• KABIR : Il est le Souffle des souffles...

    Il est le Souffle des souffles... 

     

    Je ris de voir que le poisson dans l’eau a soif 

    La perle est dans ton cœur, ne cherche pas ailleurs 

    Comme l’iris est dans l’œil

    Qui ne voit pas cela le cherche en vain ailleurs 

     

    O Kabir, le daim cherche dans la forêt

    Le musc caché dans son nombril 

    Et l’homme cherche ailleurs

    Celui qui est dans son cœur

     

    N’imite pas le daim qui, cherchant dans les herbes

    Veut déterrer le musc que secrète son nombril 

     

    Ils cherchent tous ailleurs

    Celui qui est dans le cœur 

    A cause du voile épais de l’ignorance

    Nul ne voit l’Un 

     

    Comme l'huile dans le grain de sésame

    Et l’étincelle dans la pierre de silex

    Il est en toi 

    Fais-le jaillir si tu peux 

     

    Je croyais qu'Il était loin

    Mais Il est en chacun 

     

    En chaque forme vit le Sans-Forme

    Mais nul n’a compris ce mystère

     

    Rien en moi n’est à moi

    Car toute chose T’appartient

    Que puis-je perdre, en vérité

    Si je T’offre tout ce qui est à Toi

     

    Comme le suc de couleur rouge

    Qui imprègne les feuilles de myrte

    Ton essence imprègne tout ce qui vit

    Invisible dans le cœur 

     

    Depuis longtemps errant, cherchant l’essence universelle

    Si tu es las, pourquoi te tourmenter encore

    Fais jaillir cette étincelle divine 

    De toute éternité, cachée en toi, elle brille 

     

    कबीर

    KABIR : Il est le Souffle des souffles...

     

     


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    LORCA : Officine et dénonciation, et autres poèmes

    Officine et dénonciation

     

    A Fernando Vela

     

    Sous les multiplications

    il y a une goutte de sang de canard ;

    sous les divisions

    il y a une goutte de sang de marin ;

    sous les additions, un fleuve de sang tendre.

    Un fleuve qui avance en chantant

    par les chambres des faubourgs,

    qui est argent, ciment ou brise

    dans l’aube menteuse de New York.

    Les montagnes existent. Je le sais.

    Et les lunettes pour la science.

    Je le sais. Mais je ne suis pas venu voir le ciel.

    Je suis venu voir le sang trouble,

    Le sang qui porte les machines aux cataractes

    et l’esprit à la langue du cobra.

    Tous les jours on tue à New York

    quatre millions de canards,

    cinq millions de porcs,

    deux mille pigeons pour le plaisir des agonisants,

    un million de vaches,

    un million d’agneaux

    et deux millions de coqs,

    qui font voler les cieux en éclats.

    Mieux vaut sangloter en aiguisant son couteau

    ou assassiner les chiens

    dans les hallucinantes chasses à courre

    que résister dans le petit jour

    aux interminables trains de lait,

    aux interminables trains de sang,

    et aux trains de roses aux mains liées

    par les marchands de parfums.

    Les canards et les pigeons,

    les porcs et les agneaux

    mettent leurs gouttes de sang

    sous les multiplications,

    et les terribles hurlements des vaches étripées

    emplissent de douleur la vallée

    où l’Hudson s’enivre d’huile.

    Je dénonce tous ceux

    qui ignorent l’autre moitié,

    la moitié non rachetable

    qui élève ses montagnes de ciment

    où battent les coeurs

    des humbles animaux qu’on oublie

    et où nous tomberons tous

    à la dernière fête des tarières.

    Je vous crache au visage.

    L’autre moitié m’écoute

    dévorant, chantant, volant dans sa pureté,

    comme les enfants des conciergeries

    qui portent de fragiles baguettes

    dans les trous où s’oxydent

    les antennes des insectes.

    Ce n’est pas l’enfer, c’est la rue.

    Ce n’est pas la mort, c’est la boutique de fruits.

    Il y a un monde de fleuves brisés et de distances insaisissables

    dans la petite patte de ce chat

    cassée par l’automobile,

    et j’entends le chant du lombric

    dans le coeur de maintes fillettes.

    Oxyde, ferment, terre secouée.

    Terre toi-même qui nage

    dans les nombres de l’officine.

    Que vais-je faire ? mettre en ordre les paysages ?

    Mettre en ordre les amours qui sont ensuite photographies,

    Qui sont ensuite morceaux de bois et bouffées de sang?

    Non, non, non, non ; je dénonce.

    Je dénonce la conjuration

    de ces officines désertes

    qui n’annoncent pas à la radio les agonies,

    qui effacent les programmes de la forêt,

    et je m’offre à être mangé par les vaches étripées

    quand leurs cris emplissent la vallée

    où l’Hudson s’enivre d’huile.

    Federico Garcia Lorca

    Un poète à new York, “Officine et dénonciation”,

    tr. fr. Pierre Darmangeat modifiée, Gallimard, 1961.

    *

    Couleurs

     

    Au-dessus de Paris

    la lune est violette.

    Elle devient jaune

    dans les villes mortes.

    Il y a une lune verte

    dans toutes les légendes.

    Lune de toile d’araignée

    et de verrière brisée,

    et par-dessus les déserts

    elle est profonde et sanglante.

    Mais la lune blanche,

    la seule vraie lune,

    brille sur les calmes

    cimetières de villages.

    Federico Garcia Lorca, Chansons sous la lune

    *

    Lune de fête

     

    La lune

    on ne la voit dans les fêtes.

    Il y a trop de lunes

    sur la pelouse !

    Tout veut jouer à être lune.

    La même fête

    C’est une lune blessée

    qui est tombée sur la ville.

    Des lunes microscopiques

    dansent sur les vitres

    Et certaines restent

    Sur les gros nuages

    De la fanfare.

    La lune de l’azur

    on ne la voit pas dans les fêtes

    Elle se voile et soupire :

    ” J’ai mal aux yeux !”

