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chant et musique par Dominique Oriata Tron le 4 avril 2013:
http://www.wat.tv/audio/thibaut-hingrai-mon-ami-yan-63cl1_2hlcv_.html
À mon ami Yan, Paris, le 7 décembre 2009
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Manteau de neige et brûlure du froid
La neige comme contradiction
Désordre et unité
Dispersion
Enthousiasme
Chahut joyeux
Des cadeaux pour tout le monde
Légèreté et lourdeur
Éphémère et durée
Entrave et liberté
Vie et mort, la joie retrouvée de la vie
face à la redécouverte de la mort
Force la contemplation, absorbe les sons
Le monde qui nous invite à jouer avec lui.
Comme un être vivant
(comme un animal).
Nuée angoissante
Ne cessera-t-elle donc jamais de tomber?
Au creux des cabanons, les hommes se réfugient,
attendent la fonte,
qu'on leur laisse un peu de place,
meurent les envahisseurs!
La vue d'une plume de glace
me fait éternuer, j'ai mal à la gorge,
mon nez coule, boire, respirer deviennent
une souffrance.
Que meurent les envahisseurs!
Je suis pauvre et on m'accuse du choléra
Je veux rejoindre mon aimée,
pourquoi m'empêches-tu de passer?
Ah
Quelle inconstance, les hommes,
c'est pour cela que nature préfère
rester choses!
H20, cristaux de glace, à l'année prochaine!
*
FILS ET FILLES DE JOIE , ET AUTRES POÈMES
J’ai passé la nuit dans une maison,
En apposition.
Vous savez, une de ces auberges comme on en trouve
Dans l’Evangile, chez Baudelaire, et Villon
Au milieu de la forêt et du temps qui passe,
J’y ai appris que la poésie réchauffait les pieds,
Que ce n’était pas un mensonge que rien ne lui résistait
Ah, j’y ai fait l’amour encore jusqu’au petit matin,
Entre les tables, écoutant les pas de la danseuse et du mouvement qui soigne
Près du chat, du gros chat et de sa compagne.
Omar tu avais raison
Au vin des échansons
*
La littérature boude
La littérature boude.
Elle sabote.
Elle n'existe que quand elle sabote,
elle est là quand elle sabote.
Littérature, vas-tu marcher au pas?
Non pas, mon pas, c'est de ne pas, pas le pas, pas à pas.
Alors donne-moi ton pas, donne-moi ton pas!
Ca me botte!
dit-elle en riant, en s'enfuyant. Ca me botte!
*
Poétique
A l’aurore, je m’ennuie
Le matin m’asseoir
Me hâtant le soir
La nuit est mon zénith.
A l’ouest la mort
Là contre, je vis
Le sud m’a pris
L’Est est mon nord.
Où d’autres veillent
Chacun à leur tour :
Je meurs la veille
Je nais un autre jour
Où je vais est le camp :
- Mon temps est le quand.
*
POETICA
De manhã escureço
De dia tardo
De tarde anoiteço
De noite ardo.
A oeste a morte
Contra quem vivo
Do sul cativo
O este é meu norte.
Outros que contem
Passo por passo:
Eu morro ontem
Nasço amanhã
Ando onde há espaço:
– Meu tempo é quando
*
Parce que la terre
tourne autour du soleil
Lorsqu’un disciple lui demandait: « Pourquoi ? », le Golem répondait: « Parce que la terre tourne autour du soleil ».
Un jour, alors que chantaient les cigales et que tous méditaient, repus et ensommeillés, auprès des oliviers, le plus petit d’entre eux se dressa brusquement et vint secouer la grosse bedaine du Golem : « Mais maître, parce que la terre tourne autour du soleil n’est pas la réponse à toutes les questions ! ». Le Golem ouvrit les yeux dans un demi-sourire dont on ne savait s’il exprimait la satisfaction prolongée d’avoir fait un bon repas ou celle d’entendre son disciple se révolter et sans même ouvrir la bouche, répondit d’un laconique : « Tu as raison ». « Mais alors, lui demanda le disciple, pourquoi réponds-tu toujours: parce que la terre tourne autour du soleil ? ». « Parce que la terre tourne autour du soleil » répondit le Golem. Et il dormait déjà.
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Quand ceux qui luttent contre l’injustice
Montrent leurs visages meurtris
Grande est l’impatience de ceux
Qui vivent en sécurité.
De quoi vous plaignez-vous ? demandent-ils
Vous avez lutté contre l’injustice !
C’est elle qui a eu le dessus,
Alors taisez-vous
Qui lutte doit savoir perdre !
Qui cherche querelle s’expose au danger !
Qui professe la violence
N’a pas le droit d’accuser la violence !
Ah ! Mes amis
Vous qui êtes à l’abri
Pourquoi cette hostilité ? Sommes-nous
Vos ennemis, nous qui sommes les ennemis de l’injustice ?
Quand ceux qui luttent contre l’injustice sont vaincus
L’injustice passera-t-elle pour justice ?
Nos défaites, voyez-vous,
Ne prouvent rien, sinon
Que nous sommes trop peu nombreux
À lutter contre l’infamie,
Et nous attendons de ceux qui regardent
Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.
*
poème aux jeunes.
