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NÂZIM HIKMET : "Mes frères" et autres poèmes

 

NÂZIM HIKMET : Mes frères et autres poèmes

 

 

Mes frères

 

 

 

 

 

En dépit de mes cheveux blonds

 

 

Je suis Asiatique.

 

En dépit de mes yeux bleus

 

Je suis Africain.

 

Chez moi, là-bas, les arbres n’ont pas d’ombre à leur pied

 

Tout comme les vôtres, là-bas.

 

Chez moi, là-bas, le pain quotidien est dans la gueule du lion.

 

Et les dragons sont couchés devant les fontaines

 

Et l’on meurt chez moi avant la cinquantaine

 

Tout comme chez vous là-bas.

 

 

 

En dépit de mes cheveux blonds

 

Je suis Asiatique.

 

En dépit de mes yeux bleus

 

Je suis Africain.

 

Quatre-vingts pour cent des miens ne savent ni lire ni écrire

 

Et cheminant de bouche en bouche les poèmes deviennent chansons.

 

Là-bas, chez moi, les poèmes deviennent drapeaux

 

Tout comme chez vous, là-bas.

 

 

 

 

 

 

.

 

 

__

 

Berceuse

 

 

 

Dors ma belle, dors

Des jardins je t'apporte à l'instant le sommeil

Ah ! dans tes yeux marrons que sont vertes les treilles

Dors ma belle, dors

dors en souriant aux anges,

do, do.

 

Dors ma belle, dors

De la mer je t'apporte à l'instant le sommeil

Un sommeil vaste et frais, léger comme une abeille

Dors ma belle, dors

sous les voiles gonflées de vent,

do, do.

 

Dors ma belle, dors

Des astres je t'apporte à l'instant le sommeil

Un sommeil d'un bleu sombre à du velours pareil

Dors ma belle, dors

car à ton chevet mon cœur veille,

do, do.

 

 

 

Nazim Hikmet

 

__

Sur la vie.

Source "Nazim Hikmet Anthologie poétique" éditions TEMPS ACTUELS

traduit par Hasan Gureh

 

 

La vie n'est pas une plaisanterie

Tu la prendras au sérieux,

Comme le fait un écureuil, par exemple,

Sans rien attendre du dehors et d'au-delà

Tu n'auras rien d'autre à faire que de vivre.

 

La vie n'est pas une plaisanterie,

Tu la prendras au sérieux,

Mais au sérieux à tel point,

Qu'adossé au mur, par exemple, les mains liées

Ou dans un laboratoire

En chemise blanche avec de grandes lunettes,

Tu mourras pour que vivent les hommes,

Les hommes dont tu n'auras même pas vu le visage,

Et tu mourras tout en sachant

Que rien n'est plus beau, que rien n'est plus vrai que la vie.

Tu la prendras au sérieux

Mais au sérieux à tel point

Qu'à soixante-dix ans, par exemple, tu planteras des oliviers

Non pas pour qu'ils restent à tes enfants

Mais parce que tu ne croiras pas à la mort

Tout en la redoutant

mais parce que la vie pèsera plus lourd dans la balance

 

 

 

__

GLOBE

 

Offrons le globe aux enfants.

Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.

Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore

Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.

Offrons le globe aux enfants,

Donnons-leur comme une pomme énorme,

Comme une boule de pain tout chaude,

Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.

Offrons le globe aux enfants,

Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,

Les enfants prendront de nos mains le globe

Ils y planteront des arbres immortels.

 

 

 

____

IL NEIGE DANS LA NUIT...

Extrait.

 

 

 

Cela fait cent ans

 

que je n’ai pas vu ton visage

 

que je n’ai pas passé mon bras

 

autour de ta taille

 

que je ne vois plus mon visage dans tes yeux

 

cela fait cent ans que je ne pose plus de question

 

à la lumière de ton esprit

 

que je n’ai pas touché à la chaleur de ton ventre.

 

 

 

Cela fait cent ans

 

qu’une femme m’attend

 

dans une ville.

 

Nous étions perchés sur la même branche,

 

sur la même branche

 

nous en sommes tombés, nous nous sommes quittés

 

entre nous tout un siècle

 

dans le temps et dans l’espace.

 

Cela fait cent ans que dans la pénombre

 

je cours derrière toi.

 

____

Traître à la Patrie 

 

 

 

Näzım Hikmet est traître à la patrie,

et il continue.

 

“Nous sommes la demi-colonie de l’impérialisme capitaliste, dit Nâzım Hikmet.

