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KATEB Yacine : LES FOURMIS ROUGES et autres poèmes

 

KATEB Yacine : LES FOURMIS ROUGES et POUSSIÈRES DE JUILLET

 

Fallait pas partir.

Si j'étais resté au collège, ils ne m'auraient pas arrêté.

Je serais encore étudiant, pas manoeuvre, et je ne serais pas enfermé une seconde fois, pour un coup de tête.

Fallait rester au collège, comme disait le chef de district.

Fallait rester au collège, au poste.

Fallait écouter le chef de district.

Mais les Européens s'étaient groupés.

Ils avaient déplacé les lits.

Ils se montraient les armes de leurs papas.

Y avait plus ni principal ni pions.

L'odeur des cuisines n'arrivait plus.

Le cuisinier et l'économe s'étaient enfuis.

Ils avaient peur de nous, de nous, de nous !

Les manifestants s'étaient volatilisés.

le suis passé à l'étude. J'ai pris les tracts.

J'ai caché la Vie d'Abdelkader .

J'ai ressenti la force des idées.

J'ai trouvé l'Algérie irascible. Sa respiration...

La respiration de l'Algérie suffisait.

Suffisait à chasser les mouches.

Puis l'Algérie elle même est devenue...

Devenue traîtreusement une mouche.

Mais les fourmis, les fourmis rouges,

Les fourmis rouges venaient à la rescousse.

Je suis parti avec les tracts.

Je les enterrés dans la rivière.

J'ai tracé sur le sable un plan...

Un plan de manifestation future.

Qu'on me donne cette rivière, et je me battrai.

je me battrai avec du sable et de l'eau.

De l'eau fraîche, du sable chaud. Je me battrai.

J'étais décidé. Je voyais donc loin. Très loin.

Je voyais un paysan arc-bouté comme une catapulte.

Je l'appelai, mais il ne vint pas. Il me fit signe.

Il me fit signe qu'il était en guerre.

En guerre avec son estomac, Tout le monde sait...

Tout le monde sait qu'un paysan n'a pas d'esprit.

Un paysan n'est qu'un estomac. Une catapulte.

Moi j'étais étudiant. J'étais une puce.

Un puce sentimentale... Les fleurs des peupliers...

Les fleurs des peupliers éclataient en bourre soyeuse.

Moi j'étais en guerre. je divertissais le paysan.

Je voulais qu'il oublie sa faim. Je faisais le fou. Je faisais le fou devant

mon père le paysan. Je bombardais la lune dans la rivière.

 

____

 

POUSSIÈRES DE JUILLET 

 

Le sang

Reprend racine

Oui

Nous avions tout oublié

Mais notre terre

En enfance tombée

Sa vieille ardeur se rallume 

 

Et même fusillés

Les hommes s’arrachent la terre

Et même fusillés

Ils tirent la terre à eux

Comme une couverture

Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir 

 

Et sous la couverture

Aux grands trous étoilés

Il y a tant de morts

Tenant les arbres par la racine

Le cœur entre les dents 

 

Il y a tant de morts

Crachant la terre par la poitrine

Pour si peu de poussière

Qui nous monte à la gorge

Avec ce vent de feu

 

N’ enterrez pas l’ancêtre

Tant de fois abattu

Laissez-le renouer la trame de son massacre 

 

Pareille au javelot tremblant

Qui le transperce

Nous ramenons à notre gorge

La longue escorte des assassins.

 

 ______

 

BONJOUR

 

 

 

Bonjour ma vie 

Et vous mes désespoirs. 

Me revoici aux fossés 

Où naquit ma misère ! 

Toi mon vieux guignon, 

Je te rapporte un peu de cœur 

 

Bonjour, bonjour à tous 

Bonjour mes vieux copains ; 

Je vous reviens avec ma gueule 

De paladin solitaire, 

Et je sais que ce soir 

Monteront des chants infernaux… 

Voici le coin de boue 

Où dormait mon front fier, 

Aux hurlements des vents, 

Par les cris de Décembre ; 

Voici ma vie à moi, 

Rassemblée en poussière… 

 

Bonjour, toutes mes choses, 

J'ai suivi l'oiseau des tropiques 

Aux randonnées sublimes 

Et me voici sanglant 

Avec des meurtrissures 

Dans mon cœur en rictus !… 

 

Bonjour mes horizons lourds, 

Mes vieilles vaches de chimères : 

Ainsi fleurit l'espoir 

Et mon jardin pourri ! 

- Ridicule tortue, 

J'ai ouvert le bec 

Pour tomber sur des ronces 

 

Bonjour mes poèmes sans raison…

___

MORTS POUR RIEN

 

 

« Il est de jeunes bras

Qui sont morts tendus

Vers une mère…

Et ces morts qui ont bâti pour d’autres

Et ceux qui sont partis en chantant

Pour dormir dans la boue anonyme de l’oubli.

Et ceux qui meurent toujours,

Dans la gaucherie des godillots

Et des habits trop grands

pour des enfants ! Aux soirs tristes

De mortes minutes,Il est un gars qui tombe

Et sa mère qui meurt pour lui, de toute la force de son vieux cœur

…..Mais les morts les plus à plaindre,

Ceux que mon cœur veut consoler,

Ce sont les pauvres d’un pays de soleil,

Ce sont les champions d’une cause étrangère,

Ceux qui sont morts pour les autres,

ET POUR RIEN ! »

 

___

Vous, les pauvres !

 

 

Vous, les pauvres,

Dites-moi

Si la vie

N'est pas une -----!

 

Ah! Dire que

Vous êtes les indispensables!…

 

Ouvriers, gens modestes

Pourquoi les gros

Vous étouffent-ils en leur graisse

Malsaine de profiteurs?

 

Ouvriers,

 

Les premiers à la tâche,

Les premiers au combat,

Les premiers au sacrifice,

Et les premiers dans la détresse…

 

Ouvriers,

 

Mes frères au front songeur,

Je voudrais tant

Mettre un juste laurier,

 

A vos gloires posthumes

De sacrifiés.

- La grosse machine humaine

A beuglé sur leurs têtes,

Et vente à leurs oreilles

Le soupir gémissant des perclus !…

 

Au foyer ingrat

D’une infernale société,

Vous rentrez exténués,

Sans un réconfort

 

Pour vos cœurs de « bétail pensif »…

Et vos bras,

Vos bras sains et lourds de sueur,

Vos bras portent le calvaire

De vos existences de renoncement !

 

 

 

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