Le malheur d'aimer
Que sais-tu des plus simples choses
Les jours sont des soleils grimés
De quoi la nuit rêvent les roses
Tous les feux s'en vont en fumée
Que sais-tu du malheur d'aimer
Je t'ai cherchée au bout des chambres
Où la lampe était allumée
Nos pas n'y sonnaient pas ensemble
Ni nos bras sur nous refermés
Que sais-tu du malheur d'aimer
Je t'ai cherchée à la fenêtre
Les parcs en vain sont parfumés
Où peux-tu où peux-tu bien être
A quoi bon vivre au mois de mai
Que sais-tu du malheur d'aimer
Que sais-tu de la longue attente
Et ne vivre qu'à te nommer
Dieu toujours même et différente
Et de toi moi seul à blâmer
Que sais-tu du malheur d'aimer
Que je m'oublie et je demeure
Comme le rameur sans ramer
Sais-tu ce qu'il est long qu'on meure
A s'écouter se consumer
Connais-tu le malheur d'aimer
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Enfer-les-Mines
Charade à ceux qui vont mourir Égypte noire
Sans Pharaon qu'on puisse implorer à genoux
Profil terrible de la guerre où sommes-nous
Terrils terrils ô pyramides sans mémoire
Est-ce Hénin-Liétard ou Noyelles-Godault
Courrières-les-Morts Montigny-en-Gohelle
Noms de grisou Puits de fureur Terres cruelles
Qui portent çà et là des veuves sur leurs dos
L'accordéon s'est tu dans le pays des mines
Sans l'alcool de l'oubli le café n'est pas bon
La colère a le goût sauvage du charbon
Te souviens-tu des yeux immenses des gamines
Adieu disent-ils les mineurs dépossédés
Adieu disent-ils et dans le coeur du silence
Un mouchoir de feu leur répond Adieu C'est Lens
Où des joueurs de fer ont renversé leurs dès
Etait-ce ici qu'ils ont vécu Dans ce désert
Ni le lit de l'amour dans le logis mesquin
Ni l'ombre que berçait l'air du Petit Quinquin
Rien n'est à eux ni le travail ni la misère
Ils s'en iront puisqu'on les chasse ils s'en iront
C'est fini les enfants qu'on lave à la fontaine
Tandis que chante sous un ciel tissé d'antennes
La radio des bricoleurs dans les corons
Ils n'iront plus le soir danser à la ducasse
L'anthracite s'éteint aux pores de leur peau
Ils n'allumeront plus la lampe à leur chapeau
Ils s'en iront Ils s'en iront puisqu'on les chasse
Les toits se sont assis sur le sol sans façon
Qui marche en plein milieu des étoiles brisées
Des fuyards jurent à mi-voix Une fusée
Promène dans la nuit sa muette chanson
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MERVEILLES
Tous ceux qui parlent des merveilles
Leurs fables cachent des sanglots
Et les couleurs de leur oreille
Toujours à des plaintes pareilles
Donnent leurs larmes pour de l'eau
Le peintre assis devant sa toile
A-t-il jamais peint ce qu'il voit
Ce qu'il voit son histoire voile
Et ses ténèbres sont étoiles
Comme chanter change la voix
Ses secrets partout qu'il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé
Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l'ai quitté
Et les teintes d'aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d'une nuit d'été
Automne automne long automne
Comme le cri du vitrier
De rue en rue et je chantonne
Un air dont lentement s'étonne
Celui qui ne sait plus prier