Je vécus dans les villes au temps des désordres et de la famine
Je vécus parmi les hommes au temps de la révolte
Et je m’insurgeais avec eux
Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre
Je mangeais en pleine bataille
Je me couchais parmi des assassins
Négligemment je faisais l’amour et je dédaignais la nature
Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre
De mon temps les rues conduisaient aux marécages
La parole me livra aux bourreaux
J’étais bien faible mais je gênais les puissants
Ou du moins je le crus
Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre
Les forces étaient comptées
Le but se trouvait bien loin il était visible pourtant
Mais je ne pouvais pas en approcher
Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre
Vous qui surgirez du torrent où nous nous sommes noyés
Songez quand vous parlez de nos faiblesses
A la sombre époque dont vous êtes sortis
Nous traversions les luttes de classes
Changeant de pays plus souvent que de souliers
Désespérés que la révolte ne mît pas fin à l’injustice
Nous le savons bien
La haine de la misère creuse les rides
La colère de l’injustice rend la voix rauque
Ô nous qui voulions préparer le terrain de l’amitié
Nous ne sûmes pas devenir des amis
Mais vous quand l’heure viendra où l’homme aide l’homme
Pensez à nous avec indulgence
Pour ceux qui souhaitent la version intégrale :
A ceux qui viendront après nous.
I
Vraiment, je vis en de sombre temps ! Un langage sans malice est signe De sottise, un front lisse D’insensibilité. Celui qui rit N’a pas encore reçu la terrible nouvelle.
Que sont donc ces temps, où Parler des arbres est presque un crime Puisque c’est faire silence sur tant de forfaits ! Celui qui là-bas traverse tranquillement la rue N’est-il donc plus accessible à ses amis Qui sont dans la détresse ?
C’est vrai : je gagne encore de quoi vivre. Mais croyez-moi : c’est pur hasard. Manger à ma faim, Rien de ce que je fais ne m’en donne le droit. Par hasard je suis épargné. (Que ma chance me quitte et je suis perdu.)
On me dit : mange, toi, et bois ! Sois heureux d’avoir ce que tu as ! Mais comment puis-je manger et boire, alors Que j’enlève ce que je mange à l’affamé, Que mon verre d’eau manque à celui qui meurt de soif ? Et pourtant je mange et je bois.
J’aimerais aussi être un sage. Dans les livres anciens il est dit ce qu’est la sagesse : Se tenir à l’écart des querelles du monde Et sans crainte passer son peu de temps sur terre. Aller son chemin sans violence Rendre le bien pour le mal Ne pas satisfaire ses désirs mais les oublier Est aussi tenu pour sage. Tout cela m’est impossible : Vraiment, je vis en de sombre temps !
II
Je vins dans les villes au temps du désordre Quand la famine y régnait. Je vins parmi les hommes au temps de l’émeute Et je m’insurgeai avec eux. Ainsi se passa le temps Qui me fut donné sur terre.
Mon pain, je le mangeais entre les batailles, Pour dormir je m’étendais parmi les assassins. L’amour, je m’y adonnais sans plus d’égards Et devant la nature j’étais sans indulgence. Ainsi se passa le temps Qui me fut donné sur terre.
De mon temps, les rues menaient au marécage. Le langage me dénonçait au bourreau. Je n’avais que peu de pouvoir. Mais celui des maîtres Etait sans moi plus assuré, du moins je l’espérais. Ainsi se passa le temps Qui me fut donné sur terre.
Les forces étaient limitées. Le but Restait dans le lointain. Nettement visible, bien que pour moi Presque hors d’atteinte. Ainsi se passa le temps Qui me fut donné sur terre.
III
Vous, qui émergerez du flot Où nous avons sombré Pensez Quand vous parlez de nos faiblesses Au sombre temps aussi Dont vous êtes saufs.
Nous allions, changeant de pays plus souvent que de souliers, A travers les guerres de classes, désespérés Là où il n’y avait qu’injustice et pas de révolte.
Nous le savons : La haine contre la bassesse, elle aussi Tord les traits. La colère contre l’injustice Rend rauque la voix. Hélas, nous Qui voulions préparer le terrain à l’amitié Nous ne pouvions être nous-mêmes amicaux.
Mais vous, quand le temps sera venu Où l’homme aide l’homme, Pensez à nous Avec indulgence..
.Poème sur une jeune noyée
Lorsqu’elle fut noyée et dériva
De ruisseaux en plus grandes rivières
L’opale du ciel prit un ton étrange
Comme s’il devait apaiser le cadavre.Varech et algues s’enroulèrent à elle
Et peu à peu elle s’alourdit
Les poissons glacés glissaient près de sa jambe
Plantes et animaux alourdirent encore son dernier voyage.Et le soir, le ciel s’assombrit comme de la fumée
Et la nuit, il tint avec les étoiles, la lumière en échec.
La clarté toutefois se fit tôt, afin
Que pour elle aussi il y ait un matin et un soir.Lorsque son corps pâle fut pourri dans l’eau
Il arriva (cela se fit lentement) que Dieu l’oublia peu à peu
Tout d’abord son visage, puis les mains et enfin sa chevelure.
Alors elle devint charogne parmi les charognes des rivières..
.L’heure n’est pas à la poésie
Je sais bien: On n’aime que
Les gens heureux. Leur voix
Nous plaît. Leur visage est beau.L’arbre étiolé de la cour
Dénonce l’aridité du sol, mais
Les passants le traitent d’estropié
A juste titre.Je ne vois
Ni les bateaux verts ni les joyeuses voiles du Sund. De tout cela
Je ne vois que le filet déchiré des pêcheurs.
