alors que voulez-vous, on joue le jeu, on fait comme tout le monde ». Une dame qui écoutait notre conversation lança à mon adresse, l’œil pétillant : « Monsieur, vous êtes naïf : en politique, tout le monde ment, c’est bien connu ! » Quelques minutes plus tard, une autre dame s’approche et me dit : « Je tiens à vous féliciter pour ce que vous avez dit, mais je vous donne ce conseil : méfiez-vous… » « Me méfier de quoi ? » ai-je demandé. « Je vous le dis, méfiez-vous », m’a-t-elle répondu en s’éloignant avec un grand sourire sympathique aux lèvres…

    Finalement, je prends une demi-heure pour discuter avec un gars et une fille âgés d’environ vingt-cinq ans. Contrairement à mes autres interlocuteurs, ces jeunes gens sont convaincus que l’Afrique s’est soulevée pour l’indépendance. Aucun argument ne semble devoir entamer leurs tranquilles certitudes. Cinquante ans de propagande triomphent dans cette joyeuse jeunesse parfaitement dupe et sûre de son fait. Quand les vieux qui tantôt m’applaudissaient seront morts, la vérité pourra être définitivement enfouie en toute bonne conscience. Le désastre, grand amateur de mensonges, a de beaux jours devant lui…

    Voilà où nous en sommes en l’an 2010. Des hommes et des femmes débitent des énormités historiques (émaillées, d’ailleurs, d’énormes erreurs) pendant des heures devant des dizaines, des centaines de personnes qui savent pertinemment qu’ils mentent mais ne bronchent pas. Par un mélange d’esprit moutonnier, de peur et, pour certains, par souci de carrière et d’argent. Car contester la doxa française et internationale présente autant de périls que la servir benoîtement peut s’avérer très lucratif. L’Afrique et la France dussent-elles en crever.

    Mais après tout, les gros sous, le pouvoir et les honneurs, n’est-ce pas beaucoup plus important ?

     

    Article publié sur le site Afrik.com, le 20 juillet 2010

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    La Révolution s’avance

    ou

    Quand Henri Lopes 

    balance à Paris

     

     

    Les choses avancent...

    Le 14 décembre 2010, Henri Lopes, écrivain, ancien militant indépendantiste congolais et ambassadeur du Congo en France, participait à une table ronde organisée par l’Institut Pierre Mendès France, à Paris. A ses côtés, prenaient également part aux exposés Jean-Christophe Rufin, écrivain, ancien ambassadeur de France au Sénégal, Stéphane Gompertz, directeur Afrique et Océan Indien au Ministère des Affaires étrangères, Vincent Hugeux, grand reporter à l’Express, Emmanuel Laurentin, producteur à France Culture et modérateur pour l’occasion.

    Face à ces représentants du gratin politico-journalistico-intellectuel français, Henri Lopes déclara :

    « (…) Je n’ai rien écrit, je ne voulais pas vous faire un exposé ex cathedra, étant donné que nous étions dans une table ronde. Je pensais que j’apporterais simplement quelques éléments de réflexion. (…) Je voudrais peut-être rappeler, donner un certain nombre d’éléments du contexte.

    Les indépendances, 1960 : que se passe-t-il en Afrique, que se passe-t-il dans le monde, que se passe-t-il en France, dans leurs relations avec les colonies françaises ?

    Dans le monde, il y a bien sûr la guerre froide. Mais on y est tellement qu’on n’en a pas conscience de manière quotidienne. Et puis, il y a surtout la guerre d’Algérie, qui vient après les guerres d’Indochine. Et la France a des efforts à fournir de ce côté, et a un malaise qui se répercute jusqu’en France. Tout le débat politique français, dans l’époque où j’étais étudiant, était constamment émaillé de questions relatives à l’Algérie. Les manifestations qui avaient lieu chaque jour étaient surtout relatives à l’Algérie. C’est dans ce climat (…) que nous avons fait nos universités politiques. Et j’ai l’impression que, dans ce qui a été la politique de décolonisation de De Gaulle – et pour moi                         « décolonisation » est différent d’indépendance ; décolonisation est un processus, un processus continu – et dans cette politique, il y a, il ne faut pas être grand clerc en matière d’Histoire pour comprendre que le général de Gaulle avait conscience du fait qu’il fallait qu’il ne se crée pas, pour reprendre avant la lettre une formule que Che Guevara a mise dans sa fameuse Lettre d’espoir, créer « mille Vietnam », et (…) il fallait éviter de créer « mille Algérie »… Il y avait des parties de l’Afrique qui se trouvaient déjà en guerre. On l’a oublié. C’est essentiellement le Cameroun. Je ne parle pas de l’Afrique anglophone, avec le Kenya, la révolte des Mau-Mau. Tous ces éléments-là, je crois, ont été pris en compte, et je ne veux pas développer plus longuement des choses que vous connaissez tous, mais qui sont quelquefois perdues de vue dans le contexte.

    Donc, de Gaulle a compris qu’il fallait éviter qu’il y ait d’autres foyers de guerre dans laquelle la France se trouverait impliquée avec ses colonies. Et puis alors, il y a dans les colonies des gens qui s’agitent. Il y a d’abord l’élite, ceux que, par exemple, en Afrique centrale, Afrique équatoriale française, on appelait les « évolués », dont la revendication était, au départ, simplement le désir d’avoir les mêmes droits que les citoyens français. Je pourrais développer longuement ce chapitre. Et c’est face à l’obstination de certains milieux français, surtout en rapport avec le milieu colonial, qui fait que de ce concept on passe à l’indépendance. Et l’idée d’indépendance n’est pas tellement ancrée dans la population africaine. Nos parents nous crient « casse-cou ! » Elle est surtout le fait d’agitateurs – comme je l’étais, loin de l’Afrique, en France – qui retournions en vacances faire de l’agitation. Et cela va s’incarner dans le choix de la Guinée en 1958. Et je voudrais donc rappeler cela : les dirigeants africains de l’époque, je parle des anciennes colonies françaises – les choses sont complètement différentes dans les colonies anglaises – ne souhaitent pas l’indépendance : on les pousse à l’indépendance. (…) Les dirigeants [africains] sont emmenés, poussés en partie par les dirigeants français qui se rendent compte qu’on a intérêt à déminer la situation en allant à l’indépendance. D’où le projet de De Gaulle, la Communauté française, avec dans un premier temps une autonomie interne qui prend forme dès 1958 et, petit à petit, la marche vers l’indépendance. (…) Ce que je voudrais dire, c’est que ces dirigeants africains, je me mets à leur place – j’étais opposé à eux à l’époque – comment voient-ils l’indépendance… Qu’on leur impose... Ils se disent, bon, nous allons l’accepter, nous allons être indépendants (…). »

    Récapitulons : dirigeants africains « poussés » à l’indépendance ; indépendance « imposée » en 1960 par l’Etat français ; mieux encore, idée d’indépendance « pas tellement ancrée dans la population africaine » ; cerise sur le gâteau, indépendance surtout le fait d’une minorité « loin de l’Afrique », qui retournait en vacances « faire de l’agitation »…

    Autant de confidences qui confirment ce que le blog Fusionnisme annonce depuis plusieurs mois : la grande thèse commune au Club Novation Franco-Africaine (CNFA) et au Mouvement Fusionniste – à savoir le mensonge planétaire qui travestit en triomphe du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ce qui fut, en réalité, il y a cinquante ans, le largage de l’Afrique par l’Etat français, au mépris des Africains, et à des fins inavouables, entre racisme, défiance civilisationnelle, déni d’égalité et appât du gain – cette thèse a triomphé en coulisses et n’est plus guère contestée dans les hautes sphères franco-africaines. Notons qu’ici, Henri Lopes va, sur certains points, encore plus loin que le CNFA…

    D’ailleurs, que croyez-vous qu’il arriva ce jour-là, autour de la table ronde organisée par l’Institut Mendès France ?

     

    Tout simplement, chacun fit semblant de ne rien avoir entendu de ce que disait Henri Lopes, écrivain, ancien militant indépendantiste congolais et ambassadeur du Congo en France.

    Jean-Christophe Rufin, écrivain, ancien ambassadeur de France au Sénégal, Stéphane Gompertz, directeur Afrique et Océan Indien au Ministère des Affaires étrangères, Vincent Hugeux, grand reporter à l’Express, Emmanuel Laurentin, producteur à France Culture et modérateur pour l’occasion, ne trouvèrent dans les propos d’Henri Lopes rien qui suscitât chez eux le moindre rebond…

    Reconnaissons au modérateur, Emmanuel Laurentin, producteur et animateur à France Culture, le mérite de la cohérence. Il n’a jamais invité aucun membre du Club Novation Franco-Africaine dans ses émissions. Les écrivains Claude Garrier, Samuel Mbajum, Simon Mougnol, et tant d’autres membres du CNFA, n’ont jamais eu les honneurs de France Culture. Il est vrai que pour ce qui est de Radio France, radio d’Etat française, seule RFI, au fil des années, a reçu au compte-gouttes certains d’entre nous. Mais ni France Culture, ni France Inter, ni France Info n’ont jamais rien dit de nos travaux, ni accordé le moindre micro à nos idées. Il n’y a donc guère matière à s’étonner qu’Emmanuel Laurentin n’ait pas relevé l’incongruité des propos d’Henri Lopes, pas plus que les autres intervenants, ou même le public.

