• THIBAUT HINGRAI : FILS ET FILLES DE JOIE , ET AUTRES POÈMES

     

     chant et musique par Dominique Oriata Tron le 4 avril 2013:

    http://www.wat.tv/audio/thibaut-hingrai-mon-ami-yan-63cl1_2hlcv_.html

       À mon ami Yan, Paris, le 7 décembre 2009

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    .

    Manteau de neige et brûlure du froid

    La neige comme contradiction

    Désordre et unité

    Dispersion

    Enthousiasme

    Chahut joyeux

    Des cadeaux pour tout le monde

    Légèreté et lourdeur

    Éphémère et durée

    Entrave et liberté

    Vie et mort, la joie retrouvée de la vie

    face à la redécouverte de la mort

    Force la contemplation, absorbe les sons

    Le monde qui nous invite à jouer avec lui.

    Comme un être vivant

    (comme un animal).

    Nuée angoissante

    Ne cessera-t-elle donc jamais de tomber?

    Au creux des cabanons, les hommes se réfugient,

     attendent la fonte,

    qu'on leur laisse un peu de place,

    meurent les envahisseurs!

    La vue d'une plume de glace

    me fait éternuer, j'ai mal à la gorge,

    mon nez coule, boire, respirer deviennent

    une souffrance.

    Que meurent les envahisseurs!

    Je suis pauvre et on m'accuse du choléra

    Je veux rejoindre mon aimée,

    pourquoi m'empêches-tu de passer?

    Ah

    Quelle inconstance, les hommes,

    c'est pour cela que nature préfère

    rester choses!

    H20, cristaux de glace, à l'année prochaine!

     

                                           

    *

    FILS ET FILLES DE JOIE , ET AUTRES POÈMES

     

     

    J’ai passé la nuit dans une maison,

    En apposition.

    Vous savez, une de ces auberges comme on en trouve

    Dans l’Evangile, chez Baudelaire, et Villon

    Au milieu de la forêt et du temps qui passe,

    J’y ai appris que la poésie réchauffait les pieds,

    Que ce n’était pas un mensonge que rien ne lui résistait

    Ah, j’y ai fait l’amour encore jusqu’au petit matin,

    Entre les tables, écoutant les pas de la danseuse et du mouvement qui soigne

    Près du chat, du gros chat et de sa compagne.

    Omar tu avais raison

    Au vin des échansons

     

    *

    La littérature boude

     

     

    La littérature boude.

    Elle sabote.

    Elle n'existe que quand elle sabote,

    elle est là quand elle sabote.

    Littérature, vas-tu marcher au pas?

    Non pas, mon pas, c'est de ne pas, pas le pas, pas à pas.

    Alors donne-moi ton pas, donne-moi ton pas!

    Ca me botte!

    dit-elle en riant, en s'enfuyant. Ca me botte!

     

    *

    Poétique

     

    A l’aurore, je m’ennuie

    Le matin m’asseoir

    Me hâtant le soir

    La nuit est mon zénith.

     

    A l’ouest la mort

    Là contre, je vis

    Le sud m’a pris

    L’Est est mon nord.

     

    Où d’autres veillent

    Chacun à leur tour :

    Je meurs la veille

     

    Je nais un autre jour

    Où je vais est le camp :

    - Mon temps est le quand.

     *

    POETICA

     

    De manhã escureço

    De dia tardo

    De tarde anoiteço

    De noite ardo.

     

    A oeste a morte

    Contra quem vivo

    Do sul cativo

    O este é meu norte.

     

    Outros que contem

    Passo por passo:

    Eu morro ontem

     

    Nasço amanhã

    Ando onde há espaço:

    – Meu tempo é quando

     

    *

    Parce que la terre

    tourne autour du soleil

     

    Lorsqu’un disciple lui demandait: « Pourquoi ? », le Golem répondait: « Parce que la terre tourne autour du soleil ».

    Un jour, alors que chantaient les cigales et que tous méditaient, repus et ensommeillés, auprès des oliviers, le plus petit d’entre eux se dressa brusquement et vint secouer la grosse bedaine du Golem : « Mais maître, parce que la terre tourne autour du soleil n’est pas la réponse à toutes les questions ! ». Le Golem ouvrit les yeux dans un demi-sourire dont on ne savait s’il exprimait la satisfaction prolongée d’avoir fait un bon repas ou celle d’entendre son disciple se révolter et sans même ouvrir la bouche, répondit d’un laconique : « Tu as raison ». « Mais alors, lui demanda le disciple, pourquoi réponds-tu toujours: parce que la terre tourne autour du soleil ? ». « Parce que la terre tourne autour du soleil » répondit le Golem. Et il dormait déjà.

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     http://www.paperblog.fr/5575705/bertolt-brecht-poemes/#Ql6tleFButM3wFZo.99

    Bertold Brecht  : Nos défaites ne prouvent rien

     

     

    Quand ceux qui luttent contre l’injustice

    Montrent leurs visages meurtris

    Grande est l’impatience de ceux

    Qui vivent en sécurité.

     

    De quoi vous plaignez-vous ? demandent-ils

    Vous avez lutté contre l’injustice !

    C’est elle qui a eu le dessus,

    Alors taisez-vous

     

    Qui lutte doit savoir perdre !

    Qui cherche querelle s’expose au danger !

    Qui professe la violence

    N’a pas le droit d’accuser la violence !

     

    Ah ! Mes amis

    Vous qui êtes à l’abri

    Pourquoi cette hostilité ? Sommes-nous

    Vos ennemis, nous qui sommes les ennemis de l’injustice ?

     

    Quand ceux qui luttent contre l’injustice sont vaincus

    L’injustice passera-t-elle pour justice ?

    Nos défaites, voyez-vous,

    Ne prouvent rien, sinon

    Que nous sommes trop peu nombreux

    À lutter contre l’infamie,

    Et nous attendons de ceux qui regardent

    Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.

     

    *

    poème aux jeunes.