     

    Federico Garcia Lorca, Poemas de la Feria

    Traduction de Winston Perez


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  • timia

     

    Pour la poésie touarègue en français et en tifinagh, cliquer sur :

    http://touaregsmirages.canalblog.com/archives/2009/03/10/14392623.html

    et Rhissa Rhossey

    "Jour et Nuit, Sable et Sang, poèmes sahariens »

    Éditions Transbordeurs

     

     

    Numériser0031 (2)

     

     

    *

     

    Nomades

     

    Hier encore

    Ils comptaient les étoiles

    Ils avaient tout le temps

    Et tout l'espace 

    Solitaires et libres

    N'écoutant que l'écho 

    De leur voix

     

    Aujourd'hui 

    Contrariés

    Leur lourd voile

    Obstrue leur regard

    Et ils ne peuvent compter les étoiles

    Pourtant encore ils rêvent

    Leurs rêves lumineux

    Comme la voie lactée

    Est en suspens dans le chant

    Des canons.

     

    Leur mouvement pris en otage

    Dans le filet des frontières

    Héritier d'une époque

    Sans gloire

    Les fils du vent et des étoiles

    Font du Silence et de l'oubli

    Leur triste mélodie

    *

    Prière d'un bouzou

     

    Le charbon sort de chez moi 

    Mais je suis dans les ténèbres 

    L'Uranium sort de chez moi 

    Mais je suis pauvre. 

    L'Aïr est une immense nappe phréatique 

    Mais j'ai soif. 

    Chez moi, il y a d'immenses

    Plaines fertiles ... inexploitées. 

    Chez moi il y a deux axes routiers :

    Celui qui Exporte l'Uranium

    Et celui qui Exploite le Charbon. 

    Et vous voudriez que je me taise 

    De toute façon je me tais 

    Puisque je suis en majorité Analphabète 

    Et patati patata 

    Que les bavards se taisent 

    Que les braves meurent

    Et que les lâches coopèrent 

    Pour la pérennité du système 

    Des loups. 

     

    Amen!

    *

    Souvenir

     

     

     

    Je me souviens

    D'un jour et d'une nuit 

    D'un jour de soleil 

    D'une nuit de glace

    Un souvenir de lutte 

    En ce temps-là 

    Mon passé entier 

    Était deux fois dix ans!

    Mon avenir: : l'Éternité 

    Ou l'instant suivant 

    Parce que j'avais vingt ans J

    E voulais changer le monde 

    Le modeler à ma guise 

    Le façonner à mon goût 

    C'est tout 

    J'avais lu un livre Vert

    Et un autre Rouge 

    Et beaucoup d'autres

    De toutes les couleurs 

    D'ailleurs 

    Tout cela est beau 

    Mais trop confus 

    J'avais besoin d'une chose : 

    La LIBERTÉ 

    Cela au moins était clair

    Ironie du sort

    Un jour ils m'ont pris 

    De ma maison 

    À leur prison

    Ça n'a pas été long 

    *

    Tam-tam

     

    C'est la nuit profonde 

    Et le tam-tam gronde

    Il gronde 

    Très fort

    Encore baraqués

    Devant les tentes

    Chameaux et chameliers

    S'impatientent

    Car longue est l'attente.

     

    C'est la nuit profonde

    Et le tam-tam gronde

    Il gronde

    Très fort

    Il appelle ceux des vallées

    Et ceux des plaines

    Il les appelle tous

    A la grande fête.

     

    C'est la nuit profonde

    Et le tam-tam gronde

    Tourbillon de poussière

    Et vertige des âmes

    Cadence des corps

    Hommes et bêtes

    Réconciliés

    Par le tam-tam

    Tournoient

    Et tournoient encore.

     

    C'est la nuit profonde

    Et le tam-tam gronde

    TENDEN Goumaten

    Entraîne tout

    Dans sa fureur

    Elle viole les âmes

    Les perce, les envole

    Rien que déchaînement

    Désordre, folie

    Les mots délivrés d'eux-mêmes 

    Epousent la fuite

    Des gestes

    Dans l'espace

    Nocturne

     

    C'est la nuit profonde

    Et le tam-tam gronde 

    Par la magie l'IRREEL

    Côtoie le Réel

    Le vrai et le faux se confondent.

    *

    Ténéré

     

     

    Terre ancestrale 

    Terre mythique 

    Terre magique

    Terre nombril de la terre 

    On te dit cruelle 

    Moi, je te dis maternelle 

    Non, je ne dirai jamais 

    Les secrets de ton lait

    Mère, la manne de tes mamelles 

    Mais je dirai la magie 

    Ta magie 

    D'ensemencer la vie 

    Dans le vide 

    Tes dunes 

    Ne sont pas des ras de sable sans vie

    Tes dunes sont vivantes

    Vivante ta lune 

    Ton silence n'est pas un gouffre 

    Mais clémence pour qui souffre 

    Et qui s'interroge

    Sur cette nature que l'on s'arroge

     

    *

    TENERE 

     

    Terre de méditation 

    Terre de création 

    Terre d' artistes 

    Terre ÉTERNELLE

    L'Homme est peintre

    Sur pierre 

    La femme est mannequin

    Le jour lumière 

    La nuit poète 

    Le vent ciseleur

    Sur marbre 

     

     

    TENERE 

    Tes enfants ne sont pas

    Des marionnettes

    Qu'on exhibe pour théâtre 

    A quatre sous 

    Ce sont des caravaniers 

    Qui tissent la fraternité 

    Ce sont de grands artisans 

    De l'Unité 

     

     

    TENERE 

    N'est-ce pas encore 

    Ta magie 

    Cette nostalgie 

    Qui toujours ramène à toi 

    Les Hommes de toutes les fois 

    Ta loi étant Ie toit 

    De l'Univers?

    Mer autrefois 

    Paradis ou Enfer Demain? 

    Qui dira le mystère ?

    *

    Thingalène

     

     

    Salut THINGALÈNE

    Remparts où butent

    Toutes les basses volontés 

    Tour au sommet 

    Réservée aux âmes pures 

    Tu es mon ARC DE TRIOMPHE

    Monument divin 

    Tu es pétri de la pierre 

    De la pierre pure et dure

    Larmes de feu 

    Vomissures des sables 

    Ou pilier de la terre 

    Dis-moi montagne qui es-tu 

    Vestige des hommes de prestige 

    Sommet aux grandeurs de vertiges 

    Kaocen et Dayak t'ont habité 

    Jamais je ne cesserai de te chanter 

    *

    Imbroglio

     

     

    Les jours passent 

    Les braves trépassent

    La résistance s'effiloche

    Et dans mon cœur 

    Le désenchantement 

    Va de sa pioche 

    Dans chaque vallée

    Sur chaque colline 

    Chacun crie sa tribu 

    Et revendique déjà 

    Son lopin de terre

    Celui-là dénonce son frère 

    Cet autre tue son père 

    'Oh ! Frère d'ÉGUIGUlRE 

    Oh ! Compagnon de TAZIRZlT

    Étaient-ce les paroles prophétiques 

    Qui se réalisent ? 