Pourquoi ne parlé-je que
De la quadragénaire qui chemine le dos voûté?Les seins des jeunes filles
Sont chauds comme aux temps passés.Une rime dans ma chanson
Me semblerait presque être une insolence.En moi s’affrontent
L’enthousiasme à la vue du pommier en fleurs
Et l’effroi lorsque j’entends les discours du barbouilleur.*
Mais seul le second
Me pousse à ma table de travail.—-
(*Brecht aimait utiliser ce sobriquet pour désigner Hitler qui voulait devenir peintre en suivant l’Ecole des Beaux-Arts de Vienne.)
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.ELOGE DE LA DIALECTIQUE
L’injustice aujourd’hui s’avance d’un pas sûr.
Les oppresseurs dressent leurs plans pour dix mille ans.
La force affirme: les choses resteront ce qu’elles sont.
Pas une voix, hormis la voix de ceux qui règnent,
Et sur tous les marchés l’exploitation proclame: c’est maintenant que je commence.
Mais chez les opprimés beaucoup disent maintenant :
Ce que nous voulons ne viendra jamais.Celui qui vit encore ne doit pas dire : jamais!
Ce qui est assuré n’est pas sûr.
Les choses ne restent pas ce qu’elles sont.
Quand ceux qui règnent auront parlé,
Ceux sur qui ils régnaient parleront.
Qui donc ose dire: jamais ?
De qui dépend que l’oppression demeure? De nous.
De qui dépend qu’elle soit brisée? De nous.
Celui qui s’écroule abattu, qu’il se dresse!
Celui qui est perdu, qu’il lutte !
Celui qui a compris pourquoi il en est là, comment le retenir?
Les vaincus d’aujourd’hui sont demain les vainqueurs
Et jamais devient: aujourd’hui.(traduction Maurice Regnaut)
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.On dit que tu ne veux plus travailler avec nous
Tu ne veux plus travailler avec nous, nous dit-on.
Tu es fourbu, tu ne peux plus te traîner.
Tu es trop las.
Tu es au bout de ton rouleau.
On ne saurait exiger de toi encore quelque action.Sache-le donc :
Nous l’exigeons.Si tu es las, si tu t’endors
Personne ne viendra t’éveiller et te dire :
Debout le repas est prêt.
Pourquoi le repas serait-il prêt?
Si tu ne peux plus te traîner
Tu resteras couché. Personne
N’ira te chercher et te dire :
Une révolution a eu lieu. Les usines
T’attendent.
Pourquoi y aurait-il eu une révolution?
Quand tu mourras, on te mettra en terre
Que ta mort soit ta faute ou non.Tu dis:
J’ai trop lutté et je ne peux plus me battre.
Ecoute:
Si tu ne peux plus lutter, tu périras
Que ce soit ta faute ou non.Tu dis: j’ai trop longtemps vécu d’espoir, je ne suis
plus capable d’espérer.
Et qu’espérais-tu donc?
Que la lutte serait facile?Ce n’est pas le cas.
Notre situation est pire que ce que tu croyais.Voici notre situation:
A moins d’accomplir des actions surhumaines
Nous sommes perdus.
A moins de pouvoir faire ce que nul ne peut exiger
Nous périrons.
Nos ennemis attendent le moment
Où nous laisserons tomber les bras.Plus le combat est acharné
Et plus las sont les combattants.
Les combattants trop las perdront cette bataille(Traduction Gilbert Badia et Claude Duchet)
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.LA CROISADE DES ENFANTS 1939
En l’an trente-neuf, en Pologne,
Il y eut un combat d’enfer
Qui de nombreux hameaux et villes
Ne laissa plus rien qu’un désert.La soeur alors perdit le frêre,
La femme le mari ; I’enfant,
Entre les flammes et les ruines,
Ne retrouva plus les parents.Plus rien n’est venu de Pologne,
Rien au courrier, rien au journal.
Mais il court une étrange histoire
Dans tout le monde oriental.C’était à l’Est, un soir de neige,
Dans une ville on raconta
De quelle manière, en Pologne,
Une croisade commença.A petits pas, par maigres troupes,
Des enfants affamés allaient,
Rencontrant dans les bourgs en ruines
D’autres enfants qu’ils emmenaient.lls voulaient fuir, fuir ces batailles,
Ce cauchemar, fuir à jamais,
Ils voulaient un beau jour atteindre
Un pays où règne la paix.Un jeune chef marchait en tête,
Ce qui leur donnait de l’entrain.
Mais grande était son inquiétude :
Quel chemin ? Il n’en savait rien.Une enfant de onze ans traînait
Un de quatre ans, mais elle avait
Tout d’une véritable mère,
Seul manquait un pays en paix.Un petit Juif était du nombre,
Il portait un col de velours,
Toujours nourri de pain très blanc,
Il tenait bon au long des jours.Du nombre aussi étaient deux frères,
Tous deux stratèges de génie,
Ils forçaient des cabanes vides,
Seule les en chassait la pluie.Et dans la campagne, à l’écart,
Marchait un malingre au teint gris.
Il venait, tare épouvantable,
D’une ambassade des nazis.Un jeune musicien trouva,
Au fond d’un magasin détruit,
Un tambour, mais qu’il ne put battre,
Car le bruit les aurait trahis.Et les accompagnait un chien,
Pour le tuer on l’avait pris,
A présent fallait le nourrir,
Nul n’ayant pu prendre sur lui.Il y eut un maître d’école,
Un élève qui s’appliquait,
Qui sur la carcasse d’un tank
Ecrivit presque le mot paix.Il y eut aussi un concert.
Un torrent faisait tel fracas
Qu’au bord on put battre tambour,
Sans que personne entende, hélas.Il y eut aussi un amour.