    Car ce qu’a osé dire Henri Lopes fait partie de ce qu’il faut obligatoirement taire, puisque c’est la vérité, et que cette vérité est l’inverse de l’histoire officielle à laquelle tout le monde est tenu, depuis cinquante ans, sous peine de mort sociale, d’adhérer. Le secret recouvre tant de scandales incommensurables, et sert tant d’intérêts… Alors « on joue le jeu », « le système joue le jeu », encore et toujours …

    Par-delà ceux qu’on tient à l’écart, par-delà les dialogues de sourds et malgré les silences, les esquives si confortables, tandis que la Côte d’Ivoire, la Tunisie, l’Algérie sont en ébullition, la parole avance à Paris, malgré tout. En dépit des élites politico-journalistico-intellectuelles ultra-hypocrites. Et, faut-il s’en étonner, grâce à une vieille voix africaine…

     

    Article publié sur le blog Fusionnisme, le 19 janvier 2011

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mayotte/Afrique/France/Europe

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    Le jardin des délices 

    et le poids des élites 

     

     

    Voilà Nicolas Sarkozy qui s’en repart traîner ses tongs en Afrique… Discours prévu à Brazzaville, ancienne capitale de la France libre et lieu de la célèbre conférence (1944). Avec, espérons-le, plus d’inspiration qu’en 2007 à Dakar… Pendant ce temps-là, où en sont les élites noires et blanches ? Nous les avons retrouvées qui dînaient aux chandelles en compagnie de la très affaiblie fraternité franco-africaine, autour d’un excellent Pétrus 1958… 

     

    Le 29 mars, malgré les condamnations solennelles de l’Union Africaine, Mayotte choisira peut-être de devenir un département français. Dès maintenant, beaucoup de Mahorais se pâment, pavoisent et triomphent. La mine parfois goguenarde… 

    De telles effusions peuvent étonner l’âme racornie d’un Français hexagonal, quelle que soit la couleur de sa peau. Mais c’est que les Mahorais connaissent bien l’histoire du « blancisme », cette famille de la pensée politique française qui fait la grimace lorsqu’il s’agit d’octroyer l’égalité politique et sociale aux Ultramarins. Une famille de pensée qui, bien que très minoritaire dans la popu-lation française, préside aux destinées de la France depuis des décennies... Pour les Mahorais, la victoire entraîne donc la jubilation et la joie, car la consécration de la lutte remportée contre l’Histoire et le monde se double d’une reconnaissance naguère presque impossible…

    Les Quatre Vieilles (Antilles, Guyane, Réunion) eurent les plus grandes difficultés à obtenir la départementalisation en 1946. Le Gabon se la vit refuser en 1958. Les territoires d’Afrique noire furent acculés, en bloc, à l’indépendance en 1960. Quant à Mayotte, minuscule rescapée de la grande lessive, elle réclame la départementalisation, en vain, depuis des décennies… En ces terres de surcroît musulmanes, l’obtenir ressemblerait un peu à un miracle ou à un tournant historique…

    Amnésie et bourrage de crâne

    Le blancisme intrinsèque de la Vème République (ayant pour principe une définition de Charles de Gaulle, qui définit confidentiellement la France comme « avant tout de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne ») n’a pas empêché le régime français d’entretenir pendant longtemps les meilleures relations avec l’Afrique. Car par-delà la Vème République blanciste, beaucoup de Nègres des années 1960-2000 continuaient (et continuent…) d’aimer la France héritière de 1789, son peuple au naturel égalitaire et fraternel, la bonne              « colonisation » française des années 1950, malgré tous ses défauts encore, mais aussi avec ses éclatants débuts de symbioses franco-africaines, à l’heure où l’Amérique écrasait ses Noirs. Parmi les vieux Africains qui ont vécu l’époque, beaucoup regrettent volontiers les tournants égalitaires refusés par l’histoire, les promesses non tenues, les occasions manquées… 

    *  *  *

    Une fois les pseudo-indépendances imposées à l’Afrique, il fallut détruire toutes les prémices de symbioses franco-africaines, ces sensibilités devenues gênantes. On déclencha une formidable propagande en forme de lavage de cerveau… Chez les élites françaises et africaines, cibles privilégiées du travail d’amnésie sous le haut patronage du blancisme, du PCF, de l’Union Soviétique et des Etats-Unis, la fraternité franco-africaine, qui reposait sur un héritage ancien, sublime autant qu’imparfait, fut progressivement refoulée, oblitérée ou détruite…

    Le rouleau compresseur idéologique et la broyeuse historique firent le reste, déployant leurs désastres, pendant trois générations, à travers tout le Continent – propagande nationaliste, bourrage de crâne narcissique, collusions avec le néocolonialisme, corruption, détour-nements gigantesques, dictature, coups d’Etat, guerres civiles, destructions de toutes sortes, misère, famine, maladie, innombrables martyres…

    Aujourd’hui que la grande mue de l’univers est à sa pointe, un fossé profond s’est creusé entre la France et l’Afrique. 

    Non pas entre les peuples, qui continuent de s’aimer et de se respecter, parce qu’ils ont la mémoire tenace et l’humanité chevillée au corps ; or ceux-ci sont les plus nombreux, sinon les plus puissants…

    Mais un fossé entre les élites françaises et africaines, et entre ces dernières et la France… Or ces élites, bien que minoritaires, tiennent le haut du pavés et les leviers de commande… 

    Fossés, petits-fours et champagne 

    Depuis des lustres, voilà le schéma. Les élites noires et blanches s’entendent très convenablement, se serrent la main, et vivent plutôt bien dans les jardins qu’elles se sont ménagés dans les ruines matérielles ou morales de leurs populations… 

    De là, entre petits-fours et champagne, ces élites africaines et européennes sont toutes forcément d’accord sur un  point : la séparation entre la France et l’Afrique, il y a cinquante ans, fut une excellente chose. Le petit peuple en doute ? On s’emploie à l’en convaincre…

    Aujourd’hui, chez les Africains, singulièrement chez les plus francisés ou occidentalisés d’entre eux, il n’est pas rare de rencontrer une farouche hostilité à l’égard de la France, très voisine de celle qu’on rencontre chez une certaine extrême-gauche française, sans que ces analogies, d’ailleurs, soient tout à fait fortuites…

    Dans les sphères intellectuelles africaines, on n’avoue souvent plus son amour pour la France, ou alors du bout des lèvres ou par subtiles périphrases. Dans certains milieux, la francophilie a des parfums de trahison, tandis que le nationalisme le plus étroit a pignon sur rue et vaut brevet de vertu. La défiance à l’égard de la France se porte en bandoulière. La posture dispense de regarder l’histoire en face : le déni de francité qui souvent fonda les indépendances africaines, la revendication égalitaire contrariée… Dignité sauve, on mythifie la lutte, acidulée aux arômes de fierté et liberté… Cela permet de cacher les petits-fours et le champagne qu’on a bien dans l’estomac, et même de caviarder les yeux de ceux qui pourraient avoir l’idée de s’en plaindre…

    *  *  *

    Amusantes destinées de la rhétorique : voici que l’idéologie de la séparation, qui servit à justifier le processus d’indépendance et à démolir les espoirs africains, est devenue la meilleure carte de visite de la fierté africaine… Par un incroyable transfert, le catéchisme blanciste, instrument du divorce franco-africain contre la volonté des Africains, trouve dans les élites africaines contemporaines ses meilleurs promoteurs qui, par un suprême paradoxe, entendent y puiser leur légitimité… 

    A leur décharge, pas plus que les élites européennes, les élites africaines n’ont été épargnées par la puissante propagande de la guerre froide et de ses suites. Et elles aussi en ont souvent été, et en sont encore, les dupes…

    Au spectacle de combinaisons aussi retorses, faut-il désespérer ?

    Non… Car malgré l’énorme passif accumulé, malgré les désillusions en cascades, malgré la propagande tous azimuts, nombre d’Africains aspirent aujourd’hui à bâtir l’avenir avec la France et l’Europe qui l’accompagne. Sans d’ailleurs que ce rapprochement soit exclusif de la grande idée de l’unité africaine ou panafricaine. N’en déplaise aux partisans du divorce, Blancs ou Noirs, en l’an 2009, nombre d’Africains (mais aussi de Français et d’Européens…) accueilleraient avec bonheur une ample et nouvelle politique franco-africaine enfin fraternelle, au service du bien-être économique et moral des populations des deux continents. 