    La révolution est conçue par les savants

    Les braves y meurent

    Et les lâches en profitent 

    Qu'en penses-tu RABITINE ?

    INZAD trouve-t-il toujours écho

    Aux oreilles de ceux de l'épée? 

    *

    PRIERE

     

    Seigneur 

    Les charognes et les mangeurs de boue

    Ont prostitué L'esprit du souffle 

    Ils ont péché contre 

    La pureté originelle du souffle 

    Oh qu'il était grand 

    Jadis le souffle

    Quand il fusionnait les cœurs

    Dans un même brasier d'espoir

    Et subitement petit et vil Le souffle 

    Quand il dressait Frères contre frères

    Pour un grain de riz 

    Et un océan de mensonges 

    Oh Seigneur 

    Ne leur pardonne point 

    Ceux-là qui ont falsifié 

    L'esprit du souffle 

    Par leurs ventres qui ne remplissent jamais. 

    Par leurs regards qui percent les mystère

    Par leurs bouches qui disent plus 

    Qu'il ne faut dire 

    Oui ! Je les renie 

    *

    Je n'oublierai jamais

     

     

    Je n'oublierai jamais

    Un enfant de l'AÏR 

    Qui mourut un soir

    De grande gloire 

    Un jeune homme du terroir 

    Qui parlait le langage

    De la terre 

    Partout il semait des étoiles 

    Aux enfants il parlait d'école 

    Aux femmes de machines à coudre

    Aux hommes de chantiers 

    De grands champs de blé

    Aux jeunes de son âge 

    Dans son langage sans nuage

    Il ordonne la résistance 

    Jusqu'au bout du souffle 

    La lutte et le sacrifice 

    Marquèrent en lettres immuables 

    Son éphémère passage sur la terre

    Étrange prophète de l'amour et du travail 

    Qui arrosa de son sang

    Ses rêves innocents

    Et nourrit de son corps 

    La glaise maternelle 

    Pour l'éternité 

     

    Il mourut un soir 

    Le cœur plein d' espoir. 

    Au milieu des cris et du vacarme

    En démontant le tambour-major

    D'une fête barbare 

    Où le sang coulait à flots

    Rougissant encore plus l'aurore

    Où la chair valsait avec le fer

    Où le feu déchirait l'aube

     

    Les années ont passé

    Le Martyr demeure

    Si vous voulez le sentir

    Allez à TIMIA 

    Quand l'oasis sort de de son sommeil

    Comme une coquille qui s'ouvre

    Sur sa perle du matin

    Offrant sa beauté à L'Espoir

    D'un jour naissant

    Là au milieu des jardins

    Dans les sables 

    Ou sur les montagne 

    Il est dans chaque grenadier

    Dans chaque dattier

    Dans chaque barrement d'ailes

    Il fait partie du paysage

    Comme la cascade

    Comme l'humus qui nourrit la fange

    Comme le chant des petites bergères

    Qui perce les nuages 

     

    Si vous voulez le sentir 

    Allez à TIGGUIDA

    *

    La Résistance était en moi

     

     

     

    Il fut un temps j'ai porté la résistance 

    Au plus profond de mes fibres 

    Elle était dans mon sang 

    Elle était dans mes larmes

    Elle était dans ma sueur 

    Elle était ma moelle épinière 

    La résistance était mon souffle

    Elle était les pulsations mêmes de mon pouls 

    Elle était en chaque atome de mon corps 

    La résistance était en moi 

    Elle était dans mes nerfs 

    Et dans mes muscles 

    *

    Lecture

     

     

    À la lumière jaune 

    De ta lampe-tempête 

    Tu t'éclaires 

    Le soir quand 

    Tout repose 

    Et que le village

    Retrouve son âme 

    Dans le sillage 

    De la nuit 

     

    Couché à plat ventre 

    Courbé sut ton livre 

    La face éclaboussée de lumière jaune 

    Tu déchiffres l'écriture 

    Qui déjà t'appelle à l'aventure 

    Énigmatique des temps 

    Futurs 

     

    Et puis la nuit s'éveille

    *

    Les mots

     

     

    Les mots ! 

    Ils sont dociles 

    Doux et charmants 

    Ils vous suivent partout 

    Tout au long des chemins 

    Et vous font tout dire

     

    Il faut beaucoup de patience 

    Pour les apprivoiser 

    Surtout quand ils sont d'une autre race 

    Il suffit d'un rien pour les effaroucher 

    Je crois qu'ils n'aiment pas le bruit 

    Et préfèrent la solitude 

     

    Ils sont omnivores 

    Ils se nourrissent d'un grain de joie 

    D'un grain de douleur 

    Ils boivent l'eau des océans, des mers 

    Et même des petits ruisseaux 

     

    Le poète est leur berger

    Il les compte et recompte chaque soir 

    Quand le silence descend sur la terre 

    Pourvu qu'ils soient au rendez-vous 

    Il y a des mots.. Blancs d'innocence

    Gais comme des agneaux 

    Il y en a des Noirs comme des corbeaux

    Amers comme des bourreaux

    Et d'autres tristes comme des tombeaux 

    Ce sont là des mots douleurs

    Et moi pour les exorciser je veux 

    Des mots volcans 

    Laves fumantes de vérité 

    Des mots tempêtes 

    Désarçonnant des remparts de préjugés 

    Des mots brasiers 

     

    Ce sont de grandes chevauchées

    Des mots inapprivoisés 

    Des mots débridés 

    Qu'il me faut 

    Ce sont des mots indisciplinés 

    Des mots sans limite

    Des mots sans entrave 

    Des mots sans papier

    Des mots "viole-frontière qu'il me faut

    Des mots nomades-sans-escale 

     

    Il me faut des mots boucliers

    Des mots rebelles 

    Des mots pilonne-caserne 

    Des mots mine-Cubli 

    Des mots roquettes-mépris 

    Je veux des mots [eux follets Je veux des mots feux follets

    Je veux des mots fous

    Des mots, des mots furieux 

    Des mots Forts

    *

    Les Sept

     

     

    Ils sont Sept 

    Sept 

    Un chiffre étrange 

    Étrange et mystique 

    Sept 

    Emportés du fin fond 

    De la nuit 

    Vers où 

    Par où 

    Sept hommes 

    emportés 

    disparus 

    Pourquoi 

    Pour qui 

    Ils sont sept 

    Je pose sept fois 

    La même question

     

    TAMGAK 

    TAGUIRERTE 

    TINZAWATENE 

    Ou TAIKARENE 

    Montagnes majestueuses de mon bled 

    Ô rochers mystérieux 

    Et silencieux 

    N’avez-vous rien vu passer 

    AQMI Français ou Américains 

    De grâce 

    Allez-y ailleurs 

    Porter vos conflits 

    Nos enfants en ont assez 

    Assez du chant des canons 

    *

    Hommage à Aimé Césaire

     

    Le silence du Tambour-major

     

    Jeudi 16 avril 2008 

    Au bout du petit matin... 