    Je vécus dans les villes au temps des désordres et de la famine
    Je vécus parmi les hommes au temps de la révolte
    Et je m’insurgeais avec eux
    Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre
    Je mangeais en pleine bataille
    Je me couchais parmi des assassins
    Négligemment je faisais l’amour et je dédaignais la nature
    Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre
    De mon temps les rues conduisaient aux marécages
    La parole me livra aux bourreaux
    J’étais bien faible mais je gênais les puissants
    Ou du moins je le crus
    Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre
    Les forces étaient comptées
    Le but se trouvait bien loin il était visible pourtant
    Mais je ne pouvais pas en approcher
    Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre
    Vous qui surgirez du torrent où nous nous sommes noyés
    Songez quand vous parlez de nos faiblesses
    A la sombre époque dont vous êtes sortis
    Nous traversions les luttes de classes
    Changeant de pays plus souvent que de souliers
    Désespérés que la révolte ne mît pas fin à l’injustice
    Nous le savons bien
    La haine de la misère creuse les rides
    La colère de l’injustice rend la voix rauque
    Ô nous qui voulions préparer le terrain de l’amitié
    Nous ne sûmes pas devenir des amis
    Mais vous quand l’heure viendra où l’homme aide l’homme
    Pensez à nous avec indulgence
    Pour ceux qui souhaitent la version intégrale :
    A ceux qui viendront après nous.
    I
    Vraiment, je vis en de sombre temps ! Un langage sans malice est signe De sottise, un front lisse D’insensibilité. Celui qui rit N’a pas encore reçu la terrible nouvelle.
    Que sont donc ces temps, où Parler des arbres est presque un crime Puisque c’est faire silence sur tant de forfaits ! Celui qui là-bas traverse tranquillement la rue N’est-il donc plus accessible à ses amis Qui sont dans la détresse ?
    C’est vrai : je gagne encore de quoi vivre. Mais croyez-moi : c’est pur hasard. Manger à ma faim, Rien de ce que je fais ne m’en donne le droit. Par hasard je suis épargné. (Que ma chance me quitte et je suis perdu.)
    On me dit : mange, toi, et bois ! Sois heureux d’avoir ce que tu as ! Mais comment puis-je manger et boire, alors Que j’enlève ce que je mange à l’affamé, Que mon verre d’eau manque à celui qui meurt de soif ? Et pourtant je mange et je bois.
    J’aimerais aussi être un sage. Dans les livres anciens il est dit ce qu’est la sagesse : Se tenir à l’écart des querelles du monde Et sans crainte passer son peu de temps sur terre. Aller son chemin sans violence Rendre le bien pour le mal Ne pas satisfaire ses désirs mais les oublier Est aussi tenu pour sage. Tout cela m’est impossible : Vraiment, je vis en de sombre temps !
    II
    Je vins dans les villes au temps du désordre Quand la famine y régnait. Je vins parmi les hommes au temps de l’émeute Et je m’insurgeai avec eux. Ainsi se passa le temps Qui me fut donné sur terre.
    Mon pain, je le mangeais entre les batailles, Pour dormir je m’étendais parmi les assassins. L’amour, je m’y adonnais sans plus d’égards Et devant la nature j’étais sans indulgence. Ainsi se passa le temps Qui me fut donné sur terre.
    De mon temps, les rues menaient au marécage. Le langage me dénonçait au bourreau. Je n’avais que peu de pouvoir. Mais celui des maîtres Etait sans moi plus assuré, du moins je l’espérais. Ainsi se passa le temps Qui me fut donné sur terre.
    Les forces étaient limitées. Le but Restait dans le lointain. Nettement visible, bien que pour moi Presque hors d’atteinte. Ainsi se passa le temps Qui me fut donné sur terre.
    III
    Vous, qui émergerez du flot Où nous avons sombré Pensez Quand vous parlez de nos faiblesses Au sombre temps aussi Dont vous êtes saufs.
    Nous allions, changeant de pays plus souvent que de souliers, A travers les guerres de classes, désespérés Là où il n’y avait qu’injustice et pas de révolte.
    Nous le savons : La haine contre la bassesse, elle aussi Tord les traits. La colère contre l’injustice Rend rauque la voix. Hélas, nous Qui voulions préparer le terrain à l’amitié Nous ne pouvions être nous-mêmes amicaux.
    Mais vous, quand le temps sera venu Où l’homme aide l’homme, Pensez à nous Avec indulgence.

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    Poème sur une jeune noyée

    Lorsqu’elle fut noyée et dériva
    De ruisseaux en plus grandes rivières
    L’opale du ciel prit un ton étrange
    Comme s’il devait apaiser le cadavre.

    Varech et algues s’enroulèrent à elle
    Et peu à peu elle s’alourdit
    Les poissons glacés glissaient près de sa jambe
    Plantes et animaux alourdirent encore son dernier voyage.

    Et le soir, le ciel s’assombrit comme de la fumée
    Et la nuit, il tint avec les étoiles, la lumière en échec.
    La clarté toutefois se fit tôt, afin
    Que pour elle aussi il y ait un matin et un soir.

    Lorsque son corps pâle fut pourri dans l’eau
    Il arriva (cela se fit lentement) que Dieu l’oublia peu à peu
    Tout d’abord son visage, puis les mains et enfin sa chevelure.
    Alors elle devint charogne parmi les charognes des rivières.

    .
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    L’heure n’est pas à la poésie

    Je sais bien: On n’aime que
    Les gens heureux. Leur voix
    Nous plaît. Leur visage est beau.

    L’arbre étiolé de la cour
    Dénonce l’aridité du sol, mais
    Les passants le traitent d’estropié
    A juste titre.

    Je ne vois
    Ni les bateaux verts ni les joyeuses voiles du Sund. De tout cela
    Je ne vois que le filet déchiré des pêcheurs.
    Pourquoi ne parlé-je que
    De la quadragénaire qui chemine le dos voûté?

    Les seins des jeunes filles
    Sont chauds comme aux temps passés.

    Une rime dans ma chanson
    Me semblerait presque être une insolence.

    En moi s’affrontent
    L’enthousiasme à la vue du pommier en fleurs
    Et l’effroi lorsque j’entends les discours du barbouilleur.*
    Mais seul le second
    Me pousse à ma table de travail.