    Quant aux élites politiques françaises, même si elles continuent pour le moment d’esquiver un lourd et pénible mea culpa sur le blancisme du régime fondé en 1958, elles se déclarent décidées à se montrer dignes d’une tâche qui engage notre civilisation, puisqu’il s’agit de réparer les dégâts de décennies, de siècles d’histoire absurde ou rapace…

    Reste, pour ce faire, à répondre à l’appel du petit peuple d’Afrique qui, comme le petit peuple de Mayotte, attend la France avec gourmandise, comme l’Afrique il y a 60 ans. En trouvant cette fois les bonnes modalités, par un dialogue ouvert et d’égal à égal avec les Etats intéressés par une politique franco-africaine novatrice, conjuguée sur les trois axes fondamentaux que sont la santé, l’éducation de qualité pour tous, et la justice sociale…

    Laboratoire de fraternité 

    L’Union Africaine condamne violemment le référendum du 29 mars à Mayotte, « organisé sur une terre étrangère ». L’UA réclame, comme l’ONU bien avant elle, le « retour » de Mayotte dans l’Union des Comores…

    Ainsi, alors que la départementalisation de Mayotte devrait être le laboratoire d’une nouvelle fraternité franco-africaine, elle menace d’être un outil de discorde entre la France et l’Afrique…

    Pour la France, la seule manière crédible de prouver à une Union Africaine de bonne foi et légitimement méfiante à son égard, qu’elle avance non pas en nouvelle impérialiste mais en sœur, c’est d’appliquer pleinement l’égalité sociale à Mayotte. La France doit se montrer digne de la mission que les Mahorais décideront peut-être de confier à la République le 29 mars prochain.

    Accompagnée de l’Europe et surtout de son premier allié l’Allemagne, elle aussi concernée au premier chef par les grands desseins historiques et fraternels, après un XXème siècle atroce et lamentable, la France est à la croisée des chemins.

    Le XXIème siècle de fraternité qu’il faut construire avec l’Afrique comme le souhaitent beaucoup d’Africains, en particulier les plus pauvres d’entre eux, exigera des Français et des Européens une grandeur d’âme jamais vue. Les uns devront regarder en face leur histoire d’amour brisée avec l’Afrique en 1960. Les autres devront cesser d’agir en alliés du blancisme français en s’opposant au mariage franco-mahorais. Car ce mariage, les Mahorais le souhaitent souvent ardemment, comme le souhaitaient la plupart des populations africaines il y a cinquante ans.

    Quand on réalise que l’actuelle revendication mahoraise se situe dans le droit fil d’une histoire qui fut jadis bloquée puis ensevelie au gré de considérations antirépublicaines et selon des voies antidémocratiques (Affaire gabonaise, Loi 60-525, etc.), au mépris des populations africaines mais aussi métropolitaines, et avec la complicité de tout ce que le monde comptait, à l’époque, de forces rétrogrades travesties en forces progressistes, on comprend qu’aujourd’hui certains Mahorais espiègles fassent la nique et traitent de « jaloux » les Africains qui leur contestent la départementalisation…

    Au lieu de s’obnubiler sur les Mahorais et de maudire certains des plus grands rêves de leurs pères, ces élites africaines devraient, elles aussi, regarder leur histoire en face. Celle d’une Afrique à la fois fière de ses racines mais aussi fascinée et attirée par l’Europe. Une Afrique à la fois sûre de son génie propre, mais aussi éprise du génie spécifique de la France… Ces élites devraient admettre que c’est à force d’avoir été méprisée par un certain Occident, que l’Afrique a fini par ne plus voir tout ce que l’Europe admire chez elle, estime et désire infiniment, et de longue date, en toute fraternité et humanité.

    Dans le Jardin des Délices (1504) de Jérôme Bosch, non seulement les Blancs et les Noirs marchent côte à côte, parlent, s’amusent, mais encore ils vivent ensemble la maternité… 

    En écoutant un peu plus la voix des ancêtres, certaines élites africaines se défranciseraient peut-être un peu, se franciseraient en tout cas autrement, de toute façon s’africaniseraient davantage…

    Alors la départementalisation de Mayotte cesserait de leur apparaître comme un scandale ulcérant, comme un nouveau masque de l’impérialisme français ou occidental. Tout au contraire, ils la verraient s’inscrire démocrati-quement dans un mouvement infiniment plus vaste et d’une tout autre nature, détail à ne pas manquer dans une tectonique intercontinentale, politique et spirituelle, placée sous le signe de la fraternité et du dépassement historique, de la mutation, du retour aux sources. 

    Puissions-nous, ici, savoir rester à hauteur d’homme. La France et l’Afrique sont bien davantage faites l’une pour l’autre que ne le disent certaines élites françaises ou africaines, ou plutôt franco-africaines, comme larrons en foire, sous-produits dérisoires d’une idéologie perverse qui bâillonne depuis trop longtemps le petit peuple et ses voix profondes, trahit l’Afrique et la France, et s’enivre dans ses tours d’ivoire…

    Le plus grand nombre ayant enfin la parole, comme l’exige la démocratie, avec l’enthousiasme des Mahorais qui, en bons vieux Africains, voient la France bien plus grande que ne la voient les Français, que puisse naître à Mayotte un département franco-africain tout de luxe, de calme et de volupté, comme un tableau de Jérôme Bosch, comme une transe extatique et heureuse, comme une apparition du Grand Esprit N’koué M’bali dans un rêve clair et poussiéreux de Brazza enfant, présage d’un immense ensemble franco, pardon, euro-africain… ou afro-européen… Enraciné dans la nuit des temps et plongé dans le plus grand avenir… 

    Article publié sur le site Camer.be, le 26 mars 2009

     

     

    Départementalisation 

    de Mayotte :

    Face-à-face

    entre deux mondes

    .

     

    Le 29 mars prochain, par référendum, Mayotte choisira peut-être de devenir un département français. Cet événement, dans son contenu et par les réactions qu’il suscite, offre un raccourci révélateur des absurdités dignes d’Ubu dans lesquelles la classe politique française gesticule depuis au moins un demi-siècle. En compagnie de pas mal de monde plus ou moins bien intentionné…

     

     

    « L’attachement indéfectible de la population de Mayotte à la France, la constance et la force de son aspiration à se rapprocher du droit commun de la République créent des devoirs pour notre pays : prendre en compte cette volonté constitue une exigence démocratique. »

    Tel est l’argument avancé par la commission parlemen-taire (UMP-PS) pour justifier le choix du gouvernement français d’accorder éventuellement la départementalisation à Mayotte.

    Entre exigence démocratique et… sociale ?

    La population mahoraise verrait ainsi satisfaite sa reven-dication, à l’horizon 2012. Dans le strict respect de la devise : liberté, égalité, fraternité, et laïcité…

    Si l’Etat français s’était mis en tête de démontrer, à l’approche du cinquantenaire des indépendances africaines (1960-2010), que la rupture avec la Vème République blanciste est consommée, il ne s’y prendrait pas autrement. En accueillant ainsi, et fraternellement, quelque 185.000 Mahorais majoritairement noirs et musulmans dans la communauté nationale, il en assumerait symboliquement la métamorphose jadis refusée…

    Pourtant… Pourtant, au-delà des effets d’annonce, il semble que le gouvernement s’apprête à faire de Mayotte le laboratoire d’une nouvelle aventure ambiguë, dans la plus pure tradition du régime. Au reste, après la très singulière proposition d’autonomie faite aux Antilles et accessoirement à la Guyane ces derniers mois, difficile de dire, pour le moment, si l’ensemble relève d’une effarante politique de Gribouille ou, plus subtilement, d’un très compliqué brouillage de cartes…

    Un seul exemple.

    Dans le prétendu 101e département français, nos               « concitoyens mahorais » seront gratifiés d’un RMI qui ne sera pas le même qu’en métropole. Il lui sera même quatre fois inférieur.

    Motif invoqué par la commission (UMP-PS) pour motiver ce scandale social :

    « (…) ce bouleversement déstabiliserait l’économie mahoraise, où le taux de chômage demeure plus du double du taux métropolitain, même s’il a beaucoup diminué. Rappelons à cet égard que le SMIG mahorais, après plusieurs années de forte progression, n’atteint encore que 928 euros par mois ».

    En son temps, le Ministère de l’Economie Fabius-Parly invoqua un semblable souci de l’équilibre des économies locales pour justifier son refus d’appliquer un arrêt du Conseil d’Etat, qui préconisait la « décristallisation » des pensions des anciens combattants africains (ou plutôt franco-africains…).

    L’égalité ? Oui… mais

    L’Etat prétend résolument appliquer à Mayotte l’égalité gravée dans le marbre des frontons de la République. Mais fidèle à la tradition typiquement colonialiste du « deux poids deux mesures », il commence par en exclure les montants du RMI et du SMIC pour « nos concitoyens mahorais », en tirant argument d’un sous-développement local dans lequel, pourtant, sa responsabilité est patente.

    Plus grave encore, le sous-développement de la Corrèze n’a jamais inspiré de tels ajustements.

    « Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde », écrivait Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme.

    Est-il vraiment possible, comme le font les députés français, de craindre que Mayotte soit incapable dans l’avenir d’offrir du travail à sa jeunesse (et, pourquoi pas, à celle de l’Hexagone…), et dans le même temps de reléguer l’île dans un sous-régime salarial et social qui, selon la feuille de route gouvernementale, pourrait durer jusqu’à « 25 ans » ? De quelle rupture s’agit-il, quand on emprunte au système qu’on prétend abattre certaines de ses recettes les plus rances ?