    L'immensité du désastre 

    L'humanité retient son souffle 

    Des larmes sur les cinq continents 

    Les océans stagnent 

    Les fleuves suspendent leurs cours 

    Tambours, koras et balafons 

    Ravalent leurs sons 

    Les rois des forêts, savanes et déserts 

    Retiennent leurs gestes 

    Qui se figent 

    Et même les oiseaux au fond du ciel 

    Immobilisent leur envol 

    Les chiens se taisent ...

    La tragédie des rois... 

    La tempête sanglote, 

    LUMUMBA tourne dans sa tombe 

    Un Nègre 

    Un très grand Nègre 

    Se retire 

    Un poing ferme et dur 

    Un poing de fraternité et de dignité 

    S'en va 

    Mais la Révolte 

    La Révolte demeure 

    Aimé Césaire

    *

     

    A l'abri de leur regard

     

     

    Les étoiles peuvent pâlir 

    Le soleil s'éclipser 

    Mon âme toujours s'éclaire 

    De sa lumière éternelle. 

    Je sais qu'ils titubent encore 

    Dans la nuit. 

    Ils tâtonnent hélas 

    Mais leurs mains sèches

    Ne caressent que des rêves morts. 

    Croyant meilleur leur sort 

    Ils ont tous abdiqué 

    Seigneur sauve-les de la nuit 

    La nuit douloureuse et sans fin 

    Qui entrave le mouvement 

    Qui aveugle le regard 

    Qui alourdit la langue 

    Cette nuit oppressante 

    Qui nous emportera tous Inéluctablement 

    Si nous ne fusionnons pas 

    Nos lumières éternelles 

    Qui palpitent secrètes 

    Au fond de nous 

    À l'abri de leur regard. 

    *

    Ashamor

     

    Seul

    Il n'a pas de toit

    A ses yeux

    Pas de lois qui tiennent

    Devant lui l'impossible recule

    Il recule chaque jour un peu plus

    Il n'est rien

    Il a tout

    De la vie en attendant le meilleur

    Il prend le pire

     

    Magicien de Génie

    De ces rêves, il fait des réalités

    *

    AÏR

     

    Pour Aboubé

     

     

    Au bout du monde 

    L'AIR 

    Chez moi, 

    Il y a plein de vallées 

    Peuplées de jardiniers 

    Au salut facile 

    Plein de plaines 

    Aux noms de femmes

    Des montagnes 

    Aux écritures oubliées.

     

    Dans ce pays 

    Il n'y a pas toujours 

    De quoi se vêtir 

    Mais le cœur y est 

    Chaud à l'amour

     

    Très souvent 

    Le ventre y est vide 

    Le cœur ramassé 

    Pour s'y amuser Il suffit d'une peau de chèvre 

    D'un mortier de bois 

    Quelques belles 

    Et la fête commence 

    Les fêtes balancent 

    Et cadencent

     

    Ce pays est beau 

    Et pour les yeux 

    Et pour le cœur

     

     

     

    *

    Au magicien de la boue

    A Mousa Abou,architecte touareg

     

     

    Enfant du terroir 

    Véritable fils de la glaise 

    Que de la fange 

    Tes doigts d'ange 

    Nous érigent des cités 

    Où il fera bon vivre

    La terre du Sahel 

    Craquelée et assoiffée 

    Devient matière première

    Entre tes mains de magicien 

     

    Fertilise-la 

    Cette terre d'abandon 

    Et dis-nous le secret de la création

    Érige-nous des villes

    Des villes saines 

    Des villes sans exclusion 

    Des villes sans bidonville 

    Oui, des cités sereines 

    Accordées à l'espace

    À l'air, à l'eau À la vie 

     

    Fils des tentes 

    Flottantes 

    À tous les vents 

    Qui saurait 

    Mieux que toi

    Donner un abri

    Aux sans-abri 

    Qui disputent 

    Aux rats 

    Le rez-de-chaussée? 

    Architecte aux doigts d'or

    Enracine-nous à la terre 

    *

    Blessure

     

    Vendredi 28 août 1992 

    Un jour macabre s'est levé 

    Sur la cité au Minaret millénaire 

    Comme un fleuve en crue 

    La haine a déferlé

    La haine Nue 

    Sauvage 

    Tumultueuse 

    Une meute désemparée 

    Sans chef ni subordonné 

    S'est ruée vers la ville 

    La ville innocente et docile. 

    Alors commença la danse barbare 

    Des proies faciles 

    Maison par maison 

    La horde écumait la ville 

    Mettait dans ses fourgons 

    Des civils innocents. 

    La peur s'installait 

    Les miens traqués

    Rasaient les murs.

    Partout on arrête 

    On torture sans murmure 

    Sous des yeux douloureusement 

    Indifférents

    Exultant, applaudissant le carnage

    Le deuil s'installait 

    La douleur incommensurable.

     

    Dans les gares 

    Sur les routes 

    Dans les rues

    Et jusqu'au fond des case

    Sinistrement silencieuses 

    Ils arrêtent les miens 

    Tous les miens 

    Tapis à l 'ombre de la terreur

    Les miens entassés 

    Dans la honte 

    Dans la sueur 

    Dans les larmes.

    Les miens Au creux des cellules sordides

    Puantes

    Puantes de mille pourritures...

     

     

    Oh Seigneur! De quel Répondaient les miens !

    Pourquoi endossent-ils les péchés

    De tout l'univers ? 

    Le fils et le père enchaînés

    À la même chaîne de la honte.

    Les frères rampant dans la sueur et le sang 

    Sous les caresses cruelles

    Des lumières brûlantes. 