    —-

    (*Brecht aimait utiliser ce sobriquet pour désigner Hitler qui voulait devenir peintre en suivant l’Ecole des Beaux-Arts de Vienne.)

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    ELOGE DE LA DIALECTIQUE

    L’injustice aujourd’hui s’avance d’un pas sûr.
    Les oppresseurs dressent leurs plans pour dix mille ans.
    La force affirme: les choses resteront ce qu’elles sont.
    Pas une voix, hormis la voix de ceux qui règnent,
    Et sur tous les marchés l’exploitation proclame: c’est maintenant que je commence.
    Mais chez les opprimés beaucoup disent maintenant :
    Ce que nous voulons ne viendra jamais.

    Celui qui vit encore ne doit pas dire : jamais!
    Ce qui est assuré n’est pas sûr.
    Les choses ne restent pas ce qu’elles sont.
    Quand ceux qui règnent auront parlé,
    Ceux sur qui ils régnaient parleront.
    Qui donc ose dire: jamais ?
    De qui dépend que l’oppression demeure? De nous.
    De qui dépend qu’elle soit brisée? De nous.
    Celui qui s’écroule abattu, qu’il se dresse!
    Celui qui est perdu, qu’il lutte !
    Celui qui a compris pourquoi il en est là, comment le retenir?
    Les vaincus d’aujourd’hui sont demain les vainqueurs
    Et jamais devient: aujourd’hui.

    (traduction Maurice Regnaut)

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    On dit que tu ne veux plus travailler avec nous

    Tu ne veux plus travailler avec nous, nous dit-on.
    Tu es fourbu, tu ne peux plus te traîner.
    Tu es trop las.
    Tu es au bout de ton rouleau.
    On ne saurait exiger de toi encore quelque action.

    Sache-le donc :
    Nous l’exigeons.

    Si tu es las, si tu t’endors
    Personne ne viendra t’éveiller et te dire :
    Debout le repas est prêt.
    Pourquoi le repas serait-il prêt?
    Si tu ne peux plus te traîner
    Tu resteras couché. Personne
    N’ira te chercher et te dire :
    Une révolution a eu lieu. Les usines
    T’attendent.
    Pourquoi y aurait-il eu une révolution?
    Quand tu mourras, on te mettra en terre
    Que ta mort soit ta faute ou non.

    Tu dis:
    J’ai trop lutté et je ne peux plus me battre.
    Ecoute:
    Si tu ne peux plus lutter, tu périras
    Que ce soit ta faute ou non.

    Tu dis: j’ai trop longtemps vécu d’espoir, je ne suis
    plus capable d’espérer.
    Et qu’espérais-tu donc?
    Que la lutte serait facile?

    Ce n’est pas le cas.
    Notre situation est pire que ce que tu croyais.

    Voici notre situation:
    A moins d’accomplir des actions surhumaines
    Nous sommes perdus.
    A moins de pouvoir faire ce que nul ne peut exiger
    Nous périrons.
    Nos ennemis attendent le moment
    Où nous laisserons tomber les bras.

    Plus le combat est acharné
    Et plus las sont les combattants.
    Les combattants trop las perdront cette bataille

    (Traduction Gilbert Badia et Claude Duchet)

    .
    .

    LA CROISADE DES ENFANTS 1939

    En l’an trente-neuf, en Pologne,
    Il y eut un combat d’enfer
    Qui de nombreux hameaux et villes
    Ne laissa plus rien qu’un désert.

    La soeur alors perdit le frêre,
    La femme le mari ; I’enfant,
    Entre les flammes et les ruines,
    Ne retrouva plus les parents.

    Plus rien n’est venu de Pologne,
    Rien au courrier, rien au journal.
    Mais il court une étrange histoire
    Dans tout le monde oriental.

    C’était à l’Est, un soir de neige,
    Dans une ville on raconta
    De quelle manière, en Pologne,
    Une croisade commença.

    A petits pas, par maigres troupes,
    Des enfants affamés allaient,
    Rencontrant dans les bourgs en ruines
    D’autres enfants qu’ils emmenaient.

    lls voulaient fuir, fuir ces batailles,
    Ce cauchemar, fuir à jamais,
    Ils voulaient un beau jour atteindre
    Un pays où règne la paix.

    Un jeune chef marchait en tête,
    Ce qui leur donnait de l’entrain.
    Mais grande était son inquiétude :
    Quel chemin ? Il n’en savait rien.

    Une enfant de onze ans traînait
    Un de quatre ans, mais elle avait
    Tout d’une véritable mère,
    Seul manquait un pays en paix.

    Un petit Juif était du nombre,
    Il portait un col de velours,
    Toujours nourri de pain très blanc,
    Il tenait bon au long des jours.

    Du nombre aussi étaient deux frères,
    Tous deux stratèges de génie,
    Ils forçaient des cabanes vides,
    Seule les en chassait la pluie.

    Et dans la campagne, à l’écart,
    Marchait un malingre au teint gris.
    Il venait, tare épouvantable,
    D’une ambassade des nazis.

    Un jeune musicien trouva,
    Au fond d’un magasin détruit,
    Un tambour, mais qu’il ne put battre,
    Car le bruit les aurait trahis.

    Et les accompagnait un chien,
    Pour le tuer on l’avait pris,
    A présent fallait le nourrir,
    Nul n’ayant pu prendre sur lui.

    Il y eut un maître d’école,
    Un élève qui s’appliquait,
    Qui sur la carcasse d’un tank
    Ecrivit presque le mot paix.

    Il y eut aussi un concert.
    Un torrent faisait tel fracas
    Qu’au bord on put battre tambour,
    Sans que personne entende, hélas.

    Il y eut aussi un amour.
    Elle douze ans, lui trois de mieux.
    Au milieu d’une ferme en ruines,
    Elle lui peigna les cheveux.

    Mais cet amour ne put survivre,
    Il vint des froids beaucoup trop grands :
    Comment pourrait fleurir la plante
    Sur qui la neige tombe tant ?

    Il y eut aussi une guerre,
    Car une autre bande existait,
    Guerre qui prit fin simplement,
    Puisque rien ne la motivait.