Elle douze ans, lui trois de mieux.
Au milieu d’une ferme en ruines,
Elle lui peigna les cheveux.Mais cet amour ne put survivre,
Il vint des froids beaucoup trop grands :
Comment pourrait fleurir la plante
Sur qui la neige tombe tant ?Il y eut aussi une guerre,
Car une autre bande existait,
Guerre qui prit fin simplement,
Puisque rien ne la motivait.On se battait autour des ruines
De la maison d’un garde-voie,
L’un des partis vit que ses vivres
Avaient fondu sans qu’il le voie.A peine eut-il appris la chose,
L’autre parti leur fit porter
Un plein sac de pommes de terre,
Car ventre creux ne peut lutter.Il y eut même un tribunal,
Par deux cierges illuminé,
L’audience n’alla pas sans mal,
Le juge enfin fut condamné.D’un garçon au col de velours,
Se déroula l’enterrement
Et dans la terre le portèrent
Deux Polonais, deux Allemands.Nazi, protestant, catholique,
Tous étaient là et pour finir
Parla un jeune communiste,
Des vivants, de leur avenir.Foi, espoir, rien ne leur manquait,
Que la viande et le pain. Celui
Qui veut les accuser de vol
Leur a-t-il offert un abri ?Et n’accusez pas l’homme pauvre
Qui ne les a point invités :
Pour cinquante il faut abondance
De farine et non de bonté.Quand ils sont deux, ou trois encore,
On les accueille volontiers,
Mais devant un nombre pareil,
On referme sa porte à clé.De la farine, ils en trouvèrent
Dans les décombres d’une ferme.
Une enfant mit un tablier,
Durant sept heures pétrit ferme,La pâte fut bien travaillée,
Le bois pour le feu bien fendu,
Pas une miche ne leva,
Cuire le pain, nul n’avait su.Ils se dirigeaient vers le Sud.
Le Sud, c’est quand il est midi
L’endroit où le soleil se trouve,
On marche alors tout droit sur lui.Il y eut un soldat blessé
Qu’ils trouvèrent sous un sapin.
Pendant sept jours ils le soignèrent
Pour qu’il leur montre le chemin.Puis il leur dit: Vers Bilgoray
Mais tant de fièvre le fit taire,
Au huitième jour il mourut
Et lui aussi ils l’enterrèrent.Et les poteaux indicateurs,
Ceux qui restaient étaient couverts
De neige et n’indiquaient plus rien :
Tous étaient tournés à l’envers.Ce n’était pas plaisanterie,
C’était pour raisons militaires.
Mais eux qui cherchaient Bilgoray,
En vain, en vain ils le cherchèrent.Ils étaient là, autour du chef.
Loin dans la neige il regarda,
Puis tendit sa petite main
Et dit: Ça doit être là-bas.Une fois, dans la nuit, ils virent
Un feu et partirent ailleurs.
Une fois passèrent trois tanks
Et des soldats à l’intérieur.Une fois ce fut une ville
Qui leur fit faire un long détour.
Tant qu’ils eurent la ville en vue,
Ils ne marchèrent pas de jour.Au sud de l’ancienne Pologne,
Dans le vent de neige et le froid,
On a vu les cinquante-cinq
Pour la dernière fois.Quand je ferme les yeux,
Je les vois qui cheminent
Des ruines d’un hameau
Vers un hameau en ruines.Je vois au-dessus d’eux, là-haut dans les nuages,
Des cortèges nouveaux, des cortèges sans fin !
Avançant avec peine au milieu des vents froids,
Ceux qui sont sans patrie et qui vont sans chemin,Qui cherchent le pays en paix,
Sans tonnerre, sans incendie,
Tout autre que ceux d’où ils viennent,
Leur cortège grandit, grandit,Et bientôt dans le crépuscule
Il ne reste plus identique :
Je vois d’autres petits visages,
Espagnols, français, asiatiques !En Pologne, ce janvier-là,
Fut trouvé un chien vagabond
Qui promenait à son cou maigre
Une pancarte de carton.Sur elle était écrit: A l’aide !
Nous ne savons plus le chemin
Et nous sommes cinquante-cinq.
Vous n’avez qu’à suivre le chien.Si vous ne pouvez pas venir,
Chassez-le.
Ne tirez pas sur lui,
Lui seul connait le lieu.C’était écrit par un enfant.
Des paysans l’ont lu.
Une année et demie est passée à présent.
Le chien est mort de faim.
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Mes frères
En dépit de mes cheveux blonds
Je suis Asiatique.
En dépit de mes yeux bleus
Je suis Africain.
Chez moi, là-bas, les arbres n’ont pas d’ombre à leur pied
Tout comme les vôtres, là-bas.
Chez moi, là-bas, le pain quotidien est dans la gueule du lion.
Et les dragons sont couchés devant les fontaines
Et l’on meurt chez moi avant la cinquantaine
Tout comme chez vous là-bas.
En dépit de mes cheveux blonds
Je suis Asiatique.
En dépit de mes yeux bleus
Je suis Africain.
Quatre-vingts pour cent des miens ne savent ni lire ni écrire
Et cheminant de bouche en bouche les poèmes deviennent chansons.
Là-bas, chez moi, les poèmes deviennent drapeaux
Tout comme chez vous, là-bas.
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Berceuse
Dors ma belle, dors
Des jardins je t'apporte à l'instant le sommeil
Ah ! dans tes yeux marrons que sont vertes les treilles
Dors ma belle, dors
dors en souriant aux anges,
do, do.