    L’Union Africaine a condamné, par avance, ce référendum organisé sur une terre « occupée par une puissance étrangère ». Et le colonel Kadhafi, dans cette affaire, accuse la France de « néocolonialisme ». Les députés de la commission s’en sont offusqués. Pourtant, en traitant comme à son habitude les Mahorais en Français de seconde zone, l’Etat français justifie ces grondements et ces attaques.

    Car Mayotte nous confronte à des problématiques coloniales ou néocoloniales, et prend place sur un fond historique, politique et géographique complexe, très méconnu, voire falsifié. Non seulement par le gouvernement et ses soutiens. Mais aussi par l’aile gauche de la gauche française, et par certaines des plus hautes instances internationales…

    La Révolution anjouanaise 

    Les députés de la commission (UMP-PS) poursuivent ainsi leur argumentaire sur le RMI à deux vitesses :

    « (…) le niveau de revenu et de consommation qui en résulterait inciterait davantage encore les Comoriens à tenter de gagner Mayotte pour y trouver une vie meil-leure ; cela risquerait fort de créer aussitôt un grand appel d’air pour l’immigration clandestine, qui pèse déjà lourdement sur le développement de ce petit territoire. »

    De toute évidence, la départementalisation de Mayotte est lourde d’implications pour l’Union des Comores.

    Les trois autres îles de l’archipel, en particulier Anjouan et la petite Mohéli, vivent les yeux tournés vers Mayotte, que son nouveau statut de département rendrait encore plus attractive, quel que soit d’ailleurs le niveau du RMI.

    Dans ce contexte, on comprend aisément que Grande Comore réclame plus que jamais la rétrocession de l’île française, et que celle-ci, pour les mêmes raisons, ne veuille pas en entendre parler.

    Singulièrement, les parlementaires passent totalement sous silence un événement pourtant capital de l’histoire comorienne contemporaine : la révolution qui souleva Anjouan et Mohéli en 1997. La commission (UMP-PS) dans son rapport pour la départementalisation, et ses adversaires de gauche (PCF, Parti de Gauche et, semble-t-il, NPA et Verts) dans leurs charges contre celle-ci, font tous mine de l’ignorer. Et pour cause.

    Il y a bientôt douze ans, durant cet été 1997, sur fond de grèves de longue durée et de soulèvements populaires, de fête nationale non chômée et, dans la foulée, de 14-juillet fêté, les deux îles firent sécession de la République des Comores, et proclamèrent à plusieurs reprises leur rattachement à la France.

    A l’époque, tandis que la France, l’Union Européenne et l’OUA condamnaient les sécessionnistes, Grande-Comore essaya de les faire rentrer dans le rang, par débarquement militaire. En vain. L’unité de la République des Comores, devenue depuis Union fédérale, ne s’en est jamais vraiment remise…

    Au demeurant, contrairement à la « volonté » des Mahorais, pas plus aujourd’hui qu’en 1997 (ou en 1981…) celle des Anjouanais et autres Mohéliens n’inspire une quelconque « exigence démocratique » à la commission parlementaire et au gouvernement français.

    Les errements d’une certaine gauche

    Quant à la gauche stalino-trotsko-sartrienne française, prisonnière d’une histoire absurde ou criminelle qui l’a conduite, il y a cinquante ans, à trahir les rêves égalitaires des Africains au profit de l’impérialisme soviétique et de ses cauchemars (mais aussi, dans les faits, des néocolonialismes français, états-uniens, et autres), elle continue aujourd’hui d’intriguer contre l’unité franco-mahoraise, tout en se réclamant de l’internationale prolétarienne. Le tout au mépris de la démocratie. 

    Dans l’Humanité le 12 mars 2009, on pouvait lire :

    « Jean-Paul Le Coq (PCF, Seine-Maritime) a rappelé, au nom des députés communistes et du Parti de gauche, que  ʺla séparation arbitraire de Mayotte viole l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores et suscite légitime-ment les condamnations internationales, notamment des États-Unisʺ ».

    Faudrait-il donc, à suivre le PCF et le Parti de Gauche au nom duquel il prétend parler, que la France impose l’indépendance à Mayotte, et somme ses populations d’intégrer l’Union des Comores, avec la bénédiction de Washington, selon les méthodes appliquées à l’Afrique française il y a cinquante ans ?

    Les monstres de faïence

    Si d’aventure, dans un strict respect mutuel avec ses interlocuteurs comoriens et dans un dialogue permanent avec l’Union Africaine, le gouvernement français cherchait à ouvrir honnêtement le très épineux dossier d’Anjouan et de Mohéli, il romprait radicalement avec la Vème République blanciste. La France suivrait enfin dignement l’idéal d’un Senghor, d’un Lévi-Strauss ou même d’un Césaire, tels que la Vème République blanciste, PCF compris, les élimina ou les écrasa, les dégoûta et les aliéna, parce qu’elle refusait de bâtir avec l’Outre-mer un projet fraternel. Il faut relire la lettre de démission d’Aimé Césaire à Maurice Thorez en 1956.

    Par un paradoxe qui n’est donc qu’apparent, s’il s’avisait d’accomplir les rêves de Senghor, de Lévi-Strauss et de Césaire – et même peut-être ceux de Rosa Luxembourg – le gouvernement français trouverait sur son chemin une extrême-gauche galvanisée.

    Non d’ailleurs sans quelques bonnes raisons, tout de même, puisque le projet de départementalisation de Mayotte, à l’image du régime qui le porte, traîne de vieilles démangeaisons infâmes, inégalitaires et colonialistes…

    Ce face-à-face, absurde et monstrueux, où chacun des adversaires trahit, dans les deux cas et chacun à sa façon, tout à la fois les Nègres, la France, le peuple, la République et ses principes, est le symbole de tout notre régime. Espérons-le, agonisant.

     

    Article publié sur le blog Fusionnisme, le 10 juin 2010

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Epilogue

     

     

     

    La France est un corps mort

     

    à la nécessaire résurrection

     

    « (…) la famille humaine, prête à sacrifier ses liens les plus saints sur l'autel de l'égoïsme mesquin de la nation, de la race, de l'idéologie, du groupe, de l'individu (…) »

     

    Benoît XVI, Homélie à Fatima, 13 mai 2010

     

     

    Dieu merci, en l’an de grâce 2011, la vérité n'est plus niée dans les hautes sphères politiques et intellectuelles françaises. Même si l’on préfère encore la taire à cette heure. Quant aux sphères africaines, hormis quelques fins stratèges, elles savent pertinemment, bien avant que je ne commence à parler, que l’évidence est là.

    A partir de la minute 33', Henri Lopes, ambassadeur du Congo à Paris, dans une allocution du 14 décembre 2010, lors d'une table ronde organisée par l'Institut Pierre Mendès France :

    http://www.mendes-france.fr/2010/12/14/audio-forum-sur-la-politique-africaine-de-la-france/ 

     

    Dont acte.

    * * *

     

    La prétendue « décolonisation » et son histoire essentiellement falsifiée ont détruit et détruisent encore la France comme elles ont détruit et détruisent l'Afrique. En empêchant l’unité fraternelle et constructive à laquelle toutes deux aspiraient profondément.

    Aujourd’hui, au bout du processus de déchirure, la France est pour ainsi dire morte ou si l’on préfère, la France existe, au choix, sous forme d’ectoplasme, de corps en état de mort clinique ou bien encore de cadavre. Qui se décompose. A commencer par la langue, en particulier celle des jeunes, plus que jamais envahie par l’anglais. Le mot vie lui-même est devenu « life ». Il suffit de tendre l’oreille ou d’ouvrir les yeux pour regarder ce qu’est devenue la France ces dernières décennies, et mieux encore ce qu’elle n’est plus.

    Flash-back.

    * * *

     

    Tous les mots de la phrase suivante sont pesés.

    Il y a cinquante ans, à peine sorti de l’enfer colonialiste, égaré au cœur des ténèbres de la prétendue                        « décolonisation », l’Etat français trahit la totalité des principes qui firent universellement la gloire de la France, la fond(ai)ent comme mythe politique planétaire et faisaient l’orgueil de son peuple. En particulier : liberté, égalité, fraternité et laïcité ; mais aussi ses fondements modernes : Lumières, république et démocratie.

    Ce vaste naufrage idéologique prit la forme d’un programme politique insensé, si l’on songe aux critères fondamentaux de la bonne gestion d’un Etat et aux conditions de sa pérennité : la sécession encouragée, souvent provoquée, parfois imposée, de facto, aux 9/10e du territoire et aux 3/4 de la population, sous couvert de    « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », alors même que ce droit fut systématiquement bafoué. Des millions d’Ultramarins basculèrent ainsi dans des tyrannies plus ou moins éclairées, cruelles ou démentes, et connurent la régression dans presque tous les domaines.

    Si l’on rapproche l’ampleur du sacrifice, à savoir l’abandon de la quasi-totalité du territoire et de la majorité de la population, de la question qui y présida, à savoir le refus de voir le Nègre, le Berbère ou l’Arabe comme égal, on mesure le degré de défiance que ce sacrifice signifie et l’on pressent l’intensité de la tragédie. En particulier dans les esprits en Afrique subsaharienne, et aux tréfonds de l’âme noire tellement dénigrée et flétrie à travers les temps modernes.