    On se battait autour des ruines
    De la maison d’un garde-voie,
    L’un des partis vit que ses vivres
    Avaient fondu sans qu’il le voie.

    A peine eut-il appris la chose,
    L’autre parti leur fit porter
    Un plein sac de pommes de terre,
    Car ventre creux ne peut lutter.

    Il y eut même un tribunal,
    Par deux cierges illuminé,
    L’audience n’alla pas sans mal,
    Le juge enfin fut condamné.

    D’un garçon au col de velours,
    Se déroula l’enterrement
    Et dans la terre le portèrent
    Deux Polonais, deux Allemands.

    Nazi, protestant, catholique,
    Tous étaient là et pour finir
    Parla un jeune communiste,
    Des vivants, de leur avenir.

    Foi, espoir, rien ne leur manquait,
    Que la viande et le pain. Celui
    Qui veut les accuser de vol
    Leur a-t-il offert un abri ?

    Et n’accusez pas l’homme pauvre
    Qui ne les a point invités :
    Pour cinquante il faut abondance
    De farine et non de bonté.

    Quand ils sont deux, ou trois encore,
    On les accueille volontiers,
    Mais devant un nombre pareil,
    On referme sa porte à clé.

    De la farine, ils en trouvèrent
    Dans les décombres d’une ferme.
    Une enfant mit un tablier,
    Durant sept heures pétrit ferme,

    La pâte fut bien travaillée,
    Le bois pour le feu bien fendu,
    Pas une miche ne leva,
    Cuire le pain, nul n’avait su.

    Ils se dirigeaient vers le Sud.
    Le Sud, c’est quand il est midi
    L’endroit où le soleil se trouve,
    On marche alors tout droit sur lui.

    Il y eut un soldat blessé
    Qu’ils trouvèrent sous un sapin.
    Pendant sept jours ils le soignèrent
    Pour qu’il leur montre le chemin.

    Puis il leur dit: Vers Bilgoray
    Mais tant de fièvre le fit taire,
    Au huitième jour il mourut
    Et lui aussi ils l’enterrèrent.

    Et les poteaux indicateurs,
    Ceux qui restaient étaient couverts
    De neige et n’indiquaient plus rien :
    Tous étaient tournés à l’envers.

    Ce n’était pas plaisanterie,
    C’était pour raisons militaires.
    Mais eux qui cherchaient Bilgoray,
    En vain, en vain ils le cherchèrent.

    Ils étaient là, autour du chef.
    Loin dans la neige il regarda,
    Puis tendit sa petite main
    Et dit: Ça doit être là-bas.

    Une fois, dans la nuit, ils virent
    Un feu et partirent ailleurs.
    Une fois passèrent trois tanks
    Et des soldats à l’intérieur.

    Une fois ce fut une ville
    Qui leur fit faire un long détour.
    Tant qu’ils eurent la ville en vue,
    Ils ne marchèrent pas de jour.

    Au sud de l’ancienne Pologne,
    Dans le vent de neige et le froid,
    On a vu les cinquante-cinq
    Pour la dernière fois.

    Quand je ferme les yeux,
    Je les vois qui cheminent
    Des ruines d’un hameau
    Vers un hameau en ruines.

    Je vois au-dessus d’eux, là-haut dans les nuages,
    Des cortèges nouveaux, des cortèges sans fin !
    Avançant avec peine au milieu des vents froids,
    Ceux qui sont sans patrie et qui vont sans chemin,

    Qui cherchent le pays en paix,
    Sans tonnerre, sans incendie,
    Tout autre que ceux d’où ils viennent,
    Leur cortège grandit, grandit,

    Et bientôt dans le crépuscule
    Il ne reste plus identique :
    Je vois d’autres petits visages,
    Espagnols, français, asiatiques !

    En Pologne, ce janvier-là,
    Fut trouvé un chien vagabond
    Qui promenait à son cou maigre
    Une pancarte de carton.

    Sur elle était écrit: A l’aide !
    Nous ne savons plus le chemin
    Et nous sommes cinquante-cinq.
    Vous n’avez qu’à suivre le chien.

    Si vous ne pouvez pas venir,
    Chassez-le.
    Ne tirez pas sur lui,
    Lui seul connait le lieu.

    C’était écrit par un enfant.
    Des paysans l’ont lu.
    Une année et demie est passée à présent.
    Le chien est mort de faim.

    Bertolt Brecht, poèmes


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    NÂZIM HIKMET : Mes frères et autres poèmes

     

     

    Mes frères

     

     

     

     

     

    En dépit de mes cheveux blonds

     

     

    Je suis Asiatique.

     

    En dépit de mes yeux bleus

     

    Je suis Africain.

     

    Chez moi, là-bas, les arbres n’ont pas d’ombre à leur pied

     

    Tout comme les vôtres, là-bas.

     

    Chez moi, là-bas, le pain quotidien est dans la gueule du lion.

     

    Et les dragons sont couchés devant les fontaines

     

    Et l’on meurt chez moi avant la cinquantaine

     

    Tout comme chez vous là-bas.

     

     

     

    En dépit de mes cheveux blonds

     

    Je suis Asiatique.

     

    En dépit de mes yeux bleus

     

    Je suis Africain.

     

    Quatre-vingts pour cent des miens ne savent ni lire ni écrire

     

    Et cheminant de bouche en bouche les poèmes deviennent chansons.

     

    Là-bas, chez moi, les poèmes deviennent drapeaux

     

    Tout comme chez vous, là-bas.

     

     

     

     

     

     

    .

     

     

    __

     

    Berceuse

     

     

     

    Dors ma belle, dors

    Des jardins je t'apporte à l'instant le sommeil

    Ah ! dans tes yeux marrons que sont vertes les treilles

    Dors ma belle, dors

    dors en souriant aux anges,

    do, do.

     

    Dors ma belle, dors

    De la mer je t'apporte à l'instant le sommeil

    Un sommeil vaste et frais, léger comme une abeille

    Dors ma belle, dors

    sous les voiles gonflées de vent,

    do, do.