Dors ma belle, dors
De la mer je t'apporte à l'instant le sommeil
Un sommeil vaste et frais, léger comme une abeille
Dors ma belle, dors
sous les voiles gonflées de vent,
do, do.
Dors ma belle, dors
Des astres je t'apporte à l'instant le sommeil
Un sommeil d'un bleu sombre à du velours pareil
Dors ma belle, dors
car à ton chevet mon cœur veille,
do, do.
Nazim Hikmet
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Sur la vie.
Source "Nazim Hikmet Anthologie poétique" éditions TEMPS ACTUELS
traduit par Hasan Gureh
La vie n'est pas une plaisanterie
Tu la prendras au sérieux,
Comme le fait un écureuil, par exemple,
Sans rien attendre du dehors et d'au-delà
Tu n'auras rien d'autre à faire que de vivre.
La vie n'est pas une plaisanterie,
Tu la prendras au sérieux,
Mais au sérieux à tel point,
Qu'adossé au mur, par exemple, les mains liées
Ou dans un laboratoire
En chemise blanche avec de grandes lunettes,
Tu mourras pour que vivent les hommes,
Les hommes dont tu n'auras même pas vu le visage,
Et tu mourras tout en sachant
Que rien n'est plus beau, que rien n'est plus vrai que la vie.
Tu la prendras au sérieux
Mais au sérieux à tel point
Qu'à soixante-dix ans, par exemple, tu planteras des oliviers
Non pas pour qu'ils restent à tes enfants
Mais parce que tu ne croiras pas à la mort
Tout en la redoutant
mais parce que la vie pèsera plus lourd dans la balance
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GLOBE
Offrons le globe aux enfants.
Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme,
Comme une boule de pain tout chaude,
Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.
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IL NEIGE DANS LA NUIT...
Extrait.
Cela fait cent ans
que je n’ai pas vu ton visage
que je n’ai pas passé mon bras
autour de ta taille
que je ne vois plus mon visage dans tes yeux
cela fait cent ans que je ne pose plus de question
à la lumière de ton esprit
que je n’ai pas touché à la chaleur de ton ventre.
Cela fait cent ans
qu’une femme m’attend
dans une ville.
Nous étions perchés sur la même branche,
sur la même branche
nous en sommes tombés, nous nous sommes quittés
entre nous tout un siècle
dans le temps et dans l’espace.
Cela fait cent ans que dans la pénombre
je cours derrière toi.
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Traître à la Patrie
Näzım Hikmet est traître à la patrie,
et il continue.
“Nous sommes la demi-colonie de l’impérialisme capitaliste, dit Nâzım Hikmet.
Näzım Hikmet est traître à la patrie,
et il continue.”
Voilà ce qu’on lit dans un journal d’Ankara,
Sur trois colonnes,
en caractères bien noirs et gras,
dans un journal d’Ankara,
à côté d’une photo de l’amiral Williamson
qui rit jusqu’aux oreilles,
sur 66 centimètres carrés.
L’impérialisme de l’amiral capitaliste a fait
À notre budget un don de 120 millions de livres.
Oui, 120 millions de livres.
“Nous sommes une demi-colonie de
L’impérialisme capitaliste, dit Hikmet.
Näzım Hikmet est traître à la patrie,
et il continue.”
Oui, je suis traître à cette patrie
Si vous, vous êtes patriotes,
Si vous êtes protecteurs de ce pays,
Alors moi, je suis traître à ce faux pays,
Je suis traître à cette fausse patrie.
Si la patrie, ce sont vos fermages,
Si la patrie, c’est ce qu’il y a dans vos caisses
et dans vos carnets de chèques,
Si la patrie, c’est crever de faim au bord des routes, si la patrie, c’est trembler de froid,
dehors, comme un chien,
Et en été se tordre de paludisme,
Si c’est pomper notre sang
versé dans vos usines, la patrie,
Si la patrie, ce sont les griffes
de vos grands propriétaires terriens,
Si la patrie, ce sont les livres religieux
armés de lances, les matraques des policiers,
si ce sont vos rémunérations et vos traitements, la patrie, si ce sont les bases militaires,
les bombes atomiques, la patrie,
les canons des flottes capitalistes,
si la patrie, ce n’est pas nous délivrer
de ces ténèbres putrescentes,
alors moi je suis traître à la patrie.
Ecrivez sur trois colonnes en caractères bien noirs et gras:
“Nâzım Hikmet est traître à la patrie,
et il continue.”
Vatan Haini
Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor
hâlâ.
“Kapitalist emperyaliszminin yarı sömürgesiyiz,
dedi Hikmet.
Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor
hâlâ.”
Bir Ankara gazetesinde çıktı bunlar,
üç sütun üstüne,
kapkara haykıran puntolarla,
bir Ankara gazetesinde,
fotoğrafıında
Amiral Vilyamson’un
66 santimetre karede gülÿor,
ağzı kulaklarıinda,
kapitalist amirali emperatorluk,
bütçemize 120 milyon lira hibe etti,
120 miliyon lira.
“Kapitalist emperyalizminin yarı sömürgesiyiz,
dedi Hikmet.
Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor
hâlâ.”
Evet, sahte vatanın hainiyim,
siz sahte vatanperverseniz,
sahte yurtseverseniz,
ben tuzak olduğunun yurdun hainiyim,
ben sahte vatanın hainiyim.