    Car ce dernier crachat, immense, venait de la France et plus précisément de Paris, qui tenaient jusque-là une place majeure dans le panthéon politique nègre.

    * * *

     

    Evidemment, pour faire passer semblable désastre pour un superbe succès et cet incommensurable scandale pour une prodigieuse merveille, l'Etat « français », en réalité l’Etat  « hexagonal », sut préserver ses intérêts à court terme et donner aux rescapés de la grande lessive du pain et des jeux. Puissamment déployée, la propagande fit le reste, avec les complicités de Washington, de Moscou et du Vatican, entre autres pompiers pyromanes.

    L’Afrique vassalisée, les anciennes provinces et populations françaises répudiées pour être trop « nègres », trop « bougnoules » ou pas assez « chrétiennes », furent invitées à confirmer, après l’avoir sagement appris à l’école, que l’opération, que le divorce avait relevé de leur choix.

    * * *

     

    Pareilles transgressions, dans leur exceptionnelle ampleur, sont évidemment lourdes de conséquences à long terme. Faut-il s’étonner que la France actuelle ne soit plus grand-chose, en particulier à ses propres yeux ? Est-on surpris de la voir si triste et mélancolique, en l’an 2011, telle qu’elle se ressent à présent dans sa chair mêlée malgré les fous ? Est-il vraiment bizarre qu’elle s’aime si peu avec ces cruelles souvenances, ces terrifiants refoulements ? Précisément parce qu’elle a, à la fois, violé ses principes les plus sacrés et ses valeurs les plus hautes, parce qu’elle s’est niée elle-même, mais aussi parce qu’elle le fit en abandonnant nombre de ses enfants bientôt pauvres parmi les pauvres, au gré d’une automutilation confinant au suicide, sur fond de lavage de cerveaux.

    Aujourd’hui, fatalement éparpillée parmi ces bouts d’elle-même que certains de ses grands chefs jugèrent incompatibles, la haine de soi pour héritage, minée de moins en moins confusément, elle se déchire lentement vers la tombe... L’inquiétante décomposition, la fameuse mort clinique évoquée plus haut.

    * * *

     

    Le peu qu’il reste de l’ancienne France, de la plus grande France par delà les races et les religions, sûre de son génie sans ignorer ses faiblesses, dans l’hexagone ou outre-mer, y compris en Afrique, s'étiole, ou survit difficilement. La France naïve et exaltée qui se dressait en chantant les gloires de l’Homme debout contre tous les esclavages et toutes les superstitions, qui rêvait de renverser tyrans et tyrannies pour libérer les peuples, on en observe les derniers feux de loin en loin, plus souvent consterné par les reflets qu’elle jette dans quelque dérisoire commémoration ou beau discours de circonstance. Qui s’aviserait de s'en plaindre, finalement, quand on sait tous les mensonges et les vrais crimes dont la France est tant salie et même défigurée ? Sans rien dire des trésors de duplicité qu’il fallut pour commettre tant d’abominations.

    * * *

     

    Resterait, dans l’espoir d’un impossible salut, à repenser entièrement le présent depuis l'origine…

    Un tournant, une révolution culturelle est si urgente qu’elle devrait être inéluctable. Elle devrait aussi être évidente. Sauf si l’on n’a cure que le monde s’abîme pour longtemps, et peut-être définitivement, et que le malheur ne l’emporte par pans…

    La crise financière et économique n’est, en France, que la cerise et le sucre glace sur un gigantesque kouglof. Le pays connaît une crise autrement profonde, grave et vaste, bien antérieure au scandale des subprimes US. Une crise de nature historique, politique, sociétale, idéologique, aux enjeux presqu’illimités.

    Notre pays s'autodétruit, ou plutôt achève de s'autodétruire. Parce que ses chefs, après des luttes acharnées et des intrigues étrangères de toutes sortes, empêchèrent sa fusion avec l’Afrique qu’ils préférèrent abaisser et exploiter encore, plutôt que d’accepter la métamorphose de la France entre 1945-1962. Elle n'y survivra pas.

    Faut-il encore dire ce qu’il lui reste à faire, après ce Cinquantenaire des « indépendances » africaines qui, finalement, n’a fait presque aucun bruit au pays de Charles de Gaulle et de Nicolas Sarkozy, et qui inspira à l’Afrique des silences vertigineux que vient enfin de rompre Henri Lopes ?

    Entre fusion fraternelle et métamorphose, dire la vérité sur ce qui s’est passé voilà cinquante ans. Pour une manière de résurrection. Ou de transfiguration…

     

    Article publié sur le blog Fusionnisme, le 28 janvier 2011

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ANNEXES

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Annexe I

     

       Discours de Charles de Gaulle, Alger, 4 juin 1958.

     

       « Je vous ai compris ! Je sais ce qui s'est passé ici... Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c'est celle de la rénovation et de la fraternité...

       Je dis la rénovation à tous égards. Mais très justement, vous avez voulu que celle-ci commence par le commencement, c'est-à-dire par nos institutions, et c'est pourquoi me voilà...

       Et je dis la fraternité parce que vous offrez ce spectacle magnifique d'hommes qui d'un bout à l'autre, quelles que soient leurs communautés, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main...

       Eh bien ! De tout cela je prends acte au nom de la France... et je déclare qu'à partir d'aujourd'hui la France considère que dans toute l'Algérie, il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants... il n'y a que des Français à part entière... des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs...

       Cela signifie qu'il faut ouvrir des voies qui jusqu'à présent étaient fermées devant beaucoup. 

       Cela signifie qu'il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas...

       Cela signifie qu'il faut reconnaître la dignité de ceux à qui on la contestait...

       Cela veut dire qu'il faut assurer une patrie à ceux qui pouvaient douter d'en avoir une.

       L’armée, l’armée française, cohérente, ardente, disciplinée, sous les ordres de ses chefs, l’armée éprouvée en tant de circonstances et qui n’en a pas moins accompli ici une œuvre magnifique de compréhension et de pacification, l’armée française a été sur cette terre le ferment, le témoin, et elle est le garant du mouvement qui s’y est développé.

       Elle a su endiguer le torrent pour en capter l’énergie. Je lui rends hommage. Je lui exprime ma confiance. Je compte sur elle pour aujourd’hui et pour demain.

       Français à part entière dans un seul et même collège, nous allons le montrer, pas plus tard que dans trois mois dans l'occasion solennelle où tous les Français, y compris les dix millions de Français d'Algérie, auront à décider... auront à décider de leur propre destin...

       Pour ces dix millions de Français-là, leurs suffrages compteront autant que les suffrages de tous les autres...

       Ils auront à désigner, à élire, je le répète en un seul collège, leurs représentants pour les Pouvoirs publics, comme le feront tous les autres Français...

       Puissent-ils participer en masse à cette immense démonstration, tous ceux de vos villes, de vos douars, de vos plaines, de vos djebels.

       Puissent-ils même y participer ceux-là, qui par désespoir ont cru devoir mener sur ce sol un combat dont je reconnais, moi, qu'il est courageux, car le courage ne manque pas sur la terre d'Algérie... qu'il est courageux, mais qu'il n'en est pas moins cruel et fratricide. 

       Moi, de Gaulle, à ceux-là j'ouvre la porte de la réconciliation... 

       Jamais plus qu'ici et plus que ce soir, je n'ai senti combien c'est beau, combien c'est grand, combien c'est généreux la France !

       Vive la République ! Vive la France ! »

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Annexe II

     

       Discours de Charles de Gaulle, Mostaganem, 6 juin 1958. Face au Général, une foule à majorité arabo-berbère.

     

       « La France entière, le monde entier, sont témoins de la preuve que Mostaganem apporte aujourd'hui que tous les Français d'Algérie sont les mêmes Français. Dix millions d'entre eux sont pareils, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

       Il est parti de cette terre magnifique d'Algérie un mouvement exemplaire de rénovation et de fraternité. Il s'est élevé de cette terre éprouvée et meurtrie un souffle admirable qui, par-dessus la mer, est venu passer sur la France entière pour lui rappeler quelle était sa vocation ici et ailleurs.

       C'est grâce à cela que la France a renoncé à un système qui ne convenait ni à sa vocation, ni à son devoir, ni à sa grandeur. C'est à cause de cela, c'est d'abord à cause de vous qu'elle m'a mandaté pour renouveler ses institutions et pour l'entraîner, corps et âme, non plus vers les abîmes où elle courait mais vers les sommets du monde.

       Mais, à ce que vous avez fait pour elle, elle doit répondre en faisant ici ce qui est son devoir, c'est-à-dire considérer qu'elle n'a, d'un bout à l'autre de l'Algérie, dans toutes les catégories, dans toutes les communautés qui peuplent cette terre, qu'une seule espèce d'enfants. 