     

    Seules les femmes 

    Debout dans la tourmente 

    Le poing dur

    L'insulte à la bouche

    *

    Chant funèbre pour Mano Dayak

     

     

    Tu n'est plus

    Et mes larmes ne tariront plus 

    Ton sang, ton corps et tes os 

    Sont à jamais mêlés à ces sables que tu as

    tant aimés

    Es-tu mort au-dessus de CHIRIET aux dunes 

    dorées 

    Ou en amont de TAMGAK qui rime avec ta 

    lutte ? 

    Sont-ce les terres maternelles de TEMET qui 

    te retiennent 

    Qui te réclament pour l'Éternité ? 

    Le désert est FIDÈLE 

    Comme tu l'as porté à bout de bras, au 

    bout du monde 

    Le TÉNÉRÉ te porte désormais en son sein 

    Pour toujours ton ÂME aura la clarté de ses 

    dunes 

    Et ta MÉMOIRE la grandeur de ses montagnes 

    Ta mère est deuil, et tu es le Fils de

    toutes les mères 

    Ton père est en deuil, et tu es le Fils de tous

    les pères 

    Ton frère est en deuil, et tu es le Frère de

    TOUS les HOMMES, 

    GRAND GUIDE 

    La caravane est au bout de l'étape 

    Et la SOURCE annoncée n'est pas loin 

    Dans la nuit sans étoile et par la tempête 

    Tu nous as menés et à présent 

    REPOSE-TOI EN PAIX 

    *

    Foule

     

     

    Foule, Foule 

    Je t'aime dans ton docile 

    Mouvement 

    Dans ton harmonie 

    Dans ta cohérence 

    Foule, Foule 

    Fais corps avec mon corps 

    Fais de mon âme Ton Esprit 

     

     

    Foule, je te crains 

    Dans ta folie 

    Quand Furieuse

    Tu foules du pied 

    Ce que tu as construit 

    Foule, Foule 

    Tu es belle 

    Quand tu foules la tyrannie 

     

    Foule 

    Tu es à l'image 

    De l'homme 

    Insaisissable

    Dans ton élan 

    Imprévisible 

    Dans ton surgissement 

     

    Foule 

    Tu es femme 

    Quand tu aimes

    Et l'Amour 

    Coule

    De tes mains 

    De tes yeux 

    De ton cri 

     

    Foule 

    De tous les continents 

    De toutes les couleurs 

    J'aimerai toujours 

    Voir s'écraser

    À la face des tyrans 

    Ton cri

    Mon cri 

    Ton poing 

    Mon poing 

     

    Foule, fais foule avec mes Rêves 

    *

    Poème pour célébrer la paix

     

     

    Nigériens, mes frères 

    Quelle est donc cette brise 

    Qui souffle sur la terre 

    Du Moro Naba 

    Ce vent si frais gui souffle 

    Du pays des « hommes intégrés » 

    Ce vent aux relents de paix ? 

    Oh patrie 

    Patrie aimée 

    Patrie mienne 

    Rectifie ta marche

    Va droit sur le chemin 

    De la paix et de ]'amour 

    À la haine, à la violence 

    Fais volte-face pour toujours 

    PAIX 

     

    PAIX sur toutes les races de chagrins 

    Tant de vallées ont baigné dans le sang 

    Tant de koris où ne coulent plus

    Que des larmes 

    Tant de morts sans nom 

    Tant de haine dans les coeurs 

    Tant de chaînes sans raison 

    Tant d'innocents dans les fournaises 

    Des prisons 

    Souviens-toi PATRIE 

    Oh PATRIE 

    Des fuites éperdues des familles traquées

    Ah ! Les songes inachevés 

    Des nuits saturées de mensonges ! 

     

    PAIX

    Paix pour l'âme de mes morts 

    Pour les blessés dans leur corps 

    Pour les blessés dans leur coeur 

    Pour les mutilés 

    Pour les déportés 

    Pour les prisonniers 

    Pour les exilés 

    Pour les égarés

    Pour tous, PAIX et espoir

    Oh Patrie regarde

    Regarde autour de toi 

    Ce monde sans loi 

    Ce monde qui brûle 

    Qui hurle, hurle, hurle 

    J'ai dit : Libéria Taylor la mort ! Taylor la torture ! 

     

    Horreur ! 

    Les longues files

    Des orphelins et veuves qui enfilent 

    Les labyrinthes inhospitaliers des exils 

    J'ai dit : Burundi ! 

    Ces frères qui s'entre-déchirent!

    *

    POURTANT

     

    Au coin d'un lopin 

    De terre oublié 

    Je feuillette 

    Des rêves morts 

    Éclaboussés de nuit 

     

    Il n'y avait pas d'oiseau 

    Pas d'arbre 

    Pas même un brin d'herbe 

    Tout est triste 

    Et désolé 

     

    Pourtant 

    De mon talon nu 

    La source est née 

    Et mes rêves s'animèrent 

     

    Le jour fut 

    Il y eut plein d'oiseaux

    Beaucoup d'arbres 

    Et plein d'herbe 

     

    Tout est beau 

    Et charmant 

    Quand le jour s'élève !

    *

    Pas de nom

     

    Mon frère d'outre-mer

    Surtout pas de nom

    Je ne suis pas le fils 

    Du vent et des nuages

    Je suis le fils de la fange

    De la fange stérile et rouge

    Sables, montagnes et pierres

    Je suis le fils de la terre

    Maternelle

    Silence, oubli, mépris

    Je suis l'enfant des douleurs

    Éternelles

    Non, frère, je ne suis pas

    Je ne suis plus

    Le Seigneur du désert 

    Mais l'esclave 

    Des horizons nus

    *

    Para nymphe pour un muselé

    Pour Mamana Abou, directeur du journal «le Républicain», éd

     

     

     

     

    Ils l'ont encore arrêté 

    Mon pote

    Pour la énième fois

    Décidément tu n'as pas la cote 

    Oui ta salive est sabre 

    De canon contre leurs mensonges 

    Ton encre acide qui dévoile 

    La toile mesquine de leur supercherie 

    Rappelle-toi mon pote 

    Hier c'était le feu 

    Ils ont brûlé Le Républicain. 

    Naïfs, ils ont bastonné pour faire 

    Taire la conscience 

    Aujourd'hui ils bâillonnent 

    Ils bâillonnent la grande gueule 

    Ou la grande plume 

    Oui la conscience éclairée de 

    La presse nigérienne, j'ai dit :

    Mamane Abou !