Vatan çiftliklerinizse, kasalarınızın
ve çek defterlerinizin içindekilerse vatan,
Vatan, şose boylarında gebermekse açlıktan,
Vatan, soğukta it gibi titremek ve
sıtmadan kıvranmaksa yazın,
fabrikalarınızda al kanımızı içmekse vatan,
Vatan tırnaklarıysa ağalarınızın,
Vatan, mızraklı ilmûhalse,
vatan, polis copuysa,
Ödeneklerinizse, maaşlarınızsa vatan,
Vatan, asker üsleri, atom bombaları,
Kapitalist donanması topuysa,
Vatan, kurtulmamaksa kokmuş karanlığımızdan,
Ben vatan hainiyim.
Yazın üç sütun üstüne kapkara haykıran
puntolarla:
“Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor
hâlâ. “
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ARBRE
J'ai un arbre en moi.
J'ai un arbre en moi
Dont j'ai rapporté le plan du soleil
Poissons de feu ses feuilles se balancent
Ses fruits tels des oiseaux gazouillent
Les voyageurs depuis longtemps sont
Descendus de leur fusée
Sur l'étoile qui est en moi
Ils parlent ce langage entendu dans mes rêves
Ni ordres, ni vantardises, ni prières.
J'ai une route blanche en moi
Y passent les fourmis avec les grains de blé
Les camions pleins de cris de fête
Mais cette route est interdite aux corbillards.
Le temps reste immobile en moi,
Comme une odorante rose rouge,
Que l'on soit vendredi et demain samedi
Que soit passé beaucoup de moi, qu'il en reste peu ou prou
Je m'en fous !
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Fallait pas partir.
Si j'étais resté au collège, ils ne m'auraient pas arrêté.
Je serais encore étudiant, pas manoeuvre, et je ne serais pas enfermé une seconde fois, pour un coup de tête.
Fallait rester au collège, comme disait le chef de district.
Fallait rester au collège, au poste.
Fallait écouter le chef de district.
Mais les Européens s'étaient groupés.
Ils avaient déplacé les lits.
Ils se montraient les armes de leurs papas.
Y avait plus ni principal ni pions.
L'odeur des cuisines n'arrivait plus.
Le cuisinier et l'économe s'étaient enfuis.
Ils avaient peur de nous, de nous, de nous !
Les manifestants s'étaient volatilisés.
le suis passé à l'étude. J'ai pris les tracts.
J'ai caché la Vie d'Abdelkader .
J'ai ressenti la force des idées.
J'ai trouvé l'Algérie irascible. Sa respiration...
La respiration de l'Algérie suffisait.
Suffisait à chasser les mouches.
Puis l'Algérie elle même est devenue...
Devenue traîtreusement une mouche.
Mais les fourmis, les fourmis rouges,
Les fourmis rouges venaient à la rescousse.
Je suis parti avec les tracts.
Je les enterrés dans la rivière.
J'ai tracé sur le sable un plan...
Un plan de manifestation future.
Qu'on me donne cette rivière, et je me battrai.
je me battrai avec du sable et de l'eau.
De l'eau fraîche, du sable chaud. Je me battrai.
J'étais décidé. Je voyais donc loin. Très loin.
Je voyais un paysan arc-bouté comme une catapulte.
Je l'appelai, mais il ne vint pas. Il me fit signe.
Il me fit signe qu'il était en guerre.
En guerre avec son estomac, Tout le monde sait...
Tout le monde sait qu'un paysan n'a pas d'esprit.
Un paysan n'est qu'un estomac. Une catapulte.
Moi j'étais étudiant. J'étais une puce.
Un puce sentimentale... Les fleurs des peupliers...
Les fleurs des peupliers éclataient en bourre soyeuse.
Moi j'étais en guerre. je divertissais le paysan.
Je voulais qu'il oublie sa faim. Je faisais le fou. Je faisais le fou devant
mon père le paysan. Je bombardais la lune dans la rivière.
____
POUSSIÈRES DE JUILLET
Le sang
Reprend racine
Oui
Nous avions tout oublié
Mais notre terre
En enfance tombée
Sa vieille ardeur se rallume
Et même fusillés
Les hommes s’arrachent la terre
Et même fusillés
Ils tirent la terre à eux
Comme une couverture
Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir
Et sous la couverture
Aux grands trous étoilés
Il y a tant de morts
Tenant les arbres par la racine
Le cœur entre les dents
Il y a tant de morts
Crachant la terre par la poitrine
Pour si peu de poussière
Qui nous monte à la gorge
Avec ce vent de feu
N’ enterrez pas l’ancêtre
Tant de fois abattu
Laissez-le renouer la trame de son massacre
Pareille au javelot tremblant
Qui le transperce
Nous ramenons à notre gorge
La longue escorte des assassins.
______
BONJOUR
Bonjour ma vie
Et vous mes désespoirs.
Me revoici aux fossés
Où naquit ma misère !
Toi mon vieux guignon,
Je te rapporte un peu de cœur
Bonjour, bonjour à tous
Bonjour mes vieux copains ;
Je vous reviens avec ma gueule
De paladin solitaire,
Et je sais que ce soir
Monteront des chants infernaux…
Voici le coin de boue
Où dormait mon front fier,
Aux hurlements des vents,
Par les cris de Décembre ;
Voici ma vie à moi,
Rassemblée en poussière…
Bonjour, toutes mes choses,
J'ai suivi l'oiseau des tropiques
Aux randonnées sublimes
Et me voici sanglant
Avec des meurtrissures
Dans mon cœur en rictus !…
Bonjour mes horizons lourds,
Mes vieilles vaches de chimères :
Ainsi fleurit l'espoir
Et mon jardin pourri !