          Il n'y a plus ici, je le proclame en son nom et je vous en donne ma parole, que des Français à part entière, des compatriotes, des concitoyens, des frères qui marchent désormais dans la vie en se tenant par la main. Une preuve va être fournie par l'Algérie tout entière que c'est cela qu'elle veut car, d'ici trois mois, tous les Français d'ici, les dix millions de Français d'ici, vont participer, au même titre, à l'expression de la volonté nationale par laquelle, à mon appel, la France fera connaître ce qu'elle veut pour renouveler ses institutions. Et puis ici, comme ailleurs, ses représentants seront librement élus et, avec ceux qui viendront ici, nous examinerons en concitoyens, en compatriotes, en frères, tout ce qu'il y a lieu de faire pour que l'avenir de l'Algérie soit, pour tous les enfants de France qui y vivent, ce qu'il doit être, c'est-à-dire prospère, heureux, pacifique et fraternel.

       A ceux, en particulier qui, par désespoir, ont cru devoir ouvrir le combat, je demande de revenir parmi les leurs, de prendre part librement, comme les autres, à l'expression de la volonté de tous ceux qui sont ici. Je leur garantis qu'ils peuvent le faire sans risque, honorablement.

       Mostaganem, merci ! Merci du fond de mon cœur, c'est-à-dire du cœur d'un homme qui sait qu'il porte une des plus lourdes responsabilités de l'Histoire. Merci, merci, d'avoir témoigné pour moi en même temps que pour la France ! Vive Mostaganem ! Vive l’Algérie ! Vive la République ! Vive la France ! »

       Le Général s’éloigne du micro. La foule scande : « Algérie française ». Le Général revient au micro et dit : « Vive l’Algérie française ! »

     

       Dans la Tragédie du Général (Ed. Plon, 1967), JR Tournoux note : « Deux ans plus tard, le général de Gaulle, relisant tous les textes de ses déclarations relatives à l’Algérie, demandera à son Cabinet : ʺEtes-vous bien sûr que j’ai dit Algérie française ?ʺ La réponse laissant évidemment peu de place au doute, de Gaulle ajoute : ʺJ’ai vu un élan de fraternité réelle, provoqué par l’armée, dirigé d’ailleurs contre les pieds-noirs, contre le statu quo… Je n’ai voulu épargner aucune chance. C’était superficiel.ʺ » (pp. 289-290)

       A chacun d’apprécier l’ensemble et la cohérence de ces remarques…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Annexe III

     

       

       Extrait du discours d’Ahmed Sékou Touré, Conakry, le 27 août 1958.

     

     

       « (…) C'est en fonction de ces leçons du passé et des impératifs de cette évolution nécessaire, de ce progrès général irréversible déjà accompli, de la ferme volonté des peuples d'Outre-mer à accéder à la totale dignité nationale excluant définitivement toutes les séquelles de l'ancien régime colonial, que nous ne cessons, dans le cadre d'une Communauté franco-africaine égalitaire et juste, de proclamer la reconnaissance mutuelle et l'exercice effectif du droit à l'indépendance des peuples d'Outre-Mer. 

     

       Certains attributs de souveraineté qui seront exercés au niveau de cette Communauté devront se résumer en quatre domaines : Défense, Relations diplomatiques, Monnaie, Enseignement supérieur. 

     

       Un pays qui exclut toute interdépendance dispose de quatre pouvoirs essentiels : la Défense, la Monnaie, les Relations extérieures et la Diplomatie, la Justice et la Législation. 

     

       Nous acceptons volontairement certains abandons de souveraineté au profit d'un ensemble plus vaste, parce que nous espérons que la confiance placée dans le peuple français et notre participation effective au double échelon législatif et exécutif de cet ensemble sont autant de garantie et de sécurité pour nos intérêts moraux et matériels. 

     

       Nous ne renonçons pas et ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l'indépendance car, à l'échelon franco-africain nous entendons exercer souverainement ce droit. 

     

        Nous ne confondons pas non plus la jouissance de ce droit à l'indépendance avec la sécession d'avec la France, à laquelle nous entendons rester liés et collaborer à l'épanouissement de nos richesses communes. 

     

       Le projet de Constitution ne doit pas s'enfermer dans la logique du régime colonial qui a fait juridiquement de nous des citoyens français, et de nos territoires, une partie intégrante de la République française une et indivisible. 

     

       Nous sommes africains et nos territoires ne sauraient être une partie de la France. Nous serons citoyens de nos Etats africains, membres de la Communauté franco-africaine. 

     

       En effet, la République française, dans l'Association franco-africaine, sera un élément tout comme les Etats africains seront également des éléments constitutifs de cette grande Communauté multinationale composée d'Etats libres et égaux.

     

       Dans cette association avec la France, nous viendrons en peuples libres et fiers de leur personnalité et de leur originalité, en peuples conscients de leur apport au patrimoine commun, enfin en peuples souverains participant par conséquent à la discussion et à la détermination de tout ce qui, directement ou indirectement, doit conditionner leur existence.» 

     

     

       Sékou Touré ou l’art d’investir le mot « indépendance » d’une étrange substance, par le truchement de l’« interdépendance » confédérale… et de la Communauté Franco-Africaine, « égalitaire et juste »… Ce que, précisément, ne fut pas la Communauté française de 1958, à laquelle il refusa par conséquent d’adhérer…

     

    Annexe IV

     

    Chute de la IVème République :

    Ni « archaïque », ni « débilitante »,

    juste « blanciste »

    ou

    Explication

    d’un contresens historique

    d'Eric Zemmour et consorts

    (extraits)

     

    Eric Zemmour, ce grand serviteur du Système déguisé en libre penseur du politiquement incorrect, déclarait récemment dans l’une de ses chroniques sur RTL : « [Sous la IVème République], un personnel politique d’une qualité exceptionnelle, de Mendès France à Edgar Faure, sans oublier François Mitterrand, était handicapé par un système institutionnel archaïque et débilitant (…) ».

    A la minute 2’35 :

    http://www.rtl.fr/actualites/politique/article/eric-zemmour-la-tentation-de-la-primaire-a-droite-7723127915%20

    Sans polémiquer sur le fait de savoir si les hommes politiques en question étaient ou non « d’une qualité exceptionnelle » (y compris d’ailleurs, au-delà des effets de manche, dans l’esprit d’Eric Zemmour…), cette affirmation au sujet du « système institutionnel archaïque et débilitant [de la IVèmeRépublique] » appelle un rapide commentaire. Non tant pour répondre à Eric Zemmour, avatar parmi tant d’autres d’une époque mensongère et/ou aveugle, que pour en finir, une fois pour toutes, avec l’un des grands écrans de fumée dont se pare le régime qui, depuis cinquante ans, démolit la République et la France, et accessoirement l’Afrique, sous couvert de les sauver…

    Césarisme bonapartiste contre parlementarisme pluraliste

    D’abord, remarquons que l’accusation selon laquelle la IVème République était un régime bloqué à cause de ses institutions est une des grandes tartes à la crème que la Vème République et ses serviteurs nous jettent au visage depuis un demi-siècle.

    Remarquons ensuite qu’on retrouve ici le vieux et classique procès qu’intente le césarisme (ou le bonapartisme…) au régime parlementaire, accusé de se perdre en stériles bavardages, quand le pouvoir ramassé dans les mains d’un seul permettrait, nous dit-on, une direction beaucoup plus déterminée et efficace des affaires politiques. Rien d’étonnant à ce que, comme tant d’autres, Eric Zemmour, qui ne cache pas ses sympathies « réactionnaires », dénigre le parlementarisme et fasse, implicitement, l’apologie du régime présidentiel…

    Il est vrai qu’en instaurant en France, avec la Vème République, un régime césarien (renforcé dans ce caractère par l’élection du président au suffrage universel), De Gaulle ne faisait que réaliser un vieux rêve de l’extrême droite française, dont Déroulède se fit le chantre à la fin du XIXème siècle. Opération somme toute fort cohérente de la part du Général, que Pierre Viansson-Ponté définissait comme « un officier de filiation nationaliste et conservatrice, voire monarchiste »…

    Ce régime « archaïque et débilitant » qui redressa spectaculairement la France

    Ce décor planté, force est de constater que la IVème République hérita d’une situation particulièrement difficile : le pays sortait d’une guerre qui l’avait en partie dévasté et saigné à blanc pour la deuxième fois en trente ans. Car si la Seconde Guerre mondiale fut moins meurtrière que la première, elle fit tout de même près de 600.000 morts.

    Or malgré cela, de 1946 à 1958, sous la IVème République         « archaïque et débilitant[e] », la France a connu un redressement économique spectaculaire et un développement remarquable dans pratiquement tous les domaines. C’est là une évidence, dont aucun historien ne disconvient sérieusement aujourd’hui.

    En réalité, contrairement à ce qu’affirme Eric Zemmour comme tant d’autres dans le sillage de la propagande de la Vème République gaullienne, bien davantage que ses Institutions, c’est la vaste question de l’Outre-Mer qui mina la IVème République et la mit profondément en crise. Plus précisément, ce qui provoqua la dislocation de la IVème République, c’est le dilemme politico-idéologique (et républicain, et démocratique…) que posait la question ultramarine. C’est d’ailleurs sur la question ultramarine par excellence que la IVème République chuta en 1958 : l’affaire d’Algérie.