    Et je vois le pays entier debout 

    Debout dans les rues pour dire NON !

    .Libérez-le, il n'a fait que DÉNONCER 

    Libérez-le, il n'a fait qu' ÉCRIRE

    Libérez-le, il n'a fait que DÉVOILE

    Dé-voi-lé ! 

     

     

     

    *

    JE N'OUBLIERAI JAMAIS

    pour Almoudou Introudourène  Zinder, 22 février 1999

     

    Je n'oublierai jamais / Un enfant de l'AÏR  / Qui mourut un soir / De grande gloire  / Un jeune homme du terroir  / Qui parlait le langage / De la terre  / Partout il semait des étoiles  / Aux enfants il parlait d'école  / Aux femmes de machines à coudre / Aux hommes de chantiers  / De grands champs de blé / Aux jeunes de son âge  / Dans son langage sans nuage / Il ordonne la résistance / Jusqu'au bout du souffle  / La lutte et le sacrifice  / Marquèrent en lettres immuables  / Son éphémère passage sur la terre / Étrange prophète de l'amour et du travail  / Qui arrosa de son sang / Ses rêves innocents / Et nourrit de son corps  / La glaise maternelle  / Pour l'éternité

    Il mourut un soir  / Le cœur plein d' espoir / Au milieu des cris et du vacarme / En démontant le rambour-:major / D'une fête barbare / Où le sang coulait à  flots /  Rougissant encore plus  l' aurore / Où la chair valsait avec le fer / Où le feu déchirait l'aube / Les années ont  passé / Le Martyr demeure /  Si vous voulez le sentir / Allez à TIMIA  / Quand  l'oasis sort de  de son sommeil / Comme une coquille qui s'ouvre / Sur sa perle du matin / Offrant sa beauté à L'Espoir / D'un jour naissant / Là au milieu des jardins / Dans les sables  / Ou sur les montagne / Il est dans chaque grenadier / Dans chaque dattier / Dans chaque battement d'ailes / Il fait partie du paysage / Comme la cascade / Comme l'humus qui nourrit la fange / Comme le chant des petites bergères / Qui perce les nuages

    Si vous voulez le sentir  / Allez à TIGGUIDA / Là  il est dans chaque épi de blé  / Qui défie le ciel bleu  / Si vous voulez le sentir / Allez à TIGGUIDIT  / Là il est dans chaque poignée de main  / Qui construit demain  / Je n'oublierai jamais  / La sentinelle fantôme / D'un enfant dans l'AÏR  / Qui veille sur le sommeil des petites gens / Par-delà les ténèbres 

     

    Rhissa Rhossey

     

     

     

    *

     

     

     

    POÈME POUR CÉLÉBRER LA PAIX

    Nigériens, mes frères / Quelle est donc cette brise / Qui souffle sur la terre / Du Moro Naba / Ce vent si frais gui souffle / Du pays des " hommes intégrés / Ce vent aux relents de paix ? / Oh patrie / Patrie aimée / Patrie mienne / Rectifie ta marche / Va droit sur le chemin / De la paix et de ]'amour / À la haine, à la violence / Fais volte-face pour toujours / PAIX

     

    PAIX sur toutes les faces de chagrins / Tant de vallées ont baigné dans le sang / Tant de koris  où ne coulent plus / Que des larmes / Tant de morts sans nom / Tant de haine dans les cœurs / Tant de chaînes sans raison / Tant d'innocents dans les fournaises / Des prisons / Souviens-toi PATRIE / Oh PATRIE / Des fuites éperdues des familles traquées / Ah ! Les songes inachevés / Des nuits saturées de mensonges !

     

    PAIX / Paix pour l'âme de mes morts / Pour les blessés dans leur corps / Pour les blessés dans leur cœur / Pour les mutilés / Pour les déportés / Pour les prisonniers / Pour les exilés / Pour les égarés / Pour tous, PAIX et espoir / Oh Patrie regarde / Regarde autour de toi / Ce monde sans loi / Ce monde qui brûle / Qui hurle, hurle, hurle / J'ai dit : Liberia Taylor la mort ! Taylor la torture !  / Horreur ! / Les longues files / Des orphelins et veuves qui enfilent / Les labyrinthes inhospitaliers des exils / J'ai dit: Burundi !

     

    Ces frères qui s'entre-déchirent !

     

     

     


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  • Le malheur d'aimer

     

    Que sais-tu des plus simples choses

    Les jours sont des soleils grimés

    De quoi la nuit rêvent les roses

    Tous les feux s'en vont en fumée

    Que sais-tu du malheur d'aimer

     

    Je t'ai cherchée au bout des chambres

    Où la lampe était allumée

    Nos pas n'y sonnaient pas ensemble

    Ni nos bras sur nous refermés

    Que sais-tu du malheur d'aimer

     

    Je t'ai cherchée à la fenêtre

    Les parcs en vain sont parfumés

    Où peux-tu où peux-tu bien être

    A quoi bon vivre au mois de mai

    Que sais-tu du malheur d'aimer

     

    Que sais-tu de la longue attente

    Et ne vivre qu'à te nommer

    Dieu toujours même et différente

    Et de toi moi seul à blâmer

    Que sais-tu du malheur d'aimer

     

    Que je m'oublie et je demeure

    Comme le rameur sans ramer

    Sais-tu ce qu'il est long qu'on meure

    A s'écouter se consumer

    Connais-tu le malheur d'aimer

     

    *

    Enfer-les-Mines

     

    Charade à ceux qui vont mourir Égypte noire

    Sans Pharaon qu'on puisse implorer à genoux

    Profil terrible de la guerre où sommes-nous

    Terrils terrils ô pyramides sans mémoire

     

    Est-ce Hénin-Liétard ou Noyelles-Godault

    Courrières-les-Morts Montigny-en-Gohelle

    Noms de grisou Puits de fureur Terres cruelles

    Qui portent çà et là des veuves sur leurs dos

     

    L'accordéon s'est tu dans le pays des mines

    Sans l'alcool de l'oubli le café n'est pas bon

    La colère a le goût sauvage du charbon

    Te souviens-tu des yeux immenses des gamines

     

    Adieu disent-ils les mineurs dépossédés

    Adieu disent-ils et dans le coeur du silence

    Un mouchoir de feu leur répond Adieu C'est Lens

    Où des joueurs de fer ont renversé leurs dès

     