- Ridicule tortue,
J'ai ouvert le bec
Pour tomber sur des ronces
Bonjour mes poèmes sans raison…
___
MORTS POUR RIEN
« Il est de jeunes bras
Qui sont morts tendus
Vers une mère…
Et ces morts qui ont bâti pour d’autres
Et ceux qui sont partis en chantant
Pour dormir dans la boue anonyme de l’oubli.
Et ceux qui meurent toujours,
Dans la gaucherie des godillots
Et des habits trop grands
pour des enfants ! Aux soirs tristes
De mortes minutes,Il est un gars qui tombe
Et sa mère qui meurt pour lui, de toute la force de son vieux cœur
…..Mais les morts les plus à plaindre,
Ceux que mon cœur veut consoler,
Ce sont les pauvres d’un pays de soleil,
Ce sont les champions d’une cause étrangère,
Ceux qui sont morts pour les autres,
ET POUR RIEN ! »
___
Vous, les pauvres !
Vous, les pauvres,
Dites-moi
Si la vie
N'est pas une -----!
Ah! Dire que
Vous êtes les indispensables!…
Ouvriers, gens modestes
Pourquoi les gros
Vous étouffent-ils en leur graisse
Malsaine de profiteurs?
Ouvriers,
Les premiers à la tâche,
Les premiers au combat,
Les premiers au sacrifice,
Et les premiers dans la détresse…
Ouvriers,
Mes frères au front songeur,
Je voudrais tant
Mettre un juste laurier,
A vos gloires posthumes
De sacrifiés.
- La grosse machine humaine
A beuglé sur leurs têtes,
Et vente à leurs oreilles
Le soupir gémissant des perclus !…
Au foyer ingrat
D’une infernale société,
Vous rentrez exténués,
Sans un réconfort
Pour vos cœurs de « bétail pensif »…
Et vos bras,
Vos bras sains et lourds de sueur,
Vos bras portent le calvaire
De vos existences de renoncement !
votre commentaire -
L’on se verra bientôt…
dans un an,
deux ans, dans un siècle…
et dans l’appareil photographique
furent jetés
vingt jardins
et les oiseaux de la Galilée
et la voilà partie, au-delà de la mer
cherchant un sens nouveau à la vérité.
ma patrie est une corde à sécher
et les rubans du sang répandu à
chaque minute…
Et sable, et palmiers, je me suis
étendu sur le rivage
Les oiseaux ne savent point, ma Rita,
que la mort et moi t’avons donné
le secret de la joie fanée
à la barrière douanière…
Et nous voilà, la mort et moi,
renaissant
dans ton front premier,
et dans la fenêtre de ta maison…
deux visages… moi et la mort.
Pourquoi fuis-tu?
Pourquoi fuis-tu, à présent, ce qui
de l’épi, fait les cils de la terre
et du volcan, un autre visage du jasmin
Mais pourquoi fuis-tu?
Rien, la nuit, ne me fatiguait autant
que son silence
quand il s’étirait devant ma porte
comme la rue, comme le vieux quartier…
qu’il soit fait selon ta volonté,
Rita !
Le silence serait une cloche
des cadres d’étoiles
ou un climat ou la sève bout ans
les flancs de l’arbre.
Je bois le baiser au tranchant des
couteau
Viens ! Qu’on appartienne à la boucherie !…
comme des feuilles inutiles
sont tombées les vols d’oiseaux
dans les puits du temps
ET me voilà, ma Rita, repêchant leurs ailes bleues.
Je suis celui qui porte dans sa peau,
gravée par les chaînes,
une forme de la patrie.
____
extrait de Rameaux d’olivier - 1964 : INSCRIS
Inscris !
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte : cinquante mille
Nombre d’enfants : huit
Et le neuvième… arrivera après l’été !
Et te voilà furieux !
Inscris !
Je suis Arabe
Je travaille à la carrière avec mes compagnons de peine
Et j’ai huit bambins
Leur galette de pain
Les vêtements, leur cahier d’écolier
Je les tire des rochers…
Oh ! je n’irai pas quémander l’aumône à ta porte
Je ne me fais pas tout petit au porche de ton palais
Et te voilà furieux !
Inscris !
Je suis Arabe
Sans nom de famille - je suis mon prénom
« Patient infiniment » dans un pays où tous
Vivent sur les braises de la Colère
Mes racines…
Avant la naissance du temps elles prirent pied
Avant l’effusion de la durée
Avant le cyprès et l’olivier
…avant l’éclosion de l’herbe
Mon père… est d’une famille de laboureurs
N’a rien avec messieurs les notables
Mon grand-père était paysan - être
Sans valeur - ni ascendance.
Ma maison, une hutte de gardien
En troncs et en roseaux
Voilà qui je suis - cela te plaît-il ?
Sans nom de famille, je ne suis que mon prénom.
Inscris !
Je suis Arabe
Mes cheveux… couleur du charbon
Mes yeux… couleur de café
Signes particuliers :
Sur la tête un kefiyyé avec son cordon bien serré
Et ma paume est dure comme une pierre
…elle écorche celui qui la serre
La nourriture que je préfère c’est
L’huile d’olive et le thym
Mon adresse :
Je suis d’un village isolé…
Où les rues n’ont plus de noms
Et tous les hommes… à la carrière comme au champ
Aiment bien le communisme
Inscris !
Je suis Arabe
Et te voilà furieux !