     

    Dors ma belle, dors

    Des astres je t'apporte à l'instant le sommeil

    Un sommeil d'un bleu sombre à du velours pareil

    Dors ma belle, dors

    car à ton chevet mon cœur veille,

    do, do.

     

     

     

    Nazim Hikmet

     

    __

    Sur la vie.

    Source "Nazim Hikmet Anthologie poétique" éditions TEMPS ACTUELS

    traduit par Hasan Gureh

     

     

    La vie n'est pas une plaisanterie

    Tu la prendras au sérieux,

    Comme le fait un écureuil, par exemple,

    Sans rien attendre du dehors et d'au-delà

    Tu n'auras rien d'autre à faire que de vivre.

     

    La vie n'est pas une plaisanterie,

    Tu la prendras au sérieux,

    Mais au sérieux à tel point,

    Qu'adossé au mur, par exemple, les mains liées

    Ou dans un laboratoire

    En chemise blanche avec de grandes lunettes,

    Tu mourras pour que vivent les hommes,

    Les hommes dont tu n'auras même pas vu le visage,

    Et tu mourras tout en sachant

    Que rien n'est plus beau, que rien n'est plus vrai que la vie.

    Tu la prendras au sérieux

    Mais au sérieux à tel point

    Qu'à soixante-dix ans, par exemple, tu planteras des oliviers

    Non pas pour qu'ils restent à tes enfants

    Mais parce que tu ne croiras pas à la mort

    Tout en la redoutant

    mais parce que la vie pèsera plus lourd dans la balance

     

     

     

    __

    GLOBE

     

    Offrons le globe aux enfants.

    Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.

    Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore

    Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.

    Offrons le globe aux enfants,

    Donnons-leur comme une pomme énorme,

    Comme une boule de pain tout chaude,

    Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.

    Offrons le globe aux enfants,

    Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,

    Les enfants prendront de nos mains le globe

    Ils y planteront des arbres immortels.

     

     

     

    ____

    IL NEIGE DANS LA NUIT...

    Extrait.

     

     

     

    Cela fait cent ans

     

    que je n’ai pas vu ton visage

     

    que je n’ai pas passé mon bras

     

    autour de ta taille

     

    que je ne vois plus mon visage dans tes yeux

     

    cela fait cent ans que je ne pose plus de question

     

    à la lumière de ton esprit

     

    que je n’ai pas touché à la chaleur de ton ventre.

     

     

     

    Cela fait cent ans

     

    qu’une femme m’attend

     

    dans une ville.

     

    Nous étions perchés sur la même branche,

     

    sur la même branche

     

    nous en sommes tombés, nous nous sommes quittés

     

    entre nous tout un siècle

     

    dans le temps et dans l’espace.

     

    Cela fait cent ans que dans la pénombre

     

    je cours derrière toi.

     

    ____

    Traître à la Patrie 

     

     

     

    Näzım Hikmet est traître à la patrie,

    et il continue.

     

    “Nous sommes la demi-colonie de l’impérialisme capitaliste, dit Nâzım Hikmet.

    Näzım Hikmet est traître à la patrie,

    et il continue.”

     

    Voilà ce qu’on lit dans un journal d’Ankara,

    Sur trois colonnes,

    en caractères bien noirs et gras,

    dans un journal d’Ankara,

    à côté d’une photo de l’amiral Williamson

    qui rit jusqu’aux oreilles,

    sur 66 centimètres carrés.

    L’impérialisme de l’amiral capitaliste a fait

    À notre budget un don de 120 millions de livres.

    Oui, 120 millions de livres.

     

    “Nous sommes une demi-colonie de

    L’impérialisme capitaliste, dit Hikmet.

    Näzım Hikmet est traître à la patrie,

    et il continue.”

     

    Oui, je suis traître à cette patrie

    Si vous, vous êtes patriotes,

    Si vous êtes protecteurs de ce pays,

    Alors moi, je suis traître à ce faux pays,

    Je suis traître à cette fausse patrie.

     

    Si la patrie, ce sont vos fermages,

    Si la patrie, c’est ce qu’il y a dans vos caisses

    et dans vos carnets de chèques,

    Si la patrie, c’est crever de faim au bord des routes, si la patrie, c’est trembler de froid,

    dehors, comme un chien,

    Et en été se tordre de paludisme,

    Si c’est pomper notre sang

    versé dans vos usines, la patrie,

    Si la patrie, ce sont les griffes

    de vos grands propriétaires terriens,

    Si la patrie, ce sont les livres religieux

    armés de lances, les matraques des policiers,

    si ce sont vos rémunérations et vos traitements, la patrie, si ce sont les bases militaires,

    les bombes atomiques, la patrie,

    les canons des flottes capitalistes,

    si la patrie, ce n’est pas nous délivrer

    de ces ténèbres putrescentes,

    alors moi je suis traître à la patrie.

    Ecrivez sur trois colonnes en caractères bien noirs et gras:

    “Nâzım Hikmet est traître à la patrie,

    et il continue.”

     

    Vatan Haini

     

    Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor

    hâlâ.

     

    “Kapitalist emperyaliszminin yarı sömürgesiyiz,

    dedi Hikmet.

    Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor

    hâlâ.”

     

    Bir Ankara gazetesinde çıktı bunlar,

    üç sütun üstüne,

    kapkara haykıran puntolarla,

    bir Ankara gazetesinde,

    fotoğrafıında

    Amiral Vilyamson’un

    66 santimetre karede gülÿor,

    ağzı kulaklarıinda,

    kapitalist amirali emperatorluk,

    bütçemize 120 milyon lira hibe etti,

    120 miliyon lira.

     

    “Kapitalist emperyalizminin yarı sömürgesiyiz,

    dedi Hikmet.

    Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor

    hâlâ.”

     

    Evet, sahte vatanın hainiyim,

    siz sahte vatanperverseniz,

    sahte yurtseverseniz,

    ben tuzak olduğunun yurdun hainiyim,

    ben sahte vatanın hainiyim. 