    Etait-ce ici qu'ils ont vécu Dans ce désert

    Ni le lit de l'amour dans le logis mesquin

    Ni l'ombre que berçait l'air du Petit Quinquin

    Rien n'est à eux ni le travail ni la misère

     

    Ils s'en iront puisqu'on les chasse ils s'en iront

    C'est fini les enfants qu'on lave à la fontaine

    Tandis que chante sous un ciel tissé d'antennes

    La radio des bricoleurs dans les corons

     

    Ils n'iront plus le soir danser à la ducasse

    L'anthracite s'éteint aux pores de leur peau

    Ils n'allumeront plus la lampe à leur chapeau

    Ils s'en iront Ils s'en iront puisqu'on les chasse

     

    Les toits se sont assis sur le sol sans façon

    Qui marche en plein milieu des étoiles brisées

    Des fuyards jurent à mi-voix Une fusée

    Promène dans la nuit sa muette chanson

     

    ___

     

    MERVEILLES

     

     

    Tous ceux qui parlent des merveilles

    Leurs fables cachent des sanglots

    Et les couleurs de leur oreille

    Toujours à des plaintes pareilles

    Donnent leurs larmes pour de l'eau

     

    Le peintre assis devant sa toile

    A-t-il jamais peint ce qu'il voit

    Ce qu'il voit son histoire voile

    Et ses ténèbres sont étoiles

    Comme chanter change la voix

     

    Ses secrets partout qu'il expose

    Ce sont des oiseaux déguisés

    Son regard embellit les choses

    Et les gens prennent pour des roses

    La douleur dont il est brisé

     

    Ma vie au loin mon étrangère

    Ce que je fus je l'ai quitté

    Et les teintes d'aimer changèrent

    Comme roussit dans les fougères

    Le songe d'une nuit d'été

     

    Automne automne long automne

    Comme le cri du vitrier

    De rue en rue et je chantonne

    Un air dont lentement s'étonne

    Celui qui ne sait plus prier


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  • Un oiseau chante ne sais où

    C’est je crois ton âme qui veille

    Parmi tous les soldats d’un sou

    Et l’oiseau charme mon oreille

     

    Écoute il chante tendrement

    Je ne sais pas sur quelle branche

    Et partout il va me charmant

    Nuit et jour semaine et dimanche

     

    Mais que dire de cet oiseau

    Que dire des métamorphoses

    De l’âme en chant dans l’arbrisseau

    Du coeur en ciel du ciel en roses

     

    L’oiseau des soldats c’est l’amour

    Et mon amour c’est une fille

    La rose est moins parfaite et pour

    Moi seul l’oiseau bleu s’égosille

     

    Oiseau bleu comme le coeur bleu

    De mon amour au coeur céleste

    Ton chant si doux répète-le

    À la mitrailleuse funeste

     

    Qui chaque à l’horizon et puis

    Sont-ce les astres que l’on sème

    Ainsi vont les jours et les nuits

    Amour bleu comme est le coeur même

    *

    Obus couleur de lune 

    Voici de quoi est fait le chant symphonique de l’amour

    Il y a le chant de l’amour de jadis

    Le bruit des baisers éperdus des amants illustres

    Les cris d’amour des mortelles violées par les dieux

    Les virilités des héros fabuleux érigées comme des pièces contre avions

    Le hurlement précieux de Jason

    Le chant mortel du cygne

    Et l’hymne victorieux que les premiers rayons du soleil ont fait chanter à

    Memnon l’immobile

    Il y a le cri des Sabines au moment de l’enlèvement

    Il y a aussi les cris d’amour des félins dans les jongles

    La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales

    Le tonnerre des artilleries qui accomplissent le terrible amour des peuples

    Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté

     

    Il y a là le chant de tout l’amour du monde

     

    *

    Mon très cher petit Lou je t’aime

     

    Ma chère petite étoile palpitante je t’aime

    Corps délicieusement élastique je t’aime

    Vulve qui serre comme un casse-noisette je t’aime

    Sein gauche si rose et si insolent je t’aime

    Sein droit si tendrement rosé je t’aime

    Mamelon droit couleur de champagne non champagnisé je t’aime

    Mamelon gauche semblable à une bosse du front d’un petit veau 

    qui vient de naître je t’aime

    Nymphes hypertrophiées par tes attouchements fréquents je vous aime

    Fesses exquisément agiles qui se rejettent bien en arrière je vous aime

    Nombril semblable à une lune creuse et sombre je t’aime

    Toison claire comme une forêt en hiver je t’aime

    Aisselles duvetées comme un cygne naissant je vous aime

    Chute des épaules adorablement pure je t’aime

    Cuisse au galbe aussi esthétique qu’une colonne de temple antique je t’aime

    Oreilles ourlées comme de petits bijoux mexicains je vous aime

    Chevelure trempée dans le sang des amours je t’aime

    Pieds savants pieds qui se raidissent je vous aime

    Reins chevaucheurs reins puissants je vous aime

    Taille qui n’a jamais connu le corset taille souple je t’aime

    Dos merveilleusement fait et qui s’est courbé pour moi je t’aime

    Bouche Ô mes délices ô mon nectar je t’aime

    Regard unique regard-étoile je t’aime

    Mains dont j’adore les mouvements je vous aime

    Nez singulièrement aristocratique je t’aime

    Démarche onduleuse et dansante je t’aime

    Ô petit Lou je t’aime je t’aime je t’aime.

     

     

    note de Jean Pierre Pinon : En septembre, à Nice depuis le début du mois, Apollinaire rencontre Louise de Coligny-Châtillon

    le 27 septembre 1914. Il la courtise sans la vaincre et lui envoie des poèmes (Poèmes à Lou

    & Lettres à Lou).

    Le 6 décembre 1914, il arrive au 38e Régiment d'artillerie de Campagne de Nîmes. 'Lou' le rejoint

    le 7 decembre pour une semaine de passion. Les 27 et 28 mars 1915, il passe sa troisième et dernière

    permission auprès de Lou. C'est la rupture définitive mais les deux amants promettent de rester amis...