Näzım Hikmet est traître à la patrie,

et il continue.”

 

Voilà ce qu’on lit dans un journal d’Ankara,

Sur trois colonnes,

en caractères bien noirs et gras,

dans un journal d’Ankara,

à côté d’une photo de l’amiral Williamson

qui rit jusqu’aux oreilles,

sur 66 centimètres carrés.

L’impérialisme de l’amiral capitaliste a fait

À notre budget un don de 120 millions de livres.

Oui, 120 millions de livres.

 

“Nous sommes une demi-colonie de

L’impérialisme capitaliste, dit Hikmet.

Näzım Hikmet est traître à la patrie,

et il continue.”

 

Oui, je suis traître à cette patrie

Si vous, vous êtes patriotes,

Si vous êtes protecteurs de ce pays,

Alors moi, je suis traître à ce faux pays,

Je suis traître à cette fausse patrie.

 

Si la patrie, ce sont vos fermages,

Si la patrie, c’est ce qu’il y a dans vos caisses

et dans vos carnets de chèques,

Si la patrie, c’est crever de faim au bord des routes, si la patrie, c’est trembler de froid,

dehors, comme un chien,

Et en été se tordre de paludisme,

Si c’est pomper notre sang

versé dans vos usines, la patrie,

Si la patrie, ce sont les griffes

de vos grands propriétaires terriens,

Si la patrie, ce sont les livres religieux

armés de lances, les matraques des policiers,

si ce sont vos rémunérations et vos traitements, la patrie, si ce sont les bases militaires,

les bombes atomiques, la patrie,

les canons des flottes capitalistes,

si la patrie, ce n’est pas nous délivrer

de ces ténèbres putrescentes,

alors moi je suis traître à la patrie.

Ecrivez sur trois colonnes en caractères bien noirs et gras:

“Nâzım Hikmet est traître à la patrie,

et il continue.”

 

Vatan Haini

 

Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor

hâlâ.

 

“Kapitalist emperyaliszminin yarı sömürgesiyiz,

dedi Hikmet.

Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor

hâlâ.”

 

Bir Ankara gazetesinde çıktı bunlar,

üç sütun üstüne,

kapkara haykıran puntolarla,

bir Ankara gazetesinde,

fotoğrafıında

Amiral Vilyamson’un

66 santimetre karede gülÿor,

ağzı kulaklarıinda,

kapitalist amirali emperatorluk,

bütçemize 120 milyon lira hibe etti,

120 miliyon lira.

 

“Kapitalist emperyalizminin yarı sömürgesiyiz,

dedi Hikmet.

Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor

hâlâ.”

 

Evet, sahte vatanın hainiyim,

siz sahte vatanperverseniz,

sahte yurtseverseniz,

ben tuzak olduğunun yurdun hainiyim,

ben sahte vatanın hainiyim. 

 

Vatan çiftliklerinizse, kasalarınızın

ve çek defterlerinizin içindekilerse vatan,

Vatan, şose boylarında gebermekse açlıktan,

Vatan, soğukta it gibi titremek ve

sıtmadan kıvranmaksa yazın,

fabrikalarınızda al kanımızı içmekse vatan,

Vatan tırnaklarıysa ağalarınızın,

Vatan, mızraklı ilmûhalse,

vatan, polis copuysa,

Ödeneklerinizse, maaşlarınızsa vatan,

Vatan, asker üsleri, atom bombaları,

Kapitalist donanması topuysa,

 

Vatan, kurtulmamaksa kokmuş karanlığımızdan,

Ben vatan hainiyim.

Yazın üç sütun üstüne kapkara haykıran

puntolarla:

 

“Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor

hâlâ. “ 

 

___

 

ARBRE 

 

 

J'ai un arbre en moi.

J'ai un arbre en moi

Dont j'ai rapporté le plan du soleil

Poissons de feu ses feuilles se balancent

Ses fruits tels des oiseaux gazouillent

Les voyageurs depuis longtemps sont

Descendus de leur fusée

Sur l'étoile qui est en moi

Ils parlent ce langage entendu dans mes rêves

Ni ordres, ni vantardises, ni prières.

J'ai une route blanche en moi

Y passent les fourmis avec les grains de blé

Les camions pleins de cris de fête

Mais cette route est interdite aux corbillards.

Le temps reste immobile en moi,

Comme une odorante rose rouge,

Que l'on soit vendredi et demain samedi

Que soit passé beaucoup de moi, qu'il en reste peu ou prou

Je m'en fous !

 

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