     

    Vatan çiftliklerinizse, kasalarınızın

    ve çek defterlerinizin içindekilerse vatan,

    Vatan, şose boylarında gebermekse açlıktan,

    Vatan, soğukta it gibi titremek ve

    sıtmadan kıvranmaksa yazın,

    fabrikalarınızda al kanımızı içmekse vatan,

    Vatan tırnaklarıysa ağalarınızın,

    Vatan, mızraklı ilmûhalse,

    vatan, polis copuysa,

    Ödeneklerinizse, maaşlarınızsa vatan,

    Vatan, asker üsleri, atom bombaları,

    Kapitalist donanması topuysa,

     

    Vatan, kurtulmamaksa kokmuş karanlığımızdan,

    Ben vatan hainiyim.

    Yazın üç sütun üstüne kapkara haykıran

    puntolarla:

     

    “Nâzım Hikmet vatan hainliğine devam ediyor

    hâlâ. “ 

     

    ___

     

    ARBRE 

     

     

    J'ai un arbre en moi.

    J'ai un arbre en moi

    Dont j'ai rapporté le plan du soleil

    Poissons de feu ses feuilles se balancent

    Ses fruits tels des oiseaux gazouillent

    Les voyageurs depuis longtemps sont

    Descendus de leur fusée

    Sur l'étoile qui est en moi

    Ils parlent ce langage entendu dans mes rêves

    Ni ordres, ni vantardises, ni prières.

    J'ai une route blanche en moi

    Y passent les fourmis avec les grains de blé

    Les camions pleins de cris de fête

    Mais cette route est interdite aux corbillards.

    Le temps reste immobile en moi,

    Comme une odorante rose rouge,

    Que l'on soit vendredi et demain samedi

    Que soit passé beaucoup de moi, qu'il en reste peu ou prou

    Je m'en fous !

     

    ___


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  •  

    KATEB Yacine : LES FOURMIS ROUGES et POUSSIÈRES DE JUILLET

     

    Fallait pas partir.

    Si j'étais resté au collège, ils ne m'auraient pas arrêté.

    Je serais encore étudiant, pas manoeuvre, et je ne serais pas enfermé une seconde fois, pour un coup de tête.

    Fallait rester au collège, comme disait le chef de district.

    Fallait rester au collège, au poste.

    Fallait écouter le chef de district.

    Mais les Européens s'étaient groupés.

    Ils avaient déplacé les lits.

    Ils se montraient les armes de leurs papas.

    Y avait plus ni principal ni pions.

    L'odeur des cuisines n'arrivait plus.

    Le cuisinier et l'économe s'étaient enfuis.

    Ils avaient peur de nous, de nous, de nous !

    Les manifestants s'étaient volatilisés.

    le suis passé à l'étude. J'ai pris les tracts.

    J'ai caché la Vie d'Abdelkader .

    J'ai ressenti la force des idées.

    J'ai trouvé l'Algérie irascible. Sa respiration...

    La respiration de l'Algérie suffisait.

    Suffisait à chasser les mouches.

    Puis l'Algérie elle même est devenue...

    Devenue traîtreusement une mouche.

    Mais les fourmis, les fourmis rouges,

    Les fourmis rouges venaient à la rescousse.

    Je suis parti avec les tracts.

    Je les enterrés dans la rivière.

    J'ai tracé sur le sable un plan...

    Un plan de manifestation future.

    Qu'on me donne cette rivière, et je me battrai.

    je me battrai avec du sable et de l'eau.

    De l'eau fraîche, du sable chaud. Je me battrai.

    J'étais décidé. Je voyais donc loin. Très loin.

    Je voyais un paysan arc-bouté comme une catapulte.

    Je l'appelai, mais il ne vint pas. Il me fit signe.

    Il me fit signe qu'il était en guerre.

    En guerre avec son estomac, Tout le monde sait...

    Tout le monde sait qu'un paysan n'a pas d'esprit.

    Un paysan n'est qu'un estomac. Une catapulte.

    Moi j'étais étudiant. J'étais une puce.

    Un puce sentimentale... Les fleurs des peupliers...

    Les fleurs des peupliers éclataient en bourre soyeuse.

    Moi j'étais en guerre. je divertissais le paysan.

    Je voulais qu'il oublie sa faim. Je faisais le fou. Je faisais le fou devant

    mon père le paysan. Je bombardais la lune dans la rivière.

     

    ____

     

    POUSSIÈRES DE JUILLET 

     

    Le sang

    Reprend racine

    Oui

    Nous avions tout oublié

    Mais notre terre

    En enfance tombée

    Sa vieille ardeur se rallume 

     

    Et même fusillés

    Les hommes s’arrachent la terre

    Et même fusillés

    Ils tirent la terre à eux

    Comme une couverture

    Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir 

     

    Et sous la couverture

    Aux grands trous étoilés

    Il y a tant de morts

    Tenant les arbres par la racine

    Le cœur entre les dents 

     

    Il y a tant de morts

    Crachant la terre par la poitrine

    Pour si peu de poussière

    Qui nous monte à la gorge

    Avec ce vent de feu

     

    N’ enterrez pas l’ancêtre

    Tant de fois abattu

    Laissez-le renouer la trame de son massacre 

     

    Pareille au javelot tremblant

    Qui le transperce

    Nous ramenons à notre gorge

    La longue escorte des assassins.

     

     ______

     

    BONJOUR

     

     

     

    Bonjour ma vie 

    Et vous mes désespoirs. 

    Me revoici aux fossés 

    Où naquit ma misère ! 

    Toi mon vieux guignon, 

    Je te rapporte un peu de cœur 

     

    Bonjour, bonjour à tous 

    Bonjour mes vieux copains ; 

    Je vous reviens avec ma gueule 

    De paladin solitaire, 

    Et je sais que ce soir 

    Monteront des chants infernaux… 

    Voici le coin de boue 

    Où dormait mon front fier, 

    Aux hurlements des vents, 

    Par les cris de Décembre ; 

    Voici ma vie à moi, 

    Rassemblée en poussière… 

     

    Bonjour, toutes mes choses, 

    J'ai suivi l'oiseau des tropiques 

    Aux randonnées sublimes 

    Et me voici sanglant 

    Avec des meurtrissures 

    Dans mon cœur en rictus !… 

     

    Bonjour mes horizons lourds, 

    Mes vieilles vaches de chimères : 

    Ainsi fleurit l'espoir 

    Et mon jardin pourri ! 