Inscris
Que je suis Arabe
Que tu as rafflé les vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais
Moi et mes enfants ensemble
Tu nous as tout pris hormis
Pour la survie de mes petits-fils
Les rochers que voici
Mais votre gouvernement va les saisir aussi
…à ce que l’on dit !
DONC
Inscris !
En tête du premier feuillet
Que je n’ai pas de haine pour les hommes
Que je n’assaille personne mais que
Si j’ai faim
Je mange la chair de mon Usurpateur
Gare ! Gare ! Gare
À ma fureur !
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Rien ne me plaît ,traduction par Jalel El Gharbi :
« Rien ne me plaît, dit un voyageur dans le bus, ni la radio
Ni les journaux du matin, ni les citadelles sur les collines.
J’ai envie de pleurer»
« Attends qu’on arrive et pleure tout ton saoul, répondit le chauffeur »
« Moi non plus, dit une dame, rien ne me plaît. J’ai montré ma tombe à mon fils.
Elle lui a plu : il s’y est endormi et ne m’a pas dit adieu »
L’universitaire dit « Moi non plus, rien ne me plaît.
J’ai fait de l’archéologie et je n’ai jamais trouvé
Mon identité dans une pierre. Suis-je vraiment
Moi-même ? »
Un soldat dit alors : « Moi non plus, rien ne me plaît
Je traque une ombre qui me traque »
Nerveux, le chauffeur dit alors : « Terminus ! Préparez-vous
A descendre.
Tous lui crièrent : « Nous voulons aller au-delà du terminus
Continuez donc ! »
Quant à moi, je dis : « Faites-moi descendre. Je suis comme eux, rien ne me plaît mais je suis fatigué du voyage. »
لاشيء يعجبني
((لا شيءَ يُعْجبُني))
يقول مسافرٌ في الباصِ – لا الراديو
ولا صُحُفُ الصباح , ولا القلاعُ على التلال.
أُريد أن أبكي/
يقول السائقُ: انتظرِ الوصولَ إلى المحطَّةِ,
وابْكِ وحدك ما استطعتَ/
تقول سيّدةٌ: أَنا أَيضاً. أنا لا
شيءَ يُعْجبُني. دَلَلْتُ اُبني على قبري’
فأعْجَبَهُ ونامَ’ ولم يُوَدِّعْني/
يقول الجامعيُّ: ولا أَنا ’ لا شيءَ
يعجبني. دَرَسْتُ الأركيولوجيا دون أَن
أَجِدَ الهُوِيَّةَ في الحجارة. هل أنا
حقاً أَنا؟/
ويقول جنديٌّ: أَنا أَيضاً. أَنا لا
شيءَ يُعْجبُني . أُحاصِرُ دائماً شَبَحاً
يُحاصِرُني/
يقولُ السائقُ العصبيُّ: ها نحن
اقتربنا من محطتنا الأخيرة’ فاستعدوا
للنزول.../
فيصرخون: نريدُ ما بَعْدَ المحطَّةِ’
فانطلق!
أمَّا أنا فأقولُ: أنْزِلْني هنا . أنا
مثلهم لا شيء يعجبني ’ ولكني تعبتُ
من السِّفَرْ.
_____
A MA MERE
Je me languis du pain de ma mère
du café de ma mère
des caresses de ma mère
jour après jour
l’enfance grandit en moi
j’aime mon âge
car si je meurs
j’aurai honte des larmes de ma mère
si un jour je reviens
fais de moi un pendentif à tes cils
recouvre mes os avec de l’herbe
qui se sera purifiée à l’eau bénite de tes chevilles
attache -moi avec une natte de tes cheveux
avec un fil de la traîne de ta robe
peut-être deviendrai-je un dieu
oui un dieu
si je parviens à toucher le fond de ton cœur
si je reviens
mets-moi ainsi qu’une brassée de bois dans ton four
fais de moi une corde à linge sur la terrasse de ta maison
car je ne peux plus me lever
quand tu ne fais pas ta prière du jour
j’ai vieilli
rends-moi la constellation de l’enfance
que je puisse emprunter avec les petits oiseaux
la voie du retour
au nid de ton attente
___
LE CYPRÈS S’EST BRISÉ
Le cyprès s’est brisé comme un minaret
et il s’est endormi
en chemin sur l’ascèse de son ombre,
vert, sombre,
pareil à lui-même. Tout le monde est sauf.
Les voitures
sont passées, rapides, sur ses branches.
La poussière a recouvert
les vitres … Le cyprès s’est brisé mais
la colombe n’a pas quitté son nid déclaré
dans la maison voisine.
Deux oiseaux migrateurs ont survolé
ses environs et échangé quelques symboles.
Une femme a dit à sa voisine :
Dis, as-tu vu passer une tempête ?
Elle répondit : Non, ni un bulldozer …
Le cyprès s’est brisé. Les passants sur ses débris ont dit :
Il en a eu assez d’être négligé,
il a sans doute vieilli
car il est grand
comme une girafe,
aussi vide de sens qu’un balai
et il n’ombrage pas les amoureux.
Un enfant a dit : Je le dessinais parfaitement,
sa silhouette est facile. Une fillette a dit :
Le ciel est incomplet
aujourd’hui que le cyprès s’est brisé.
Une jeune homme a dit :
Le ciel est complet
aujourd'hui que le cyprès s’est brisé.
Et moi, je me suis dit :
Nul mystère,
le cyprès s’est brisé, un point c’est tout.
Le cyprès s’est brisé !
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