Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

ARAGON : Le malheur d'aimer et autres poèmes

Le malheur d'aimer

 

Que sais-tu des plus simples choses

Les jours sont des soleils grimés

De quoi la nuit rêvent les roses

Tous les feux s'en vont en fumée

Que sais-tu du malheur d'aimer

 

Je t'ai cherchée au bout des chambres

Où la lampe était allumée

Nos pas n'y sonnaient pas ensemble

Ni nos bras sur nous refermés

Que sais-tu du malheur d'aimer

 

Je t'ai cherchée à la fenêtre

Les parcs en vain sont parfumés

Où peux-tu où peux-tu bien être

A quoi bon vivre au mois de mai

Que sais-tu du malheur d'aimer

 

Que sais-tu de la longue attente

Et ne vivre qu'à te nommer

Dieu toujours même et différente

Et de toi moi seul à blâmer

Que sais-tu du malheur d'aimer

 

Que je m'oublie et je demeure

Comme le rameur sans ramer

Sais-tu ce qu'il est long qu'on meure

A s'écouter se consumer

Connais-tu le malheur d'aimer

 

*

Enfer-les-Mines

 

Charade à ceux qui vont mourir Égypte noire

Sans Pharaon qu'on puisse implorer à genoux

Profil terrible de la guerre où sommes-nous

Terrils terrils ô pyramides sans mémoire

 

Est-ce Hénin-Liétard ou Noyelles-Godault

Courrières-les-Morts Montigny-en-Gohelle

Noms de grisou Puits de fureur Terres cruelles

Qui portent çà et là des veuves sur leurs dos

 

L'accordéon s'est tu dans le pays des mines

Sans l'alcool de l'oubli le café n'est pas bon

La colère a le goût sauvage du charbon

Te souviens-tu des yeux immenses des gamines

 

Adieu disent-ils les mineurs dépossédés

Adieu disent-ils et dans le coeur du silence

Un mouchoir de feu leur répond Adieu C'est Lens

Où des joueurs de fer ont renversé leurs dès

 

Etait-ce ici qu'ils ont vécu Dans ce désert

Ni le lit de l'amour dans le logis mesquin

Ni l'ombre que berçait l'air du Petit Quinquin

Rien n'est à eux ni le travail ni la misère

 

Ils s'en iront puisqu'on les chasse ils s'en iront

C'est fini les enfants qu'on lave à la fontaine

Tandis que chante sous un ciel tissé d'antennes

La radio des bricoleurs dans les corons

 

Ils n'iront plus le soir danser à la ducasse

L'anthracite s'éteint aux pores de leur peau

Ils n'allumeront plus la lampe à leur chapeau

Ils s'en iront Ils s'en iront puisqu'on les chasse

 

Les toits se sont assis sur le sol sans façon

Qui marche en plein milieu des étoiles brisées

Des fuyards jurent à mi-voix Une fusée

Promène dans la nuit sa muette chanson

 

___

 

MERVEILLES

 

 

Tous ceux qui parlent des merveilles

Leurs fables cachent des sanglots

Et les couleurs de leur oreille

Toujours à des plaintes pareilles

Donnent leurs larmes pour de l'eau

 

Le peintre assis devant sa toile

A-t-il jamais peint ce qu'il voit

Ce qu'il voit son histoire voile

Et ses ténèbres sont étoiles

Comme chanter change la voix

 

Ses secrets partout qu'il expose

Ce sont des oiseaux déguisés

Son regard embellit les choses

Et les gens prennent pour des roses

La douleur dont il est brisé

 

Ma vie au loin mon étrangère

Ce que je fus je l'ai quitté

Et les teintes d'aimer changèrent

Comme roussit dans les fougères

Le songe d'une nuit d'été

 

Automne automne long automne

Comme le cri du vitrier

De rue en rue et je chantonne

Un air dont lentement s'étonne

Celui qui ne sait plus prier

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article