    - Ridicule tortue, 

    J'ai ouvert le bec 

    Pour tomber sur des ronces 

     

    Bonjour mes poèmes sans raison…

    ___

    MORTS POUR RIEN

     

     

    « Il est de jeunes bras

    Qui sont morts tendus

    Vers une mère…

    Et ces morts qui ont bâti pour d’autres

    Et ceux qui sont partis en chantant

    Pour dormir dans la boue anonyme de l’oubli.

    Et ceux qui meurent toujours,

    Dans la gaucherie des godillots

    Et des habits trop grands

    pour des enfants ! Aux soirs tristes

    De mortes minutes,Il est un gars qui tombe

    Et sa mère qui meurt pour lui, de toute la force de son vieux cœur

    …..Mais les morts les plus à plaindre,

    Ceux que mon cœur veut consoler,

    Ce sont les pauvres d’un pays de soleil,

    Ce sont les champions d’une cause étrangère,

    Ceux qui sont morts pour les autres,

    ET POUR RIEN ! »

     

    ___

    Vous, les pauvres !

     

     

    Vous, les pauvres,

    Dites-moi

    Si la vie

    N'est pas une -----!

     

    Ah! Dire que

    Vous êtes les indispensables!…

     

    Ouvriers, gens modestes

    Pourquoi les gros

    Vous étouffent-ils en leur graisse

    Malsaine de profiteurs?

     

    Ouvriers,

     

    Les premiers à la tâche,

    Les premiers au combat,

    Les premiers au sacrifice,

    Et les premiers dans la détresse…

     

    Ouvriers,

     

    Mes frères au front songeur,

    Je voudrais tant

    Mettre un juste laurier,

     

    A vos gloires posthumes

    De sacrifiés.

    - La grosse machine humaine

    A beuglé sur leurs têtes,

    Et vente à leurs oreilles

    Le soupir gémissant des perclus !…

     

    Au foyer ingrat

    D’une infernale société,

    Vous rentrez exténués,

    Sans un réconfort

     

    Pour vos cœurs de « bétail pensif »…

    Et vos bras,

    Vos bras sains et lourds de sueur,

    Vos bras portent le calvaire

    De vos existences de renoncement !

     

     

     


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  •  

     Mahmoud Darwich :OISEAUX & autres poèmes

     

     

    L’on se verra bientôt…

    dans un an,

    deux ans, dans un siècle…

    et dans l’appareil photographique

    furent jetés

    vingt jardins

    et les oiseaux de la Galilée

    et la voilà partie, au-delà de la mer

    cherchant un sens nouveau à la vérité.

    ma patrie est une corde à sécher

    et les rubans du sang répandu à

    chaque minute…

    Et sable, et palmiers, je me suis

    étendu sur le rivage

    Les oiseaux ne savent point, ma Rita,

    que la mort et moi t’avons donné

    le secret de la joie fanée

    à la barrière douanière…

    Et nous voilà, la mort et moi,

    renaissant

    dans ton front premier,

    et dans la fenêtre de ta maison…

    deux visages… moi et la mort.

    Pourquoi fuis-tu?

    Pourquoi fuis-tu, à présent, ce qui

    de l’épi, fait les cils de la terre

    et du volcan, un autre visage du jasmin

    Mais pourquoi fuis-tu?

    Rien, la nuit, ne me fatiguait autant

    que son silence

    quand il s’étirait devant ma porte

    comme la rue, comme le vieux quartier…

    qu’il soit fait selon ta volonté,

    Rita !

    Le silence serait une cloche

    des cadres d’étoiles

    ou un climat ou la sève bout ans

    les flancs de l’arbre.

    Je bois le baiser au tranchant des

    couteau

    Viens ! Qu’on appartienne à la boucherie !…

    comme des feuilles inutiles

    sont tombées les vols d’oiseaux

    dans les puits du temps

    ET me voilà, ma Rita, repêchant leurs ailes bleues.

    Je suis celui qui porte dans sa peau,

    gravée par les chaînes,

    une forme de la patrie.

    ____

     

    extrait de Rameaux d’olivier - 1964 :  INSCRIS

    Inscris !

    Je suis Arabe

    Le numéro de ma carte : cinquante mille

    Nombre d’enfants : huit

    Et le neuvième… arrivera après l’été !

    Et te voilà furieux !

     

    Inscris !

    Je suis Arabe

    Je travaille à la carrière avec mes compagnons de peine

    Et j’ai huit bambins

    Leur galette de pain

    Les vêtements, leur cahier d’écolier

    Je les tire des rochers…

    Oh ! je n’irai pas quémander l’aumône à ta porte

    Je ne me fais pas tout petit au porche de ton palais

    Et te voilà furieux !

     

    Inscris !

    Je suis Arabe

    Sans nom de famille - je suis mon prénom

    « Patient infiniment » dans un pays où tous

    Vivent sur les braises de la Colère

    Mes racines…

    Avant la naissance du temps elles prirent pied

    Avant l’effusion de la durée

    Avant le cyprès et l’olivier

    …avant l’éclosion de l’herbe

    Mon père… est d’une famille de laboureurs

    N’a rien avec messieurs les notables

    Mon grand-père était paysan - être

    Sans valeur - ni ascendance.

    Ma maison, une hutte de gardien

    En troncs et en roseaux

    Voilà qui je suis - cela te plaît-il ?

    Sans nom de famille, je ne suis que mon prénom.

     

    Inscris !

    Je suis Arabe

    Mes cheveux… couleur du charbon

    Mes yeux… couleur de café

    Signes particuliers :

    Sur la tête un kefiyyé avec son cordon bien serré

    Et ma paume est dure comme une pierre

    …elle écorche celui qui la serre

    La nourriture que je préfère c’est

    L’huile d’olive et le thym

     

    Mon adresse :

    Je suis d’un village isolé…

    Où les rues n’ont plus de noms

    Et tous les hommes… à la carrière comme au champ

    Aiment bien le communisme

    Inscris !