     

    ____

     

    LE POÈTE

     

    Je me souviens ce soir de ce drame indien

    Le Chariot d’Enfant un voleur y survient

    Qui pense avant de faire un trou dans la muraille

    Quelle forme il convient de donner à l’entaille

    Afin que la beauté ne perde pas ses droits

    Même au moment d’un crime

    Et nous aurions je crois

    À l’instant de périr nous poètes nous hommes

    Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes

     

    Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté

    N’est la plupart du temps que la simplicité

    Et combien j’en ai vu qui morts dans la tranchée

    Étaient restés debout et la tête penchée

    S’appuyant simplement contre le parapet

     

    J’en vis quatre une fois qu’un même obus frappait

    Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes

    Avec l’aspect penché de quatre tours pisanes

     

    Depuis dix jours au fond d’un couloir trop étroit

    Dans les éboulements et la boue et le froid

    Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture

    Anxieux nous gardons la route de Tahure

     

    J’ai plus que les trois coeurs des poulpes pour souffrir

    Vos coeurs sont tous en moi je sens chaque blessure

     

    Ô mes soldats souffrants ô blessés à mourir

    Cette nuit est si belle où la balle roucoule

    Tout un fleuve d’obus sur nos têtes s’écoule

    Parfois une fusée illumine la nuit

    C’est une fleur qui s’ouvre et puis s’évanouit

     

    La terre se lamente et comme une marée

    Monte le flot chantant dans mon abri de craie

    Séjour de l’insomnie incertaine maison

    De l’Alerte la Mort et la Démangeaison

    LA TRANCHÉE

     

    Ô jeunes gens je m’offre à vous comme une épouse

    Mon amour est puissant j’aime jusqu’à la mort

    Tapie au fond du sol je vous guette jalouse

    Et mon corps n’est en tout qu’un long baiser qui mord

     

    LES BALLES

     

    De nos ruches d’acier sortons à tire-d’aile

    Abeilles le butin qui sanglant emmielle

    Les doux rayons d’un jour qui toujours renouvelle

    Provient de ce jardin exquis l’humanité

    Aux fleurs d’intelligence à parfum de beauté

     

    LE POÈTE

     

    Le Christ n’est donc venu qu’en vain parmi les hommes

    Si des fleuves de sang limitent les royaumes

    Et même de l’Amour on sait la cruauté

    C’est pourquoi faut au moins penser à la Beauté

    Seule chose ici-bas qui jamais n’est mauvaise

    Elle porte cent noms dans la langue française

    Grâce Vertu Courage Honneur et ce n’est là

    Que la même Beauté

    LA FRANCE

     

    Poète honore-là

    Souci de la Beauté non souci de la Gloire

    Mais la Perfection n’est-ce pas la Victoire

     

    LE POÈTE

     

    Ô poètes des temps à venir ô chanteurs

    Je chante la beauté de toutes nos douleurs

    J’en ai saisi des traits mais vous saurez bien mieux

    Donner un sens sublime aux gestes glorieux

    Et fixer la grandeur de ces trépas pieux

     

    L’un qui détend son corps en jetant des grenades

    L’autre ardent à tirer nourrit les fusillades

    L’autre les bras ballants porte des seaux de vin

    Et le prêtre-soldat dit le secret divin

     

    J’interprète pour tous la douceur des trois notes

    Que lance un loriot canon quand tu sanglotes

     

    Qui donc saura jamais que de fois j’ai pleuré

    Ma génération sur ton trépas sacré

     

    Prends mes vers ô ma France Avenir Multitude

    Chantez ce que je chante un chant pur le prélude

    Des chants sacrés que la beauté de notre temps

    Saura vous inspirer plus purs plus éclatants

    Que ceux que je m’efforce à moduler ce soir

    En l’honneur de l’Honneur la beauté du Devoir

     

    17 décembre 1915 – pour toi mon grand-père inconnu mort des suites de cette guerre !

     

    ____

    Per te praesentit aruspex

     

     

    O mon très cher amour, toi mon œuvre et que j'aime,

    A jamais j'allumai le feu de ton regard,

    Je t'aime comme j'aime une belleœuvre d'art,

    Une noblestatue, un magique poème.

     

    Tu seras, mon aimée, un témoin de moi-même.

    Je te crée à jamais pour qu'après mon départ,

    Tu transmettes mon nom aux hommes en retard

    Toi, la vie et l'amour, ma gloire et mon emblème; 

     

    Et je suis soucieux de ta grande beauté

    Bien plus que tu ne peux toi-même en être fière:

    C'est moi qui l'ai conçue et faite toute entière.

     

    Ainsi, belle œuvre d'art, nos amours ont été

    Et seront l'ornement du ciel et de la terre,

    O toi, ma créature et ma divinité !

     

     

    ___

     

     

    Sanglots.

     

     

     

    Notre amour est réglé par les calmes étoiles

     

    Or nous savons qu'en nous beaucoup d'hommes respirent

     

    Qui vinrent de très loin et sont un sous nos fronts

     

    C'est la chanson des rêveurs

     

    Qui s'étaient arraché le coeur

     

    Et le portaient dans la main droite 

     

    Souviens-t'en cher orgueil de tous ces souvenirs

     

     

     

    Des marins qui chantaient comme des conquérants

     

    Des gouffres de Thulé, des tendres cieux d'Ophir

     

    Des malades maudits, de ceux qui fuient leur ombre

     

    Et du retour joyeux des heureux émigrants.

     

    De ce coeur il coulait du sang

     

    Et le rêveur allait pensant

     

    À sa blessure délicate 

     

    Tu ne briseras pas la chaîne de ces causes

     

    Et douloureuse et nous disait

     

    Qui sont les effets d'autres causes

     

    Mon pauvre coeur, mon coeur brisé

     

    Pareil au coeur de tous les hommes

     

    Voici nos mains que la vie fit esclaves

     

    Est mort d'amour ou c'est tout comme

     

    Est mort d'amour et le voici Ainsi vont toutes choses

     

    Arrachez donc le vôtre aussi

     

    Et rien ne sera libre jusqu'à la fin des temps

     

    Laissons tout aux morts

     

    Et cachons nos sanglots

    ____

     

    MAI

     

    Le mai le joli mai en barque sur le Rhin

    Des darnes regardaient du haut de la montagne

    Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne

    Qui donc a fait pleurer les saules riverains

     

    Or des vergers fleuris se figeaient en arrière

    Les pétales tombés des cerisiers de mai

    Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée

    Les pétales flétris sont comme ses paupières

     

    Sur le chemin du bord du fleuve lentement

    Un ours un singe un chien menés par des tziganes

    Suivaient une roulotte traînée par un âne

    Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes

    Sur un fifre lointain un air de régiment

     

    Le mai le joli mai a paré les ruines

    De lierre de vigne vierge et de rosiers

    Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers

    Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes.


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