     

     

    Le dilemme politico-idéologique ultramarin comme vraie cause de la chute de la IVème République

    Soulignons que la IVème République ne s’est pas effondrée, mais qu’elle fut activement renversée, en 1958, par le général de Gaulle appuyé par l’Armée. Pareil état de fait relativise l’idée d’un régime tellement vermoulu qu’il se serait écroulé tout seul…

    En réalité, loin de s’effondrer, la IVème République fut renversée au prix d’un putsch militaire doublé d’un coup de force politique. La Grande Muette, entrée en sédition en Algérie, alla jusqu’à prendre la Corse et menaça même, sans bien sûr ouvrir la bouche, de sauter sur Paris. Encore fallut-il à Charles de Gaulle, dans ce contexte, forcer la main à Pierre Pflimlin et, pour ainsi dire, s’autoproclamer à sa place président du Conseil, comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer dans La République inversée, Affaire algérienne (1958-1962) et démantèlement franco-africain (Ed. L’Harmattan, 2010, avec Raphaël Tribeca).

    Ce putsch militaire était en relation directe avec l’Affaire algérienne, c’est-à-dire avec la plus épineuse des questions ultramarines. La plus épineuse, non seulement pour des raisons statutaires (les territoires algériens étaient des départements, théoriquement parties intégrantes de la métropole) mais aussi humaines (étaient présents, en Algérie, un million de Pieds-Noirs et plusieurs millions de musulmans français radicalement hostiles à l’indépendance).

    Pour ces spécificités, l’Affaire algérienne confrontait le Système politique parisien, de façon incontournable autant que radicale, au dilemme colonial, dont il était sorti avec les plus grandes difficultés (et pour son plus grand affaiblissement) en Indochine, en Tunisie et au Maroc. C’est ce dilemme colonial (ou postcolonial…) qui a causé la plupart des vraies difficultés de la IVème République. Et non ses Institutions, quoi qu’en disent la doxa et ses chantres, notamment Eric Zemmour…

    Au contraire, les Institutions de la IVème République firent preuve d’une étonnante solidité, puisqu’elles permirent au régime, comme on va le voir, d’aller, pendant des années, contre la volonté du peuple. C’est-à-dire contre la démocratie et contre la Constitution, c’est-à-dire contre la République elle-même…

    (…)

     

    Le déchirant cas algérien

    En 1958, la question de l’égalité se posait depuis bien des décennies en Algérie, de façon insurrectionnelle, terroriste et armée depuis 1954. Là encore, la IVème République ne put se résoudre à accorder la citoyenneté pleine et entière aux populations indigènes, ni à interroger le peuple à ce sujet. Là encore, l’autonomie et son corollaire, l’indépendance, finirent par être envisagés.

    L’Armée, qui s’était essentiellement tue sur tous les autres chapitres, cette fois se cabra. Non de son propre chef. Le général de Gaulle, par ses réseaux, la poussa dans cette voie, sa force de persuasion renforcée par l’opinion publique. Car celle-ci en était arrivée à considérer avec le plus grand mépris cette classe politicienne de la IVème République qui, morceau par morceau, démantelait l’unité franco-ultramarine, sur fond de guerres ininterrompues, d’imbroglio permanent au Palais-Bourbon en instabilité ministérielle, de désastres militaires en Canossa diplomatiques.

    Par l’abandon successif, dans des conditions souvent douteuses et parfois dramatiques, de l’Indochine, de la Tunisie, du Maroc et même des Comptoirs des Indes (qui ne sera entériné définitivement qu’en 1962, tant il fut difficile de vaincre les réticences locales, en particulier à Pondichéry) autant que par sa cacophonie et sa politique de Gribouille sur ces sujets, le régime s’était rendu détestable aux yeux de l’opinion. Ces relents nauséabonds ont fait à la IVe une réputation lamentable qu’exploite Eric Zemmour comme tant d’autres, pour appuyer la thèse d’un régime rongé par « un système institutionnel archaïque et débilitant ».

    Alors que bien davantage que ses Institutions, c’est la crise idéologique ou plutôt l’impasse dans laquelle l’a conduite son idéologie antirépublicaine et antidémocratique qui a miné le régime de la IVème République, en le conduisant à abandonner des pans entiers, et gigantesques, du territoire et de ses populations. A savoir l’idéologie blanciste, qui refusa l’égalité à l’Outre-Mer par crainte du métissage de la France, mais aussi de la prise du pouvoir politique par les Ultramarins. Idéologie d’une certaine élite métropolitaine, qui refusa toujours de donner la parole au peuple à ce sujet, outre-mer aussi bien qu’en métropole. Là gît toute la tragédie de la IVème République, puis de la Vème…

    (…)

    Article publié sur le blog Fusionnisme, le 10 décembre 2011

    Annexe V

     

     

    L’impossible scénario 

    ou 

    Sarkozy thaumaturge

    (extrait)

     

     

    Quelle forme pourrait bien prendre un « coming out » officiel sur la question de la prétendue décolonisation franco-africaine ? Comment dénoncer les menées du président de Gaulle sans abîmer outre mesure l’image (et le mythe…) du Général ? Un savant exercice d’équilibre et de dosage s’imposerait, dont l’extrait ci-dessous, tiré d’un article publié en 2008, tente d’indiquer les contours. Avec Nicolas Sarkozy dans le rôle improbable, presque burlesque, de l’homme de courage…

     

    (…) Par un joli soir d’automne 2008 ou de printemps 2009, le président de la République française, Nicolas Sarkozy, invité sur France 2, déclarerait à la journaliste médusée : « Oui, le général de Gaulle est une immense figure de notre histoire, un héros qui tient pour toujours une place sacrée dans nos cœurs et dans nos âmes ; oui, le général de Gaulle de la France Libre incarne à tout jamais une certaine, une grande, une immense et irremplaçable idée de la France ; oui, le général de Gaulle nous a livré un idéal, en accomplissant, avec le chancelier Adenauer, la réconciliation franco-allemande, socle fondamental de l’Europe nouvelle et pacifique ; mais oui, aussi, et je ne le dis pas sans frémir, chère Arlette Chabot : le général de Gaulle a aussi eu sa part d’ombre ».

    Et là-dessus, le président Sarkozy expliquerait d’une voix solennelle : « Ce que le général de Gaulle a légué à la France, c’est ce dont elle avait le plus besoin : d’abord la liberté et l’indépendance, sans lesquelles la France n’est plus que l’ombre d’elle-même ; et puis un régime stable et digne de notre cher et vieux pays, dont les ambitions sont mondiales et la vocation universelle. Cela aussi, c’est au général de Gaulle que nous le devons, et c’est beaucoup. Mais il faut aussi reconnaître que ce splendide édifice constitutionnel, pétri de rêve et de cette vraie grandeur qui bruisse de tous les vents de l’éternité, a commis en son origine, et je pèse mes mots, Madame Chabot, une faute à l’égard de l’Afrique, mais aussi une faute à l’égard de la France et du peuple français. »

    Suivraient ensuite deux salves d’une vingtaine de minutes, durant lesquelles le président Sarkozy expliquerait par le menu ce que fut vraiment la décolonisation. En substance, une « entreprise de trahison des valeurs de la République, par peur absurde du métissage », et la réalisation de « calculs financiers évidemment inacceptables au regard des convictions de la France, héritière de 1789 ». « Etre un génie, un visionnaire, cela implique de grandes forces et d’incommensurables vertus, mais cela n’exclut pas les faiblesses qui guettent même le meilleur des hommes », ajouterait le président.

    Lorsque la journaliste, manifestement déstabilisée, demanderait au président où il veut en venir et s’il a bien conscience du « tsunami » qu’une telle prise de position risque de déclencher, non seulement en France, mais aussi dans le monde, celui-ci enchaînerait, à la fois grave, calme et décidé :

    « Je veux en venir à la vérité, Madame Chabot, tout simplement à la vérité… Vous imaginez bien que j’ai mûrement réfléchi avant de parler ce soir, et que j’en mesure non seulement toute l’importance, tout le poids, mais aussi tous les enjeux qui, vous avez raison de le souligner, sont immenses. »

    « La vérité, j’ai dit aux Français que je la leur devais, et que je la leur dirai. C’est simplement, solennellement ce que je fais ici ce soir. A chacune, à chacun d’entre nous, ensuite, en son âme et conscience, d’en tirer toutes les conséquences. De mon côté, en tant que chef de l’Etat, je vais bien sûr prendre mes responsabilités. Je vais demander au gouvernement de créer une commission pour réfléchir à ce que la France et l’Afrique pourraient faire ensemble à la lumière de cette vision de l’Histoire, qui n’est pas nouvelle, mais qui a été cachée pendant trop longtemps… Cela, évidemment, ne saurait avoir lieu sans que nos partenaires et amis Africains soient associés, s’ils le souhaitent, à cette nécessaire réflexion qui les concerne aussi directement, et au sujet de laquelle ils ont, évidemment, bien plus que leur mot à dire.