    Je suis Arabe

    Et te voilà furieux !

     

    Inscris

    Que je suis Arabe

    Que tu as rafflé les vignes de mes pères

    Et la terre que je cultivais

    Moi et mes enfants ensemble

    Tu nous as tout pris hormis

    Pour la survie de mes petits-fils

    Les rochers que voici

    Mais votre gouvernement va les saisir aussi

    …à ce que l’on dit !

     

    DONC

     

    Inscris !

    En tête du premier feuillet

    Que je n’ai pas de haine pour les hommes

    Que je n’assaille personne mais que

    Si j’ai faim

    Je mange la chair de mon Usurpateur

    Gare ! Gare ! Gare

    À ma fureur !

     

    ____

     

    Rien ne me plaît ,traduction par Jalel El Gharbi  :

     

     

    « Rien ne me plaît, dit un voyageur dans le bus, ni la radio

     

    Ni les journaux du matin, ni les citadelles sur les collines. 

     

    J’ai envie de pleurer»

     

    « Attends qu’on arrive et pleure tout ton saoul, répondit le chauffeur »

     

    « Moi non plus, dit une dame, rien ne me plaît. J’ai montré ma tombe à mon fils.

     

    Elle lui a plu : il s’y est endormi et ne m’a pas dit adieu »

     

    L’universitaire dit « Moi non plus, rien ne me plaît. 

     

    J’ai fait de l’archéologie et je n’ai jamais trouvé

     

    Mon identité dans une pierre. Suis-je vraiment

     

    Moi-même ? »

     

    Un soldat dit alors : « Moi non plus, rien ne me plaît

     

    Je traque une ombre qui me traque »

     

    Nerveux, le chauffeur dit alors : « Terminus ! Préparez-vous

     

    A descendre. 

     

    Tous lui crièrent : « Nous voulons aller au-delà du terminus

     

    Continuez donc ! »

     

    Quant à moi, je dis : « Faites-moi descendre. Je suis comme eux, rien ne me plaît mais je suis fatigué du voyage. »

     

    لاشيء يعجبني 

     

     

     

    ((لا شيءَ يُعْجبُني))

    يقول مسافرٌ في الباصِ – لا الراديو

    ولا صُحُفُ الصباح , ولا القلاعُ على التلال.

    أُريد أن أبكي/

    يقول السائقُ: انتظرِ الوصولَ إلى المحطَّةِ,

    وابْكِ وحدك ما استطعتَ/

    تقول سيّدةٌ: أَنا أَيضاً. أنا لا

    شيءَ يُعْجبُني. دَلَلْتُ اُبني على قبري’

    فأعْجَبَهُ ونامَ’ ولم يُوَدِّعْني/

    يقول الجامعيُّ: ولا أَنا ’ لا شيءَ

    يعجبني. دَرَسْتُ الأركيولوجيا دون أَن

    أَجِدَ الهُوِيَّةَ في الحجارة. هل أنا 

    حقاً أَنا؟/

    ويقول جنديٌّ: أَنا أَيضاً. أَنا لا

    شيءَ يُعْجبُني . أُحاصِرُ دائماً شَبَحاً

    يُحاصِرُني/

    يقولُ السائقُ العصبيُّ: ها نحن

    اقتربنا من محطتنا الأخيرة’ فاستعدوا

    للنزول.../

    فيصرخون: نريدُ ما بَعْدَ المحطَّةِ’

    فانطلق!

    أمَّا أنا فأقولُ: أنْزِلْني هنا . أنا

    مثلهم لا شيء يعجبني ’ ولكني تعبتُ

    من السِّفَرْ.

     

    _____

    A MA MERE

     

     

    Je me languis du pain de ma mère

    du café de ma mère

    des caresses de ma mère

    jour après jour

    l’enfance grandit en moi

    j’aime mon âge

    car si je meurs

    j’aurai honte des larmes de ma mère

     

    si un jour je reviens

    fais de moi un pendentif à tes cils

    recouvre mes os avec de l’herbe

    qui se sera purifiée à l’eau bénite de tes chevilles

    attache -moi avec une natte de tes cheveux

    avec un fil de la traîne de ta robe

    peut-être deviendrai-je un dieu

    oui un dieu

    si je parviens à toucher le fond de ton cœur

     

    si je reviens

    mets-moi ainsi qu’une brassée de bois dans ton four

    fais de moi une corde à linge sur la terrasse de ta maison

    car je ne peux plus me lever

    quand tu ne fais pas ta prière du jour

     

    j’ai vieilli

    rends-moi la constellation de l’enfance

    que je puisse emprunter avec les petits oiseaux

    la voie du retour

    au nid de ton attente

     

    ___

    LE CYPRÈS S’EST BRISÉ

     

     

    Le cyprès s’est brisé comme un minaret

    et il s’est endormi

    en chemin sur l’ascèse de son ombre,

    vert, sombre,

    pareil à lui-même. Tout le monde est sauf.

    Les voitures

    sont passées, rapides, sur ses branches.

    La poussière a recouvert

    les vitres … Le cyprès s’est brisé mais

    la colombe n’a pas quitté son nid déclaré

    dans la maison voisine.

    Deux oiseaux migrateurs ont survolé

    ses environs et échangé quelques symboles.

    Une femme a dit à sa voisine :

    Dis, as-tu vu passer une tempête ?

    Elle répondit : Non, ni un bulldozer …

    Le cyprès s’est brisé. Les passants sur ses débris ont dit :

    Il en a eu assez d’être négligé,

    il a sans doute vieilli

    car il est grand

    comme une girafe,

    aussi vide de sens qu’un balai

    et il n’ombrage pas les amoureux.

    Un enfant a dit : Je le dessinais parfaitement,

    sa silhouette est facile. Une fillette a dit :

    Le ciel est incomplet

    aujourd’hui que le cyprès s’est brisé.

    Une jeune homme a dit :

    Le ciel est complet

    aujourd'hui que le cyprès s’est brisé.

    Et moi, je me suis dit :

    Nul mystère,

    le cyprès s’est brisé, un point c’est tout.

    Le cyprès s’est brisé ! 


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