    Parce que vous savez, chère Madame Chabot, les choses cachées, dans le cœur, ça fait très mal, et ça fait très mal à tout le monde. Et en Afrique autant qu’en France et en Europe, vieilles terres de mémoire, de telles réalités ont beaucoup de sens. Je dirais même qu’elles sont cruciales, et même vitales. Je crois que c’est pour cela qu’il faut avoir le courage de libérer la parole, de parler en pleine lumière, non seulement pour panser les plaies, mais aussi pour soigner et rebâtir... Entre la France, l’Europe et l’Afrique, c’est une nouvelle fraternité qu’il s’agit de construire, une fraternité ancienne et belle qu’il s’agit de ressusciter…»

    * * *

    Une telle déclaration du président français serait révolutionnaire, et permettrait à Nicolas Sarkozy de tenir parole, en mettant la « vérité » au service de la « rupture », conformément aux slogans de campagne qui ont scandé son accession à la magistrature suprême.

    Une telle prise de position, en sapant les mensonges et les hypocrisies qui rongent, minent et détruisent la France et l’Afrique depuis un demi-siècle, laisserait espérer la résolution, aujourd’hui malheureusement si improbable, d’une crise d’identité française que beaucoup pressentent annonciatrice de complications terrifiantes.

    Une telle charge susciterait probablement l’ire de nombreux politiques et intellectuels français, de droite comme de gauche, d’extrême droite comme d’extrême gauche…

    Mais puisqu’il s’agit de soulever un monde…

     

     

    Article publié sur le blog Fusionnisme, le 11 octobre 2008

     

     

     

     

    TABLE

     

     

    Préambule p. 7

     

    Introduction p. 9

     

    Avertissement p. 15

     

    « Décolonisation » : 

    Précisions sémantiques et politiques p.  21

     

    « Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »

    théorique et déni démocratique bien réel p. 31

     

    Aux origines du mal 

    ou L’Affaire gabonaise (1958) p. 55

     

    Aimé Césaire : Une clef gravée

    du mot assimilation p. 65

     

    De Hitler au largage des Africains  p. 75

     

    Trois « Harkis » assiègent 

    le Palais Bourbon, Sarkozy et l’Histoire p. 79

     

    Les Harkis, Mitterrand, Drucker :

    Arcanes d’une omerta médiatique p. 85

     

    Jeu de pipeau ordinaire 

    dans le cadre du Cinquantenaire 

    des « indépendances » africaines p. 93

     

    La Révolution s’avance 

    ou Quand Henri Lopes balance à Paris p. 99

     

    Mayotte/Afrique/France/Europe : 

    Le jardin des délices et le poids des élites p. 107

     

     

     

    Départementalisation de Mayotte :

    Face-à-face entre deux mondes p. 119

     

    Epilogue :

    La France est un corps mort

    à la nécessaire résurrection p. 129

     

     

     

    ANNEXES

     

     

    I. Discours de Charles de Gaulle,

    Alger, 4 juin 1958 p. 139

     

    II. Discours de Charles de Gaulle, 

    Mostaganem, 6 juin 1958 p. 143

     

    III. Extrait du discours de Sékou Touré,

    Conakry, 27 août 1958 p. 147

     

    IV. Chute de la IVème République :

    Ni « archaïque », ni « débilitante »,

    juste « blanciste »

    ou Explication d’un contresens 

    historique d'Eric Zemmour et consorts 

    (extraits) p. 149

     

    V. L’impossible scénario 

    ou Sarkozy thaumaturge p. 155

     


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  • Leon Gontran Damas : SOS et un autre poème

    S.O.S.

    extrait de PiGMENTS, Présence Africaine

     

    A ce moment-là seul

    comprendrez-vous donc tous

    quand leur viendra l'idée

    bientôt cette idée leur viendra

    de vouloir vous en bouffer du nègre

    à la manière d'Hitler

    bouffant du juif

    sept jours fascistes

    sur

    sept

     

    A ce moment-là seul

    comprendrez-vous donc tous

    quand leur supériorité

    s'étalera

    d'un bout à l'autre de leurs boulevards

    et qu'alors

    vous les verrez

    vraiment tout se permettre

    ne plus se contenter de rire avec l'index inquiet

    de voir passer un nègre

    mais

    froidement matraquer

    mais

    froidement descendre

    mais

    froidement étendre

    mais froidement

    matraquer

    descendre

    étendre

    et couper leur sexe aux nègres

    pour en faire des bougies pour leurs églises

     

    ____

     

    Un petit dernier pour le moment

     

     

    Un poème pour sûr s’en passe volontiers 

    mais il s'agit moins de recommencer à dire

    le gros mot

    le mot sale

    le mot défendu

    que de continuer à être

    contre

    la conspiration du silence autour de moi-même

    à moi-même imposée

    par moi-même admise

     

    Il s'agit moins de recommencer

    que de continuer à être

    contre

    le hara

    le musée

    la caserne

    la chapelle

    la doctrine

    le mot d'ordre

    le mot de passe

     

    Il s'agit moins de recommencer

    que de continuer à être

    contre

    le dressage

    le défilé

    le concours

    le mérite agricole

    le quitus

    le viatique

    le bon point

    le pourboire

    la médaille

    la menterie

    le système

    la débrouille

    le lâchage

    le salaire du lâchage

     

    Il s'agit moins de recommencer

    que de continuer à être

    contre

    la restriction

    la claustration

    la réserve

    la résignation

    la pudeur fausse

    la pitié

    la charité

    le refoulement

    toute honte bue

     

    Il s'agit moins de recommencer

    que de continuer à être

    contre

    la morale occidentale

    et son cortège de préceptes

    de préconceptions

    de présomptions

    de prénotions

    de prétentions

    de préjugés

     

    Il s'agit moins de recommencer

    que de continuer à vous refiler ma nausée

    continuer à vous surveiller

    continuer à ruer

    continuer à vous jouer plus d'un air

    de ma flûte en tibia de Karia

    Karia Rou-la-Gazelle

     

    continuer à vous navrer

    vous décevoir

    vous désarmer

     

    continuer à souhaiter

    que vienne enfin et sonne

    continuer à prier pour que vienne et sonne l'heure attendue

     *

    BLACK-LABEL À BOIRE

    pour ne pas changer

    Black-Label à boire

    à quoi bon changer

     

    LES SIÈCLES PASSÉS ONT VU

    les siècles à venir verront

    à chaque Crépuscule

    sur le fromager hanté

    les merles initiés

    s'en venir prier

    sans gants ni mitaines

    prier à genoux

    prier en cadence

    prier en créole

     

    PIÈ PIÈ PIÈ

    priè Bondjé

    mon fi

    priè Bondjé

    Angou ka bouyi

    Angou ké bouyi

     

    Pierre Pierre

    prie Dieu

    mon fiston

    prie Dieu

    mon fiston

    pour que soit fin prêt le maïs en crème

    à être savouré

     

    BLACK-LABEL À BOIRE

    pour ne pas changer

    Black-Label à boire

    *

    Nous les gueux

     

    Nous les peu

     

    nous les rien

     

    nous les chiens

     

    nous les maigres

     

    nous les nègres

     

     

     

    Nous à qui n'appartient

     

    guère plus même

     

    cette odeur blême

     

    des tristes jours anciens

     

     

     

    Nous les gueux

     

    nous les peu

     

    nous les riens

     

    nous les chiens

     

    nous les maigres

     

    nous les nègres

     

     

     

    Qu'attendons-nous

     

    les gueux

    les peu

    les rien

    les chiens

    les maigres

    les nègres

    pour jouer aux fous

    pisser un coup

    tout à l'envi

    contre la vie

    stupide et bête

    qui nous est faite

    à nous les gueux

    à nous les peu

    à nous les rien

    à nous les chiens

    à nous les maigres

    à nous les nègres...

     


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  • Reverdy : le bonheur des mots

    Je n’attendais plus rien quand tout est revenu, la fraîcheur des réponses, les anges du cortège, les ombres du passé, les ponts de l’avenir, surtout la joie de voir se tendre la distance. J’aurais toujours voulu aller plus loin, plus haut et plus profond et me défaire du filet qui m’emprisonnait dans ses mailles. Mais quoi, au bout de tous mes mouvements, le temps me ramenait toujours devant la même porte. Sous les feuilles de la forêt, sous les gouttières de la ville, dans les mirages du désert ou dans la campagne immobile, toujours cette porte fermée – ce portrait d’homme au masque moulé sur la mort, l’impasse de toute entreprise. C’est alors que s’est élevé le chant magique dans les méandres des allées.

    Les hommes parlent. Les hommes se sont mis à parler et le bonheur s’épanouit à l’aisselle de chaque feuille, au creux de chaque main pleine de dons et d’espérance folle. Si ces hommes parlent d’amour, sur la face du ciel on doit apercevoir des mouvements de traits qui ressemblent à un sourire.

    Les chaînes sont tombées, tout est clair, tout est blanc – les nuits lourdes sont soulevées de souffles embaumés, balayées par d’immenses vagues de lumières.

    L’avenir est plus près, plus souple, plus tentant.

    Et, sur le boulevard qui le lie au présent, un long, un lourd collier de cœurs ardents comme ces fruits de peur qui balisent la nuit à la cime des lampadaires.


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